« Le huitième jour de la semaine, voyez-vous, ce doit être quelque chose comme cela : un instant où les choses s’effacent dans les fêtes qu’elles annoncent. »
Christian Bobin (24/04/1951 – 23/11/2022)
A la mémoire de Christian Bobin parti vers le « Très haut » ce 23 novembre.
Claude Monet – Coin de jardin à Montgeron (Musée de l’Hermitage)
Si l’on me demandait, me privant de l’usage des mots, de définir la mélancolie, je donnerais aussitôt à entendre la barcarolle ‘Juin’ composée par Tchaikovsky.
Dans l’interprétation de Vadim Chaimovich, par exemple :
Mourir persuadés qu’il n’y a pas de plus beau voyage.
Vincenzo Cardarelli
Ray Donley
Seuls les poètes, je crois, peuvent interpeller la mort sans crainte ni défiance. L’adjurer même, avec la simplicité et l’humilité de l’homme qui sait. Et avec éventuellement ce soupçon d’humour qui pourrait presque le rendre invincible…Presque !
Le poète italien Vincenzo Cardarelli adresse à la mort son vœu ultime.
Por la blanda arena que lame el mar Su pequeña huella no vuelve más Un sendero solo de pena y silencio llegó Hasta el agua profunda
Un sendero solo de penas mudas llegó
Hasta la espuma*
Paroles de la chanson « Alfonsina y el mar »
Richard Bona – Vienne 2021
Alfonsina-Storni (1892-1938)
Belle surprise que cette version très touchante de « Alfonsina y el mar » par l’iconique bassiste de jazz Richard Bona et son complice, le pianiste cubain Alfredo Rodiguez depuis la scène du Festival de Jazz de Vienne (Isère), cet été 2021.
*Sur le sable fin léché par la mer
Cette petite empreinte qui n’apparaît plus,
Il ne reste qu’un sillage de silence et de peine
Jusque dans l´eau profonde
Un sentier de peines muettes
Qui avance dans l’écume.
Mémorial du 11/09/2001 – World Trade Center – New York
Oh, little child, see how the flowe You plucked bleeds on the iron ground; Bend down, your ears may catch its voice, A passionless low sobbing sound.
Oh, Man, put up your sword and see The brother that you dig to death; There is no hatred in his eye, No curses crackle in his breath.
Henry Treece (poète anglais – 1911-1966)
Oh, petit enfant, vois comme la fleur
Que tu cueilles saigne sur la terre de fer
Penche-toi, tes oreilles peuvent capter sa voix
Un flot de sanglots bas et sans passion
Oh, homme, relève ton épée et vois Le frère que tu as fait mourir Il n’y a pas de haine dans ses yeux Aucune malédiction n’exhale de son souffle
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No man is an island, entire of itself; every man is a piece of the continent, a part of the main. If a clod be washed away by the sea, Europe is the less, as well as if a promontory were, as well as if a manor of thy friend’s or of thine own were: any man’s death diminishes me, because I am involved in mankind, and therefore never send to know for whom the bell tolls; it tolls for thee.
John Donne – Meditation #17 ‘Devotions upon Emergent Occasions’ (1623)
« Nul homme n’est une île, un tout en soi ; chaque homme est part du continent, part du large ; si une parcelle de terre est emportée par les flots, pour l’Europe c’est une perte égale à celle d’un promontoire, autant que pour toi celle d’un manoir de tes amis ou même du tien. La mort de tout homme me diminue parce que je suis membre du genre humain. Aussi n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas : il sonne pour toi. »
« Les Don Quichotte vont de l’avant, les yeux fixés
« sur la pointe de la lance où flotte la bannière de l’Idée. »
Kostas Karyotakis
Museo Iconográfico del Quijote – Guanajuato
Un poète grec des années 1920, Kostas Karyotakis, regarde depuis son désenchantement personnel, comme dans un miroir peut-être, l’image à la fois drôle et dramatique du célèbre chevalier à la triste figure, mon vieux compagnon de toujours.
Premiers enchantements de l’été. Glisser son pas léger dans celui du poète et poursuivre, avec lui, jusqu’à l’extase, les voluptueux caprices de l’aube…
Aube
J’ai embrassé l’aube d’été.
Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché, réveillant…
« Quant à la poésie, elle est la parole de la parole. Elle est à la pointe du langage, cette énergie qui refait notre vocabulaire et le place en situation de récréation vitale. C’est un outre-dit, une… »
Dominique Ponnau (Directeur honoraire de l’École du Louvre)
« Entidade » – Yamandu Costa et Mônica Salmaso
« Entidade » (que j’ai voulu traduire par ange-gardien), c’est le titre d’une des nombreuses chansons brésiliennes composées par le magistral guitariste Yamandu Costa sur des textes de son illustre aîné, le grand poète brésilien contemporain Paulo-Cesar Pinheiro.
Filtrant entre les voiles sonores, pâles et ombreux, que tissent les cordes d’une guitare, la douceur rassurante d’une voix amie évoque le mystère de cette invisible présence supposée nous accompagner toujours.
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy