« Le véritable amour, toujours modeste, n’arrache pas ses faveurs avec audace, il les dérobe avec timidité. […] »
Jean-Jacques Rousseau
Van Dyck – double portrait de couple – 1619
Serge Reggiani, longtemps après Jean-Jacques Rousseau, porte un même juste regard sur le couple qui se continue à travers les ans.
Les valeurs vraies ne subissent pas, au fond, les déprédations du temps qui passe. Elles ne s’altèrent pas, mais s’adaptent aux formes et aux langages des saisons de l’homme.
« Pour s’éprendre d’une femme, il faut qu’il y ait en elle un désert, une absence, quelque chose qui appelle la tourmente, la jouissance. »
Christian Bobin (« La part manquante »)
Joseph Monin – Femme assise (1967)
Qui, mieux que Christian Bobin, sait moucheter l’acuité d’un juste regard sur l’humain par autant de tact, d’empathie et de sensibilité poétique ?
Il observe avec cette pudique discrétion qui lui est propre la relation finissante d’un couple dans le parc du Musée Rodin.
Que celui, que celle, qui ne se reconnaît pas dans ses phrases lève le doigt !
Francis Poulenc a toujours exprimé un grand attachement à ses mélodies. Un jour, un critique éminent lui demanda pourquoi il écrivait encore ce genre de musique, peut-être un peu démodée après Debussy, Fauré et Ravel. Poulenc lui répondit ceci : « Je voudrais bien savoir pourquoi cette forme serait périmée. Il me semble que tant qu’il y aura des poètes, on pourra écrire des mélodies. »
Des mélodies d’amour… Un 14 février !
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– Mélodie légèrement érotique, féminine et élégante comme les vers de Louise de Vilmorin avec lesquels elle s’accouple harmonieusement :
ELLE
Officiers de la garde blanche
Officiers de la garde blanche, Gardez-moi de certaines pensées la nuit. Gardez-moi des corps à corps et de l’appui D’une main sur ma hanche. Gardez-moi surtout de lui Qui par la manche m’entraîne Vers le hasard des mains pleines Et les ailleurs d’eau qui luit. Épargnez-moi les tourments en tourmente De l’aimer un jour plus qu’aujourd’hui, Et la froide moiteur des attentes Qui presseront aux vitres et aux portes Mon profil de dame déjà morte. Officiers de la garde blanche, Je ne veux pas pleurer pour lui Sur terre. Je veux pleurer en pluie Sur sa terre, sur son astre orné de buis, Lorsque plus tard je planerai transparente, Au-dessus des cent pas d’ennui. Officiers des consciences pures, Vous qui faites les visages beaux, Confiez dans l’espace au vol des oiseaux Un message pour les chercheurs de mesure Et forgez pour nous des chaines sans anneaux.
Louise de Vilmorin
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– Nostalgique, au rythme des pas de Jean Anouilh qui marche vers la mer à la recherche du souvenir des jours heureux sur les chemins de l’amour :
LUI
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– Mélodie partagée dans un dialogue d’amoureux, balançant entre dépit et désir et dont on imagine volontiers qu’il n’est pas né du hasard sous la plume de Paul Valéry qui, on le sait, aima jusqu’à en mourir.
EUX
Colloque
LUI D’une rose mourante L’ennui penche vers nous Tu n’es pas différente Dans ton silence doux De cette fleur mourante ; Elle se meurt pour nous. Tu me sembles pareille À celle dont l’oreille Était sur mes genoux À celle dont l’oreille Ne m’écoutait jamais! Tu me sembles pareille À l’autre que j’aimais : Mais de celle ancienne Sa bouche était la mienne
ELLE Que me compares-tu quelque rose fanée? L’amour n’a de vertu que fraîche et spontanée Mon regard dans le tien Ne trouve que son bien Je m’y vois toute nue! Mes yeux effaceront Tes larmes qui seront d’un souvenir venues Si ton désir naquit qu’il meure sur ma couche Et sur mes lèvres qui t’emporteront la bouche.
Irrépressible et trop humaine curiosité de découvrir ce que cache le secret royaume des morts, ou ardente et juvénile impatience de retrouver l’âme sœur qu’il pensait détenue à tout jamais au tréfonds des ténèbres éternelles et du silence, Orphée se retourne vers sa bienaimée à l’instant même où il va réaliser son vœu le plus cher : la ramener à la lumière.
Rompu le pacte avec Hadès. Eurydice disparait définitivement dans les brumes de l’Enfer.
Pierre Lacour père – Orphée perdant Eurydice -1805 (Bordeaux)
A moins que, comme veulent nous le faire admettre quelques plumes contemporaines telles que Cocteau – rejoignant ici Offenbach – ou, plus vivement encore, la suédoise Ebba Lindqvist, Eurydice, en femme moderne désireuse de manifester son indépendance, n’ait voulu prendre seule son destin en charge et n’ait délibérément refusé de suivre Orphée, préférant demeurer ombre vouée au silence des abysses plutôt que revenir à la lumière en épouse soumise.
Qui avait dit que je voulais te suivre, Orphée ? Pourquoi étais-tu si sûr de me chercher ici ? De me forcer pas à pas en arrière ?
…
[…] Je choisis de vivre dans l’Hadès. Ce ne fut pas le serpent qui me choisit. Ce fut moi qui choisis le serpent. Je le vis dans la prairie entre les fleurs. Je désirai le venin. D’abord ici, au pays des ténèbres, j’ai la force de vivre.
Giovanni Antonio Burrini – Orphée et Eurydice 1697
En toute hypothèse cependant, que l’on s’en tienne aux interprétations classiques du chant IV des Géorgiques de Virgile et du livre X des Métamorphoses d’Ovide, ou que l’on adopte la vision moderne du mythe recomposé qui accorde une place plus conséquente à une Eurydice devenue, hélas, féministe radicale, notre pauvre Orphée abandonné à son fantasme n’a plus désormais pour compagne et amie que sa lyre.
Avec elle, il chante sa déchirante plainte, « J’ai perdu mon Eurydice », qui, pour aussi belle qu’elle soit, ne changera plus son triste sort de veuf inconsolé. Et c’est en cela sans doute que la mort est belle, qui « seule donne à l’amour son vrai climat », comme le disait Jean Anouilh.
Michael Putz-Richard 19ème
Mais ne pourrait-on pas imaginer, comme on le fit jadis avec le nez de Cléopâtre, le nouveau geste de clémence qu’Hadès eût consenti, ou la métamorphose rétrograde qu’eût subie la moderne Eurydice, si le Dieu ou l’épouse, selon l’hypothèse envisagée, avait entendu la plainte d’Orphée ainsi chantée ?
Eussions-nous dû nous en plaindre ou nous en réjouir, nul ne le sait, mais la splendeur céleste de la voix qui, assurément, aurait attendri Eurydice ou charmé Hadès une seconde fois, aurait indéniablement reformé le couple mythique.
Franco Fagioli eût-il été le Cyrano d’Orphée, la face du monde…
Le contre-ténor Franco Fagioli chante « Che faró senza Euridice » (J’ai perdu mon Eurydice), extrait de l’opéra de Gluck « Orphée et Eurydice ». Voix enregistrée au Château de Versailles le 7 novembre 2013. Il ne semble pas exister actuellement d’enregistrement de cette interprétation dans le commerce, et c’est bien regrettable.
Même quand nous dormons nous veillons l’un sur l’autre Et cet amour plus lourd que le fruit mûr d’un lac Sans rire et sans pleurer dure depuis toujours Un jour après un jour une nuit après nous.
» On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit : j’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois ; mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. » Alfred de Musset
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Éternels gestes de l’amour, pantomime universelle, danse rituelle spontanément éclose au fond des âges ; chorégraphie naturelle des corps, jamais apprise et cependant sue ; magie toujours recommencée et chaque fois différente d’un souffle de création unique, épiphanie du divin, fusion de deux êtres de chair dans l’indicible lumière d’une éphémère union :
Deux amants, dans l’intimité de leur chambre d’amour.
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Deux exceptionnels danseurs, Lucia Lacarra et Cyril Pierre, un chorégraphe inspiré, Val Caniparoli, et un musicien (au hasard), Frédéric Chopin, et nous voilà transportés dans la chambre des amants. Désormais, grâce à eux, spectateurs émerveillés d’un pas d’amour que la pudeur du couple blotti dans sa nuit aurait encore dissimulé à la curiosité de nos regards envieux.
Aimer !
Vidéo visible en HD (roue dentelée en bas et à droite de l’image)
En ces temps là, quand on avait dit « oui », c’était évidemment pour la vie… Et le couple tenait bon!
Depuis le dernier tiers du XXème siècle, avec l’augmentation du nombre et de la fréquence des divorces, la question n’a cessé d’occuper les esprits : Comment donc faisaient nos aînés pour donner autant de longévité à leurs unions?
Les sociologues, avec ce talent de faire parler les courbes qui leur est propre, ont multiplié les explications à l’infini. Mais je ne me souviens pas qu’ils aient développé une seule fois cet argument péremptoire qui suppose tout simplement que nos grands-mères étaient plus « intelligentes » que nos épouses – Pardon Mesdames! – (ou plus naïves, peut-être?), et nos grands-pères plus « honnêtes » que nous-mêmes – Pardon Messieurs! – (ou plus habiles peut-être?).
A l’évidence les observateurs n’avaient pas accordé suffisamment d’intérêt à cette scène délicieuse du film réalisé en 1949 par Henri Jeanson, « Lady Paname », où Louis Jouvet, dans le rôle d’un très malin photographe, explique avec force conviction à son épouse, qu’il remercie de toutes ses grâces, comment elle sait faire de lui un mari aussi « fidèle »…
Un modèle de casuistique!
Vera Norman (Oseille) – Jane Marken (L’épouse) – Suzy Delair (Caprice)
» Dante, pourquoi dis-tu qu’il n’est pire misère Qu’un souvenir heureux dans les jours de douleur ? Quel chagrin t’a dicté cette parole amère, Cette offense au malheur ? «
Alfred de Musset (Souvenir)
Remember when…
C’est d’abord le titre d’une jolie chanson écrite et interprétée par un artiste incontournable de la musique « Country » américaine.
C’est aussi le titre de la très touchante vidéo d’animation que les studios Pixar (Disney) ont réalisée pour illustrer les paroles de la chanson.
Images simples, sans prétention, sensibles, naïves au goût de certains, mais chargées d’une saine émotion soutenue par la tendre mélodie et la voix caressante d’Alan Jackson.
Tout y semble si réel… Si poétique aussi!
Souviens-toi quand
J’étais jeune
Et toi aussi
Le temps semblait tranquille
Et l’amour était tout ce que nous possédions
Tu étais la première
Et j’étais le premier
Nous avons fait l’amour
Et puis tu as pleuré
Souviens-toi quand…
Souviens-toi quand
Nous avons fait des vœux
Nous nous sommes promenés
Avons échangé nos cœurs
Pris ensemble un départ
Oui c’était difficile
Nous avons vécu et appris
La vie nous a donné des soucis
Nous avons connu des joies
Bien des difficultés aussi
Souviens-toi quand…
Souviens-toi quand
Nos anciens sont morts
Quand nos enfants sont nés
Comme la vie changeait alors
Détruits, réconfortés
Nous nous sommes retrouvés
Éclatés en morceaux
Et nos cœurs brisés
Souviens-toi quand…
Souviens-toi quand
Le bruit des petits pas
Était notre musique
Nous dansions
Semaine après semaine
L’amour était revenu
La confiance rétablie
Promise à ne plus être abandonnée
Souviens-toi quand…
Souviens- toi quand
La trentaine semblait si vieille
Maintenant regarde en arrière
Il n’y a qu’un pas
Jusqu’à aujourd’hui
Ce jour-là nous nous sommes
Dit que nous referions pareil
Souviens-toi quand…
Souviens-toi quand
Nous avons imaginé
Nos cheveux grisonnants
Que les enfants
Grandiraient et partiraient
Que nous ne serions pas tristes
Que nous serions très heureux
Pour toute la vie que nous aurions
Et dont nous nous souviendrons quand…
Souviens-toi quand…
Ω
Et plus tard, quand il ne reste plus de place dans le cœur que pour les souvenirs…
Ω
» Je me dis seulement : » À cette heure, en ce lieu, Un jour, je fus aimé, j’aimais, elle était belle. « J’enfouis ce trésor dans mon âme immortelle, Et je l’emporte à Dieu ! «
Elle est belle, et ses chansons, qui puisent leur inspiration dans ses origines bambaras, quelque part au Mali près du delta du Niger, sont un enchantement.
Pour que sa musique reflète complètement les sonorités traditionnelles de son Afrique, elle appelle autour de sa voix délicate et de sa guitare les instruments du pays, tels le balafon, le djembé et le n’goni.
Vous la connaissez et l’appréciez sans doute déjà. Depuis 1997, année de ses débuts, elle ne cesse de séduire tous les publics, bien au-delà de ceux qui réservent leurs oreilles aux « musiques du monde ».
Il s’agit, bien sûr, de Rokia Traoré.
Je ne serais pas étonné que nous soyons nombreux à connaître et aimer ce très bel enregistrement de 2004, « Bownboï », dont la pochette illustre ce billet, et dont les mélodies bercent souvent mes soirées.
Alors, pour le plaisir du partage, avec ceux qui la découvriront ou ceux qui se réjouiront d’une nouvelle écoute, deux vidéos puisées dans le butin de mon dernier hold-up de la banque Youtube.
M’Bifo
C’est un hymne à l’aimé, pour le remercier du bonheur qu’il donne en formant le couple. Un chant de reconnaissance simple, pur et profond, enveloppé d’une tendre douceur.
« Merci mon aimé, merci Ô chéri
« De l’époque de ma solitude, je t’ai amené un contenant vide
« Tu me l’as rempli d’amour, tu me l’as rempli de bonheur »
Φ
Kélé Mandi
Chant doucereux sur la difficile union de deux êtres, qui se termine par cette parole de sagesse qu’il faudrait enseigner très tôt et à tous :
Elle : Danseuse étoile au Bolchoï et au Théâtre Mikhailovsky. Elle devrait faire les beaux jours du Royal Ballet de Londres dans les prochaines semaines. Natalia ne compte plus ses récompenses, largement méritées. Elle a quitté très jeune la gymnastique pour la danse. Quelle bonne idée! Les maîtres de ballet n’ont pas tardé à la rechercher pour lui confier les rôles principaux des grandes chorégraphies sur les scènes de référence. C’est aujourd’hui une étoile mondiale de la danse que les plus éminentes personnalités de cet univers n’hésitent pas à comparer à Maïa Plissetskaïa… Tout simplement!
Chez elle, le talent et l’énergie sont habillés de grâce, de légèreté, et de délicatesse féminine. La regarder évoluer fait tant de bien que les billets pour ses spectacles devraient être pris en charge par la Sécurité Sociale.
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Ivan Vasiliev
Lui : Danseur étoile au Bolchoï et au Théâtre Mikhaïlovsky. Il a rejoint, à l’âge de 17 ans, les rangs du temple moscovite de la danse, après avoir été repéré par l’American Ballet Theatre. Doté d’une technique exceptionnelle, il est considéré comme le nouveau Mikhaïl Barychnikov, pas moins. Quand on l’admire dans ses formidables sauts, aucune autre référence ne vient à l’esprit que celle de son illustre prédécesseur.
Chez lui tout est puissance contrôlée et charme viril.
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Ivan-Vasiliev & Natalia-Osipova
Ensemble : C’est d’abord un couple, tout bonnement, et qui prend ostensiblement un réel plaisir à prolonger sur scène l’entente conjugale. Et de quelle manière! Pour notre bonheur de spectateur, Natalia et Ivan incarnent les amoureux des plus célèbres ballets, « Roméo et Juliette », « Don Quichotte », « Giselle », « Flammes de Paris » et tant d’autres.
Incontestablement ce couple fait partie de ce que la danse a de meilleur.
En voici quelques exemples :
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Couple moderne : scène de ménage, scène d’amour, acte d’amour, séparation, retrouvailles, transes. Une danse fusionnelle (extraite du ballet « Cantata »du chorégraphe italien Mauro Bigonzetti), qui transforme les péripéties de ce couple en une forme de magie hypnotique, exacerbant le voyeurisme du spectateur ensorcelé par la mélodie lancinante d’un trio « de rue », voix, saxophone, accordéon.
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Couple révolutionnaire : dansant joyeusement au pied de la Bastille, sous le drapeau tricolore qui porte les stigmates des violences qui lui ont donné naissance. C’est un extrait du ballet composé en 1932 par Boris Assafiev, « Flammes de Paris » ; celles de 1789.
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy