« Elle est venue la nuit de plus loin que la nuit… »
Auguste Raynaud,(1854 – 1937) – ‘La Nuit‘ – 1887
Des tableaux nocturnes d’artistes pas toujours très connus, et le superbe prélude de la « Suite Bergamasque » de Claude Debussy pour illustrer le merveilleux poème ‘La Nuit’publié en 1942 par Claude Roy.
Une conversation imaginaire, sous les étoiles, entre les arts…
Hommage à la Beauté, qu’elle vienne du ciel profond ou qu’elle sorte de l’abîme... !
La nuit, le silence, l’insomnie… le dernier sommeil :
‘Du fond du corps’
Un poème, aussi court que dense, conformément à son habitude, de cet autre grand poète portugais qui savait si bien ce que la musique doit au silence :
« La musique qui sort de mes doigts aime le silence, et l’ambition ultime du poète est de l’intégrer dans le coin des mots ».
Écho, sans doute, à cette autre de ses observations poétiques :
J’entends courir la nuit par les sillons Du visage – on dirait qu’elle m’appelle, Que soudain elle me caresse, Moi, qui ne sais même pas encore Comment assembler les syllabes du silence Et sur elles m’endormir.
Splendeur parmi les splendeurs de la musique que forme la série des « Quatre derniers lieder » de Richard Strauss, « Im abendrot » (Au soleil couchant), est un hymne à la nuit qui vient. Chant serein, hommage…
Soprano : Anja Harteros Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks Direction Mariss Jansons
‘Élévation à la lune‘ : sonnet d’un jeune provincial, Paul Valéry, publié le 15 octobre 1889 dans Le « Courrier libre ».
C’est à cette période que le poète tisse des relations épistolaires intenses avec Pierre Louÿs d’abord, puis avec André Gide. L’heure est venue pour lui d’abandonner cette part de féminité d’esprit qui, en lien avec le climat du temps, l’avait quelque peu envahi.
Trop discrète ? Trop pudique ? Intimidée sans doute ?
[…]
Bref ! Vous croyez, charmante Elvire, que votre silence, quelle qu’en soit sa raison, gardera secrets les dévergondages de votre nuit dernière entre adultes consentants. Comme vous faites erreur ! Big Brother a les photos…!
Mieux, la vidéo !
Freedom Ballet
Σ
Quant à votre journée… Chacun de vos gestes est enregistré. Depuis la première minute de votre réveil…
Léon Spilliaert (1881-1946) – Digue de nuit – 1908
Effet de soir
Cette nuit, au-dessus des quais silencieux, Plane un calme lugubre et glacial d’automne. Nul vent. Les becs de gaz en file monotone Luisent au fond de leur halo, comme des yeux.
Et, dans l’air ouaté de brume, nos voix sourdes Ont le son des échos qui se meurent, tandis Que nous allons rêveusement, tout engourdis Dans l’horreur du soir froid plein de tristesses lourdes.
Comme un flux de métal épais, le fleuve noir Fait sous le ciel sans lune un clapotis de vagues. Et maintenant, empli de somnolences vagues, Je sombre dans un grand et morne nonchaloir.
Avec le souvenir des heures paresseuses Je sens en moi la peur des lendemains pareils, Et mon âme voudrait boire les longs sommeils Et l’oubli léthargique en des eaux guérisseuses.
Mes yeux vont demi-clos des becs de gaz trembleurs Au fleuve où leur lueur fantastique s’immerge, Et je songe en voyant fuir le long de la berge Tous ces reflets tombés dans l’eau, comme des pleurs,
Que, dans un coin lointain des cieux mélancoliques, Peut-être quelque Dieu des temps anciens, hanté Par l’implacable ennui de son Éternité, Pleure ces larmes d’or dans les eaux métalliques.
Henry Fuselli – Titania et Bottom (Songe d’une nuit d’été)
« J’ai fait un rêve extraordinaire, un rêve comme l’esprit humain ne peut en concevoir, un rêve qui avait l’air d’une réalité mais qui était comme un rêve – On passerait pour un âne à prétendre expliquer un pareil songe. »
Shakespeare – Le songe d’une nuit d’été (Bottom, Acte IV Scène 1)
Aussi, cher Bottom, personne ici ne se risquerait à provoquer le sort qui vous a déjà coiffé de cette tête d’âne. Chacun se chargera bien lui-même de trouver son chemin dans l’épaisseur de cette forêt magique à travers le labyrinthe d’étranges intrigues amoureuses qui s’y développent entre elfes et fées, sur fond de mise en abyme théâtrale.
Paul Gervais – Folie de Titania – 1897 (Songe d’une nuit d’été)
Personne, soyez en assuré, ne se mêlera de la scène de ménage qui oppose la reine des fées, Titania, à son époux, le roi des elfes, Obéron.
Thomas Stothard (1755-1834) – Oberon et Titania (A Midsummer Night’s Dream)
Nul, je le promets, ne cherchera le secret de Puck, le facétieux lutin, qui aura profité du sommeil de la fée pour la rendre amoureuse du premier venu…
Joshua Reynolds (1723-1792) – Puck (Songe d’une nuit d’été)
Mais tous, n’en doutez point, vous envieront, cher âne, d’avoir été, cette nuit, cet heureux-là…
Edwin Landseer -Titania et Bottom (Scène du Songe d’une nuit d’été) – 1848
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Les songes, et à fortiori quand ils ont trouvé leur souffle dans les imaginaires des plus brillants artistes, ont deux particularités essentielles : la première, c’est qu’ils ne meurent, ni ne vieillissent jamais ; la seconde, c’est qu’ils se racontent éternellement, s’accommodant à qui mieux mieux des talents les plus variés de leurs passeurs.
Cependant – et je gage que l’affirmation sera largement partagée – l’un deux, et pas des moindres, Félix Mendelssohn, me semble avoir été le plus inspiré d’entre tous. Peut-être parce que, jeune musicien génial de 17 ans, Félix avait déjà offert à sa sensibilité créatrice de pénétrer le monde merveilleux des elfes et des gnomes. Lorsque, compositeur de 34 ans, pleinement affirmé , il écrit la musique de scène pour la comédie de Shakespeare, « Ein sommernachtstraum » (Songe d’une nuit d’été), il jette sur la pièce de théâtre un éclat du plus heureux effet. Au point que Franz Liszt écrira quelques années plus tard, à propos du « Songe », cet hommage lumineux :
« Personne ne sut, comme lui, décrire le parfum d’arc-en-ciel, le chatoiement nacré de ces petits lutins, rendre le brillant apparat d’une cérémonie de mariage à la cour. »
Des huit pièces qui composent cette musique, parmi les plus belles du Maestro, et même si l’une d’elle n’est autre que cette sempiternelle « marche nuptiale » que l’on sert sur tous les tons à tous nos mariages et à leurs parodies, le Scherzo qui suit immédiatement l’Ouverture n’a jamais cessé de stimuler mon enthousiasme. Musique qui chante, qui danse, qui appelle à la liesse insouciante, et qui obstinément tient à nous rappeler que la vie, au fond, n’est qu’un rêve, un divertissement, une plaisanterie.
Allez, pour entrer dans la danse, rejoignons les images qui accompagnaient ce magnifique scherzo – ou l’inverse – dans le film « A Midsummer Night’sDream », de William Dieterle et Max Reinhardt, en 1935 :
Et continuons le rêve, car il ne faut que dix doigts, dix doigts seulement, à Yuja Wang pour jouer la transcription pour piano qu’en faisait Rachmaninov à la même époque :
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Et Puck de conclure, évidemment :
« Ombres que nous sommes, si nous avons déplu, figurez-vous seulement (et tout sera réparé) que vous n’avez fait qu’un somme, pendant que ces visions vous apparaissaient »
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy