Por la blanda arena que lame el mar Su pequeña huella no vuelve más Un sendero solo de pena y silencio llegó Hasta el agua profunda
Un sendero solo de penas mudas llegó
Hasta la espuma*
Paroles de la chanson « Alfonsina y el mar »
Richard Bona – Vienne 2021
Alfonsina-Storni (1892-1938)
Belle surprise que cette version très touchante de « Alfonsina y el mar » par l’iconique bassiste de jazz Richard Bona et son complice, le pianiste cubain Alfredo Rodiguez depuis la scène du Festival de Jazz de Vienne (Isère), cet été 2021.
*Sur le sable fin léché par la mer
Cette petite empreinte qui n’apparaît plus,
Il ne reste qu’un sillage de silence et de peine
Jusque dans l´eau profonde
Un sentier de peines muettes
Qui avance dans l’écume.
Personne désormais ne s’étonne plus que les cadeaux de Noël, la fête à peine terminée, se retrouvent mis en ligne sur internet. Parce qu’ils n’ont pas plu, parce qu’ils ne sont pas à la bonne taille, qu’ils n’ont pas la couleur espérée, parce que… parce que…
Hors de question pour moi d’échapper à cette coutume nouvelle ; on a toujours une bonne raison de mettre en ligne un cadeau. J’ai donc décidé, moi aussi, de mettre en ligne celui que je viens de recevoir enrubanné dans les vœux électroniques d’un de mes amis… Et les raisons ne manquent pas : c’est une vieille vidéo de plus de quarante ans, qui sent fort la naphtaline, et en noir et blanc de surcroît.
Mais qu’on ne s’y méprenne pas, je n’ai pas dit que je souhaitais m’en séparer pour autant, loin s’en faut. Car l’odeur de placard mue bien vite en parfum d’un heureux passé, et derrière le grain de l’écran cathodique une voix aimée depuis son perchoir raconte la poésie du hasard, un soir de Noël, près du pont de l’Alma.
Oui, je mets en ligne ce cadeau… mais juste pour prolonger, en le partageant, le plaisir qu’il m’a procuré.
Il y a des cadeaux de Noël qu’il faut absolument mettre en ligne… pour remercier ceux qui ont eu la bonne idée de nous les offrir.
J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !
Rimbaud – Le bateau ivre
Quel voyage !
Depuis que Shakespeare, en 1600, lui fait subir le sort tragique que l’on sait, Ophélie, douce et tendre Ophélie, ne cesse, ainsi qu’un bateau ivre, de descendre les fleuves pas toujours impassibles de l’histoire et d’être transportée par les courants de toutes époques, de la plume du poète au pinceau du peintre, du noir et blanc de la portée aux couleurs de la pellicule.
Et puis au fil des ondes, un jour, s’installe pour un instant dans notre canapé, se glisse par surprise dans la chanson d’un chanteur à la mode et apaise même parfois la fureur électrique de ses guitares.
Ophélie sur écran cathodique, qui l’eût cru ? Dans la fumée blanche d’une cigarette de Gainsbarre… Dans la crinière blonde d’un romantique rockeur nommé Johnny…
Quel chemin parcouru depuis les vieux tréteaux au décor d’un palais d’Elseneur, d’où un jeune prince, perplexe ou fou, interpelait pour toujours l’humanité par sa simple question !
Démarrage de la chanson à 1:00
Tu t’en vas à la dérive
Sur la rivière du souvenir
Et moi, courant sur la rive,
Je te crie de revenir
Mais, lentement, tu t’éloignes
Et dans ma course éperdue,
Peu à peu, je te regagne
Un peu de terrain perdu.
De temps en temps, tu t’enfonces
Dans le liquide mouvant
Ou bien, frôlant quelques ronces,
Tu hésites et tu m’attends
En te cachant la figure
Dans ta robe retroussée,
De peur que ne te défigurent
Et la honte et les regrets.
Tu n’es plus qu’une pauvre épave,
Chienne crevée au fil de l’eau
Mais je reste ton esclave
Et plonge dans le ruisseau
Quand le souvenir s’arrête
Et l’océan de l’oubli,
Brisant nos cœurs et nos têtes,
A jamais, nous réunit.
≅
Un saule penché sur le ruisseau
Pleure dans le cristal des eaux
Ses feuilles blanches
Ophélie tressant des guirlandes
Vient présenter comme une offrande
Des fleurs, des branches
Pour caresser ses boutons d’or
Pour respirer son jeune corps
Le saule se penche
Mais sous elle un rameau se brise
Le saule en pleurs la retient prise
De part sa manche
Ophélie lui dit « qu’il est bon »
Quand le ruisseau dans un frisson
Casse la branche
Ophélie file au fil de l’eau
Qui vient gonfler son blanc manteau
Contre ses hanches
Son cri s’éteint comme une joie
La boue immonde où elle se noie
Prend sa revanche
Un saule penché sur le ruisseau
Pleure dans le cristal des eaux
Ses feuilles blanches
« Une rose d’automne est plus qu’une autre exquise » Agrippa d’Aubigné
Surtout quand une femme charmante vous l’offre un matin gris au jardin des délices.
Je m’y étais rendu en souris, comme souvent, avec, ce matin-là, le désir précis d’y rencontrer une fée qui m’aurait chanté dans la langue de Schubert, l’histoire d’une rose et d’un garçon que Goethe, jadis, racontait dans ses vers. Elles étaient nombreuses, les magiciennes à la voix de velours, à vouloir me séduire, mais une seule, qui s’était parée de la pourpre ensorcelante, ramenée sans doute des rivages wagnériens qu’elle habite souvent, réussit à m’envouter avec cette anodine mais charmante petite querelle d’amoureux : Heidenröslein.
Un garçon vit une petite rose de loin, Petite rose dressée sur la lande, Elle était jeune et belle comme un matin, Il courut de près la voir, Sa vue l’emplit de joie, Petite rose, petite rose, petite rose rouge, Petite rose de la lande.
Le garçon dit : que je te cueille, Petite rose de la lande ! La petite rose dit : que je te pique, Pour que tu penses à moi dans l’éternité Et je ne veux point l’endurer, Petite rose, petite rose, petite rose rouge, Petite rose de la lande.
Et le méchant garçon cueillit La petite rose de la lande, La petite rose piqua et se défendit, Il ne lui servit à rien de crier, de gémir, Et dut bien le souffrir, Petite rose, petite rose, petite rose rouge, Petite rose de la lande.
◊
« Un bon tiens, dit le proverbe, vaut mieux que deux tu l’auras ! » Mais à être trop sage on passerait souvent à côté de bien des bonheurs… Quel plaisir d’avoir cédé à l’irrépressible envie de continuer mon exploration à la recherche de la Dame à la rose.
Pour récompenser mon audace, une autre fée, totalement inconnue, vint à ma rencontre, discrètement cachée sous le sépia des vieilles photos. Elle avait découvert dans une biographie de Rainer Maria Rilke qu’avait écrite en 1927 un de nos académiciens, Edmond Jaloux, la lettre qu’il dévoilait d’une femme, anonyme, amie et admiratrice du poète, rédigée comme un hommage, en forme de souvenir, à l’auteur des inoubliables « Cahiers de Malte Laurids Brigge ».
De cette lecture, Fabienne Marsaudon – c’est le nom de la fée – avait composé une chanson intitulée, étrange coïncidence, « La dame à la rose ».
Elle me l’offrit, comme une rose, dans sa lumineuse simplicité. Une caresse pour l’âme. De ces caresses qui ne trouvent leur prolongement que dans la joie du partage.
Maurice Denis 1891 (Avril les anémones) collection privée
Un vieux dicton prétend que tout finit en France par une chanson. Et si, au contraire, pour une fois, tout commençait par une chanson…
Puisque le printemps est la saison du renouveau, de la renaissance, du re-commencement, pourquoi ne fêterions nous pas l’avènement de ce printemps 2014 en chantant ?
Et en chantant partout à travers le monde, à la manière de chaque pays que nous traverserions ensemble au cours de ce voyage immobile dont je voudrais qu’il soit un heureux prélude à nos saisons futures.
Mais si nous ne savons pas chanter, nous écouterons. Ce qui compte au fond dans le chant, ce n’est ni la voix qui sonne, ni l’oreille qui entend, mais simplement ce subtil courant d’émotion qui va d’un cœur qui donne vers un cœur qui reçoit.
Alors c’est parti, on s’fait la malle ! comme dirait notre guide français, grand-père Léo qui l’aime tant, notre langue.
Car, comment pourrait-il en être autrement, le voyage commence en France, évidemment, là où l’on entend le vent du nord prendre l’accent de Mistral.
Vanessa Paradis chante la chanson de Benjamin Biolay, extraite du nouvel album
« Love songs »
[Couplet 1]
Tant qu’on ne sait pas qu’on ne sait rien
Tant qu’on est de gentils petits chiens
Tant que la petite santé va bien
On n’est pas la queue d’un être humain
Tant qu’on ne sait pas le coup de frein
Qui vous brûle à vif un jour de juin
Tant qu’on ne sait pas que tout s’éteint
On ne donne quasi jamais rien
Tant qu’on ne sait pas que tout éreinte
Tant qu’on ne sait pas ce qu’est la vraie crainte
Tant qu’on n’a jamais subi la feinte
Ou regarder pousser le lierre qui grimpe
Tant qu’on n’a pas vu le ciel déteint
Flotter le cadavre d’un humain
Sur un fleuve nu comme un dessin
Juste un ou deux traits au fusain
[Refrain]
C’est une chanson, une chanson pour les vieux cons
Comme moi petite conne d’autrefois
C’est une chanson une chanson qui vient du fond de moi
Comme un puits sombre et froid
[Couplet 2]
Tant qu’on ne sait pas qu’on est heureux
Que là-haut ça n’est pas toujours si bleu
Tant qu’on est dans son nuage de « beuh »
Qu’on ne se dit pas je valais mieux
Tant qu’on n’a pas brûlé le décor
Tant qu’on n’a pas toisé un jour la mort
Tant qu’on a quelqu’un qui vous serre fort
On tombe toujours un peu d’accord
[Refrain]
C’est une chanson, une chanson pour les vieux cons
Comme toi, petit con d’autrefois
C’est une chanson, une chanson qui vient du fond de moi
Comme un puits sombre et froid
[Couplet 3]
Tant qu’on ne sait pas ce qu’est la fuite
Et la honte que l’on sait qu’on mérite
Tant qu’on danse au bal des hypocrites
Qu’on n’a jamais plongé par la vitre
Tant qu’on n’a pas vu brûler son nid
En quelques minutes à peine, fini
Tant qu’on croit en toutes ces conneries
Qui finissent toutes par « pour la vie ».
Finies les lumières brûlantes du bel été ; terminées les vertes randonnées ; oubliés les baisers de sel et les caresses mouillées! Déjà craquent nos pas sur les premières feuilles jaunies.
L’automne invite le flâneur nostalgique sur ses chemins de poésie.
Chantez poètes! Chantez pour nous votre automne d’ors et de rousseurs!
Ω
Chanson d’automne
Les sanglots longs Des violons De l’automne Blessent mon cœur D’une langueur Monotone.
Tout suffocant Et blême, quand Sonne l’heure,
Je me souviens Des jours anciens Et je pleure ;
Et je m’en vais Au vent mauvais Qui m’emporte Deçà, delà, Pareil à la Feuille morte.
Paul Verlaine
Ω
Il automne, à pas furtifs, Il automne à pas feutrés, Il automne à pas craquants Sous un ciel pourpre et doré. Sur les jardins dénudés Se reflètent. en transparence Les brumes d´automne rouillées, Rouillées Dans la forêt de tes cheveux Aux senteurs de poivres mêlés Et sur nos nuits de mi-novembre, Il automne miraculeux, Il automne miraculeux.
Il automne, il automne des chrysanthèmes Sur leurs deux cœurs endeuillés. Il automne des sanglots longs Sous un ciel gris délavé Et, de la gare au cimetière Où ils reviennent chaque année, De banc de bois en banc de pierre Et jusqu´à la dernière allée, On les voit d´escale en escale Qui n´en peuvent plus d´être vieux. Sur ce chemin de leur calvaire Qu´ils refont depuis tant des années, Il automne désespéré, Il automne désespéré.
Il automne, il automne, Il automne des pommes rouges Sur des cahiers d´écoliers. Il automne des châtaignes Aux poches de leur tablier.
Regarde les mésanges En haut du grand marronnier. Il y a des rouges-gorges Au jardin de Batignolles Et les enfants de novembre Croient que sont venus du ciel Ces petits oiseaux de plumes Échappés d’un arc-en-ciel. Pour les enfants de novembre Qui ramènent, émerveillés, Un peu de l´automne rousse Au fond de leur tablier, Il automne le paradis Bien plus beau que le paradis.
Il automne, il automne Il automne à pas furtifs, A pas feutrés, A pas craquants Et, sur nos nuits de mi-novembre, Il automne miraculeux, Miraculeux, mon amour…
Une petite chanson comme un souvenir des amours de vacances sous le soleil de Napoli.
Il est tout simplement question d’une petite bouche, celle de Cannetella, qui paraît une rose et à qui l’on demande un petit baiser, rien de plus, rien de moins, mais tout est dans la manière, n’est-ce pas?
Dire que le texte a été écrit par le poète et romancier italien Gabriele d’Annunzio n’a qu’un intérêt anecdotique. La musique a été composée par Paolo Tosti à la fin du XIXème siècle. L’homme connaissait son affaire, ayant composé plus de 500 romances et mélodies de salon, que le disquaire de l’époque, si la FNAC avait existé, aurait classées au rayon « Variétés ».
Chanson fraîche, chanson de charme, chanson d’amour aux mille interprétations – d’hier ou d’aujourd’hui, chanteurs d’opéra ou cantatrices, ténors ou sopranos, chanteurs de variétés ou guitaristes de rues…
« A VUCCHELLA »
J’ai choisi, pour mon partage avec vous, deux superbes voix d’hommes (une fois n’est pas coutume), deux ténors italiens, pour ne pas trop nous éloigner du séducteur napolitain, mais quels ténors!
J’aime à croire, Mesdames, que si ces deux là avaient donné la sérénade sous vos fenêtres un soir d’été, vous ne leur auriez pas refusé un « vasillo » (un petit baiser napolitain).
Un premier baiser à l’ancienne, légèrement désuet, d’abord, à tout seigneur tout honneur, pour Enrico Caruso, ténor d’anthologie, et pur napolitain .
♥
Le second, pour le regretté, l’enjôleur Luciano Pavarotti, ténor de velours.
Il va y avoir 35 ans bientôt que Jacques Brel repose à Hiva Oa, à l’ombre des cocotiers des îles Marquises. Et « six pieds sous terre, on l’aime encore » ce « Jojo » là.
Qui n’a pas chanté, fredonné ou siffloté ses chansons? Qui n’a pas écouté en boucle ses 45 tours, relevé son col contre le vent du Nord sur un quai d’ « Amsterdam » ; « inventé des perles de pluie » pour qu’un amour « ne le quitte pas », dansé comme un fou une « valse à mille temps » avec une « Mathilde » revenue.
Quelle âme n’est-elle pas, 35 ans après, caressée encore par les doux alizés des « Marquises » venus?
Ils parlent de la mort comme tu parles d’un fruit Ils regardent la mer comme tu regardes un puits Les femmes sont lascives au soleil redouté Et s´il n´y a pas d´hiver, cela n´est pas l´été La pluie est traversière, elle bat de grain en grain Quelques vieux chevaux blancs qui fredonnent Gauguin Et par manque de brise, le temps s´immobilise Aux Marquises
Du soir, montent des feux et des points de silence Qui vont s´élargissant, et la lune s´avance Et la mer se déchire, infiniment brisée Par des rochers qui prirent des prénoms affolés Et puis, plus loin, des chiens, des chants de repentance Et quelques pas de deux et quelques pas de danse Et la nuit est soumise et l´alizé se brise Aux Marquises
Le rire est dans le cœur, le mot dans le regard Le cœur est voyageur, l´avenir est au hasard Et passent des cocotiers qui écrivent des chants d´amour Que les sœurs d´alentour ignorent d´ignorer Les pirogues s´en vont, les pirogues s´en viennent Et mes souvenirs deviennent ce que les vieux en font Veux-tu que je te dise : gémir n´est pas de mise Aux Marquises
Ω
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Ω
Barbara (1930-1997) by JP Belz
Qui, comme Léonie, ce 9 octobre 1978, n’a pas senti cogner dans son cœur les battements de la pluie froide du Nord, scansion sinistre accompagnant une destinée qui s’épuise?
Qui, à « Nantes », à « Pantin » ou à « Göttingen », comme cette « Longue Dame brune », n’a pas trouvé pâlies les couleurs de Gauguin?
Cette « amoureuse » là qui chantonnait légère une « petite cantate » au bon vieux « temps du lilas » – Du temps de la rose offerte / Du temps des serments d’ amour / Du temps des toujours, toujours.
Il pleut sur l´île d´Hiva-Oa. Le vent, sur les longs arbres verts Jette des sables d´ocre mouillés. Il pleut sur un ciel de corail Comme une pluie venue du Nord Qui délave les ocres rouges Et les bleus-violets de Gauguin. Il pleut. Les Marquises sont devenues grises. Le Zéphir est un vent du Nord, Ce matin-là, Sur l´île qui sommeille encore.
Il a dû s´étonner, Gauguin, Quand ses femmes aux yeux de velours Ont pleuré des larmes de pluie Qui venaient de la mer du Nord. Il a dû s´étonner, Gauguin, Comme un grand danseur fatigué Avec ton regard de l´enfance.
Bonjour monsieur Gauguin. Faites-moi place. Je suis un voyageur lointain. J´arrive des brumes du Nord Et je viens dormir au soleil. Faites-moi place.
Tu sais, Ce n´est pas que tu sois parti Qui m´importe. D´ailleurs, tu n´es jamais parti. Ce n´est pas que tu ne chantes plus Qui m´importe. D´ailleurs, pour moi, tu chantes encore, Mais penser qu´un jour, Les vents que tu aimais Te devenaient contraire, Penser Que plus jamais Tu ne navigueras Ni le ciel ni la mer,
Plus jamais, en avril, Toucher le lilas blanc, Plus jamais voir le ciel Au-dessus du canal. Mais qui peut dire? Moi qui te connais bien, Je suis sûre qu’aujourd’hui Tu caresses les seins Des femmes de Gauguin Et qu´il peint Amsterdam. Vous regardez ensemble Se lever le soleil Au-dessus des lagunes Où galopent des chevaux blancs Et ton rire me parvient, En cascade, en torrent Et traverse la mer Et le ciel et les vents Et ta voix chante encore. Il a dû s´étonner, Gauguin, Quand ses femmes aux yeux de velours Ont pleuré des larmes de pluie Qui venaient de la mer du Nord. Il a dû s´étonner, Gauguin.
Souvent, je pense à toi Qui a longé les dunes Et traversé le Nord Pour aller dormir au soleil, Là-bas, sous un ciel de corail. C´était ta volonté. Sois bien. Dors bien. Souvent, je pense à toi.
Je signe Léonie. Toi, tu sais qui je suis, Dors bien.
Rappelle-toi Barbara Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là Et tu marchais souriante Épanouie ravie ruisselante Sous la pluie Rappelle-toi Barbara Il pleuvait sans cesse sur Brest Et je t’ai croisée rue de Siam Tu souriais Et moi je souriais de même Rappelle-toi Barbara Toi que je ne connaissais pas Toi qui ne me connaissais pas Rappelle-toi Rappelle-toi quand même ce jour-là N’oublie pas Un homme sous un porche s’abritait Et il a crié ton nom Barbara Et tu as couru vers lui sous la pluie Ruisselante ravie épanouie Et tu t’es jetée dans ses bras Rappelle-toi cela Barbara Et ne m’en veux pas si je te tutoie Je dis tu à tous ceux que j’aime Même si je ne les ai vus qu’une seule fois Je dis tu à tous ceux qui s’aiment Même si je ne les connais pas Rappelle-toi Barbara N’oublie pas Cette pluie sage et heureuse Sur ton visage heureux Sur cette ville heureuse Cette pluie sur la mer Sur l’arsenal Sur le bateau d’Ouessant Oh Barbara Quelle connerie la guerre Qu’es-tu devenue maintenant Sous cette pluie de fer De feu d’acier de sang Et celui qui te serrait dans ses bras Amoureusement Est-il mort disparu ou bien encore vivant Oh Barbara Il pleut sans cesse sur Brest Comme il pleuvait avant Mais ce n’est plus pareil et tout est abimé C’est une pluie de deuil terrible et désolée Ce n’est même plus l’orage De fer d’acier de sang Tout simplement des nuages Qui crèvent comme des chiens Des chiens qui disparaissent Au fil de l’eau sur Brest Et vont pourrir au loin Au loin très loin de Brest Dont il ne reste rien.
Jacques Prévert
Δ
Les feuilles mortes
Oh ! je voudrais tant que tu te souviennes Des jours heureux où nous étions amis. En ce temps-là la vie était plus belle, Et le soleil plus brûlant qu’aujourd’hui. Les feuilles mortes se ramassent à la pelle. Tu vois, je n’ai pas oublié… Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, Les souvenirs et les regrets aussi Et le vent du nord les emporte Dans la nuit froide de l’oubli. Tu vois, je n’ai pas oublié La chanson que tu me chantais.
C’est une chanson qui nous ressemble. Toi, tu m’aimais et je t’aimais Nous vivions tous les deux ensemble, Toi qui m’aimais, moi qui t’aimais. Mais la vie sépare ceux qui s’aiment, Tout doucement, sans faire de bruit Et la mer efface sur le sable Les pas des amants désunis.
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy