Une douce ballade composée et chantée par Passenger, que je dédie volontiers à ce Paris de jadis que j’ai tant aimé.
Quand on vieillit, « avant » c’est toujours mieux, évidemment. Mais, s’agissant de Paris, même le plus fanatique des jeunes aurait bien du mal à en faire aujourd’hui un éloge sincère…
Je ne sais, ne sais, ne sais pas pourquoi On s’aime comme ça, la Seine et moi…
Mathieu Chedid & Vanessa Paradis (« La Seine » 2011)
Crépuscule sur Notre-Dame de Paris – Photo : serialpictures.fr
Après avoir donné, pour parler de ce fleuve qu’il aimait tant, la parole à ces parisiens qui quotidiennement le côtoient, un enfant, « devineur de devinettes », une amoureuse, un pilote de remorqueur, à un passant guindé, « désabusé », qui ose traiter la Seine — crime de lèse-majesté — de « fleuve comme un autre », Jacques Prévert s’octroie la conclusion sur « sa petite rivière à [lui] » en une tendre tirade sur le ton gouailleur, entre deux gorgeons, d’un « seigneur des berges ».
Une bien sincère déclaration d’amour qui se prolonge à plaisir dans un court-métrage réalisé sur la Seine par Joris Ivens en 1957.
Le poème de Prévert est sublimé par la qualité des images en noir et blanc, par la complète adéquation de la musique avec l’époque et la diversité des situations offertes au regard. Et Serge Reggiani, au rythme assuré du remorqueur qui progresse sur le reflet des eaux, dit le poème…
La réussite est totale et l’émotion réelle, intacte malgré les rides, ou à cause d’elles peut-être.
Le jury du Festival de Cannes en 1958 ne s’était pas trompé en attribuant à ce film son Grand Prix du court-métrage.
Les enfants qui s’aiment s’embrassent debout Contre les portes de la nuit Et les passants qui passent les désignent du doigt Mais les enfants qui s’aiment Ne sont là pour personne Et c’est seulement leur ombre Qui tremble dans la nuit Excitant la rage des passants Leur rage, leur mépris, leurs rires et leur envie Les enfants qui s’aiment ne sont là pour personne Ils sont ailleurs bien plus loin que la nuit Bien plus haut que le jour Dans l’éblouissante clarté de leur premier amour.
Jacques Prévert
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La guerre est finie. Paris pose pour Brassaï, un « cancre » de génie nommé Prévert écrit sa poésie sur les bords de la Seine et Kosma la met en musique. Les trois hommes se rencontrent près des Halles, dans une petite pièce, derrière la cuisine d’un bistro dont le propriétaire n’est autre que le père d’un jeune chorégraphe d’à peine plus de 21 ans. Le talent du jeune homme n’a d’égal que la vitalité qu’il exprime dans ses engagements pour son art. D’ailleurs, c’est grâce au magnétisme qu’exerce sur eux ce garçon que les trois artistes se retrouvent réunis là. On ne le sait pas encore, mais son nom va briller de mille feux dans l’univers de la danse, et au-delà, il s’appelle Roland Petit. Pour l’heure, Il écoute, passionné, Prévert développer l’argument du futur ballet : « Le Rendez-vous », celui d’un jeune homme avec « la plus belle fille du monde ».
Il va chorégraphier leur rencontre sur la musique de Kosma, les faire danser ensemble un pas de deux ultime dans une atmosphère aussi sombre que poétique dans les rues du Paris saisi par l’objectif de Brassaï. Il obtiendra même de Picasso qu’il dessine le rideau de scène.
Mais ce n’est pas un rendez-vous banal ; le destin veille : près de l’escalier du pont de Crimée, le jeune homme va tomber sous le coup décisif et fatal de celle qui vient de le séduire. Il ne savait pas qu’il avait rendez-vous avec la Mort.
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Ce pas de deux, pas de rue, est ici interprété par Isabelle Ciaravola, envoûtante veuve noire aux jambes interminables, « la plus belle fille du monde », et par Nicolas Le Riche, qui communique à ce pauvre « jeune-homme » pris dans les rets de son inéluctable destin, son charisme et son formidable talent.
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Et si pour le plaisir, au-delà de la danse elle-même, de retrouver cette ambiance des rues du Paris de la fin des années 1940 transposée sur la scène, et de fredonner les chansons de Prévert et Kosma, on souhaite se délecter de ce court ballet dans son intégralité, en voici la version intégrale.
On y côtoie, Michael Denard, Le Destin – Hugo Vigliotti, Le Bossu – Pascal Aubin, Le Chanteur – et les danseurs, passants et passantes, du Corps de Ballet et de l’École de danse de l’Opéra de Paris.
« Le rendez-vous » à ne pas manquer !
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Un clic sur une photo ouvre la galerie (photos agrandies)
Pour le plaisir, simplement pour 2 minutes 16 de plaisir, une des plus belles scènes d’amour du cinéma. Une scène d’orgie en vérité où des images en noir et blanc se font lascivement caresser par les divagations sensuelles d’une trompette à la tombée du jour sur les Champs Élysées.
Raffinement des sens :
Louis Malle à la réalisation (c’est son premier long métrage)
Jeanne Moreau (alias Madame Tavernier) pour traverser le Paris de 1958 devant la caméra d’Henri Decae
Miles Davis à la trompette. Miles et ses musiciens ont enregistré la bande son du film en quelques heures seulement sans préparation.
Quelques jours loin de mon Paris ne sauraient suffire à me faire oublier cette ville que j’aime tant et qui me manque aussitôt que je m’en éloigne un peu.
Pour partager ma douce nostalgie depuis les pourtant splendides et rayonnants paysages du midi, ce petit poème de Bernard Dimey, que disait déjà il y a belle lurette Jean Sablon, le « crooner » français des vieilles années du XXème siècle, et fidèle ami du grand Django Reinhardt.
Merci à vous…
Merci à vous, gens de ma ville, Vous qui l’avez faite à mon goût, Si je m’y sens le cœur tranquille C’est toujours un peu grâce à vous.
Merci pour tout ce que je trouve Aux quatre coins de mon Paris, Pour cette galerie du Louvre Où la Joconde me sourit, Pour la fraîcheur de Notre-Dame Où vint prier François Villon Pour séduire une jolie dame Qui logeait près du petit pont.
Merci Monsieur Mansard et j’ose De la part de Mimi Pinson Vous offrir un bouquet de roses Pour sa mansarde et sa chanson… Merci Jean-Baptiste Molière Pour les beaux soirs que je vous dois, Rideaux de velours et lumières Tout comme à Versailles, autrefois…
Merci Monsieur le Roi de France Louis Charles Henri de votre nom, Le chiffre n’a plus d’importance, Et pour le seizième… pardon ! Merci pour toutes ces richesses Dont je rends grâce à ma façon, Paris qui valut une messe Peut bien valoir une chanson.
Bernard Dimey
Mais comment résister au charme tendrement désuet de la version délicate de Jean Sablon :
J’avais envie de faire une petite promenade photographique dans les rues, sans but, sans choisir entre nuit et jour, sans me préoccuper de la ville ou du pays, avec juste en tête l’idée que mon périple se ferait en noir et blanc.
Je suis donc allé « prendre des photos »… mais pas les miennes – qui n’auraient ressemblé à rien, sachant à peine faire la différence entre l’objectif et le viseur – plutôt celles des autres, ceux qui ont le talent de voir et de capter, que je ne connais pas, et dont j’ai juste aimé le regard par eux porté sur la rue. Je vous le propose aussi simplement que je vous offrirais un thé ou un whisky si vous veniez me rendre visite.
Et comme le plaisir d’une promenade est tout entier contenu dans la liberté qu’elle suppose, le noir et blanc souffrira de côtoyer les couleurs anciennes de cette rue ancienne que traverse un ancien d’un lointain pays.
Elle : Danseuse étoile au Bolchoï et au Théâtre Mikhailovsky. Elle devrait faire les beaux jours du Royal Ballet de Londres dans les prochaines semaines. Natalia ne compte plus ses récompenses, largement méritées. Elle a quitté très jeune la gymnastique pour la danse. Quelle bonne idée! Les maîtres de ballet n’ont pas tardé à la rechercher pour lui confier les rôles principaux des grandes chorégraphies sur les scènes de référence. C’est aujourd’hui une étoile mondiale de la danse que les plus éminentes personnalités de cet univers n’hésitent pas à comparer à Maïa Plissetskaïa… Tout simplement!
Chez elle, le talent et l’énergie sont habillés de grâce, de légèreté, et de délicatesse féminine. La regarder évoluer fait tant de bien que les billets pour ses spectacles devraient être pris en charge par la Sécurité Sociale.
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Ivan Vasiliev
Lui : Danseur étoile au Bolchoï et au Théâtre Mikhaïlovsky. Il a rejoint, à l’âge de 17 ans, les rangs du temple moscovite de la danse, après avoir été repéré par l’American Ballet Theatre. Doté d’une technique exceptionnelle, il est considéré comme le nouveau Mikhaïl Barychnikov, pas moins. Quand on l’admire dans ses formidables sauts, aucune autre référence ne vient à l’esprit que celle de son illustre prédécesseur.
Chez lui tout est puissance contrôlée et charme viril.
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Ivan-Vasiliev & Natalia-Osipova
Ensemble : C’est d’abord un couple, tout bonnement, et qui prend ostensiblement un réel plaisir à prolonger sur scène l’entente conjugale. Et de quelle manière! Pour notre bonheur de spectateur, Natalia et Ivan incarnent les amoureux des plus célèbres ballets, « Roméo et Juliette », « Don Quichotte », « Giselle », « Flammes de Paris » et tant d’autres.
Incontestablement ce couple fait partie de ce que la danse a de meilleur.
En voici quelques exemples :
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Couple moderne : scène de ménage, scène d’amour, acte d’amour, séparation, retrouvailles, transes. Une danse fusionnelle (extraite du ballet « Cantata »du chorégraphe italien Mauro Bigonzetti), qui transforme les péripéties de ce couple en une forme de magie hypnotique, exacerbant le voyeurisme du spectateur ensorcelé par la mélodie lancinante d’un trio « de rue », voix, saxophone, accordéon.
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Couple révolutionnaire : dansant joyeusement au pied de la Bastille, sous le drapeau tricolore qui porte les stigmates des violences qui lui ont donné naissance. C’est un extrait du ballet composé en 1932 par Boris Assafiev, « Flammes de Paris » ; celles de 1789.
« Je suis né par hasard le 10 mars 1920 à la porte d’une maternité fermée pour cause de grève sur le tas…ma mère était enceinte de 13 mois… une louve me prit sous son élytre et me donna à boire… j’étais déjà très laid….Et, tout d’un coup ma physionomie se transforma et je me mis à ressembler à Boris Vian, d’où mon nom ». Boris Vian
Boris Vian (1920-1959)
Avec la sortie récente sur les écrans de « L’écume des jours », film de Michel Gondry réalisé à partir du roman poétique et onirique – on dirait aujourd’hui « déjanté » – de Boris Vian, l’auteur revient à nos mémoires. Et c’est heureux.
Pour saluer cet évènement cinématographique dont je ne connais aujourd’hui que la bande annonce, et quelques critiques mitigées – qui se retrouvent cependant toutes promptes à féliciter la formidable inventivité du metteur en scène – j’ai choisi de nous donner rendez-vous au beau milieu de « La rue Watt ».
Mais pas celle que les urbanistes d’aujourd’hui ont transformée en rue la plus éclairée de Paris. Plutôt celle de Raymond Queneau, celle que prend Jean-Pierre Melville pour sous-tendre le générique de son remarquable polar de 1962, « Le doulos », et bien sûr celle que chante l’inoubliable voix de Philippe Clay avec les mots de celui qui ne voulait pas « mourir d’un cancer de la colonne vertébrale », Boris Vian.
C’était une rue pittoresque et bien sombre située en grande partie sous les voies ferrées aux approches de la gare d’Austerlitz et peu commune dans ce Paris que j’avais épousé dès ma première rencontre avec cette ville, vite devenue tout à la fois objet et lieu de mes amours anciennes.
La rue Watt me fascinait, tout jeune garçon déjà, tant elle attirait mon imaginaire enfantin vers de sombres histoires qui m’effrayaient autant qu’elles me subjuguaient.
Hier je l ‘aurais volontiers appelée « rue de la Mélancolie » inspiré que j’étais par la noirceur des drames et des mystères qu’elle pouvait évoquer. Aujourd’hui, je ne la débaptiserais pas, tant la mémoire ombreuse de son visage passé se fond avec les souvenirs d’une jeunesse enfuie.
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Un bel hommage à la rue Watt, l’ancienne et la nouvelle, porté par la trompette de Miles Davis, avec en prime les images du générique du « Doulos ».
Malheureux peut-être l’homme, mais heureux l’artiste que le désir déchire! Je brûle de peindre celle qui m’est apparue si rarement et qui a fui si vite, comme une belle chose regrettable derrière le voyageur emporté dans la nuit. Comme il y a longtemps déjà qu’elle a disparu! Elle est belle, et plus que belle ; elle est surprenante. En elle le noir abonde : et tout ce qu’elle inspire est nocturne et profond. Ses yeux sont deux antres où scintille vaguement le mystère, et son regard illumine comme l’éclair: c’est une explosion dans les ténèbres. Je la comparerais à un soleil noir, si l’on pouvait concevoir un astre noir versant la lumière et le bonheur. Mais elle fait plus volontiers penser à la lune, qui sans doute l’a marquée de sa redoutable influence ; non pas la lune blanche des idylles, qui ressemble à une froide mariée, mais la lune sinistre et enivrante, suspendue au fond d’une nuit orageuse et bousculée par les nuées qui courent ; non pas la lune paisible et discrète visitant le sommeil des hommes purs, mais la lune arrachée du ciel, vaincue et révoltée, que les Sorcières thessaliennes contraignent durement à danser sur l’herbe terrifiée! Dans son petit front habitent la volonté tenace et l’amour de la proie. Cependant, au bas de ce visage inquiétant, où des narines mobiles aspirent l’inconnu et l’impossible, éclate, avec une grâce inexprimable, le rire d’une grande bouche, rouge et blanche, et délicieuse, qui fait rêver au miracle d’une superbe fleur éclose dans un terrain volcanique. Il y a des femmes qui inspirent l’envie de les vaincre et de jouir d’elles ; mais celle-ci donne le désir de mourir lentement sous son regard.
Baudelaire – « Petits poèmes en prose » XXXVI
Écusson musical : « Le rossignol de Saint-Saëns » (Edita Gruberova soprano)
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy