Il fallait bien qu’un Bach chantât avec nous le printemps vu d’Allemagne.
C’est Wilhelm Friedmann, le premier fils du Cantor, sans doute le plus doué de la tribu, qui prête l’enthousiasme de sa musique aux Swingle Singers.
Allez, chauffe Wilhelm Friedmann !
Douboudou Boudouboudou… Trabadabadabada…
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Mais, qu’on le déplore ou qu’en s’en loue, c’est bien aux romantiques que revient la palme de la représentation affective, sentimentale, de la nature.
Image de la beauté éternelle, refuge pour sa propre solitude, ailleurs pour fuir la vanité du monde, miroir des tourments de l’âme, la nature apparaît, pour l’esprit romantique, comme une forme d’idéal. Confidente suprême, elle évoque le reflet d’un dieu de vérité qui mérite l’adoration infinie de l’âme sensible.
Qui, plus que le musicien romantique allemand, Berlioz mis à part, a donné de la nature une vision empreinte d’autant d’intensité lyrique ? Pas étonnant dès lors, que l’on trouve en nombre dans les compositions des Maîtres du XIXème allemand autant d’évocations des sentiments exacerbés qu’elle inspire. Pas étonnant non plus que le printemps, prélude à toutes les saisons de l’année, y occupe une aussi large place.
Mais que l’on se garde bien de masquer sous la dithyrambe faite à la musique l’importance du rôle de la poésie qui souvent sert de trame à la composition. Le lied naît de leur union.
Faisons plutôt quelques pas dans le jardin, au cœur de cette nuit de mai – » Die Mainacht « . Les vers du poète seront notre guide. Tantôt Fanny Mendelssohn fera résonner leur plainte nostalgique au détour d’un buisson, tantôt, d’un vieil arbre centenaire, abri douillet d’un couple de ramiers, nous parviendra, légère, la roucoulade d’une mélodie de Brahms.
Wann der silberne Mond durch die Gesträuche blinkt,
Und sein schlummerndes Licht über den Rasen streut,
Und die Nachtigall flötet,
Wandl’ ich traurig von Busch zu Busch.Selig preis ich dich dann, flötende Nachtigall,
Weil dein Weibchen mit dir wohnet in einem Nest,
Ihrem singenden Gatten
Tausend trauliche Küsse gibt.Überhüllet von Laub girret ein Taubenpaar
Sein Entzücken mir vor; aber ich wende mich,
Suche dunklere Schatten,
Und die einsame Träne rinnt.Wann, o lächelndes Bild, welches wie Morgenrot
Durch die Seele mir strahlt, find ich auf Erden dich?
Und die einsame Träne
Bebt mir heißer die Wang herab!Die Mainacht (Ludwig Heinrich Christoph Hölty – 1748-1776)
Quand la lune d’argent scintille à travers les arbustes
Et répand sur l’herbe sa lumière somnolente,
Et que le rossignol flûte,
Je vais, triste, de buisson en buisson.Alors je célèbre ton bonheur, rossignol,
Car la petite femme qui habite avec toi un nid
Donne à son époux chanteur
Mille baisers sincères.Enveloppés de feuillage un couple de pigeons roucoule
Son ravissement devant moi ; mais je me détourne,
Cherche une ombre épaisse,
Et une larme coule.Ô souriante image, qui pareille aux rougeurs de l’aube
Me transperce l’âme, quand te trouverai-je sur terre ?
Et la larme solitaire
Tremble plus chaude sur ma joue !
Traduction : Pierre Mathé
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Le XXème siècle a tué le romantisme et ses guerres ont enseveli les romantiques sous les ruines et les cadavres. Le printemps demeure, certes, mais désormais il convient de l’apprécier à l’aune de l’inéluctable mort, comme un ultime bonheur terrestre, dernier sourire sur le quai du dernier voyage.
C’est ce climat d’adieu, pudique et serein, qui enveloppe les » Quatre derniers lieder « ( » Vier letzte lieder « ) que compose, comme un merveilleux hommage à la voix, Richard Strauss, quelques mois avant sa mort,à partir d’un poème de Eichendorff et de trois poésies écrites des années plus tôt par un Hermann Hesse encore romantique.
» Frühling « , souvent arbitrairement joué le premier – pour favoriser sans doute l’impression d’un lent déclin vers la finitude – , donne à regarder les couleurs du printemps depuis les ombres qui progressent.
Déjà » Septembre « se profile. Déjà s’annonce » L’heure du sommeil « . Au » Soleil couchant « viendra, légitime et tranquille, l’inévitable question : » Ist dies etwa der Tod ? » ( Serait-ce déjà la mort ?)
Est-il plus beau printemps que le dernier ?…
Dans de sombres caveaux
J’ai longtemps rêvé
De tes arbres en fleurs et de tes brises azurées,
De tes senteurs et de tes chants d’oiseaux.Te voilà à présent
Dans ton éclatante parure,
Inondé de lumière
Comme un prodige devant moi.Tu me reconnais,
Tu m’attires avec douceur,
Ta délicieuse présence
Fait frémir tous mes membres !Hermann Hesse
Traduction Jacques Fournier (in Livret CD – DG 447 422-2)