Il y a séparation…

Vient de paraître sur « De Braises et d’Ombre » :

Il y a séparation…

Et pourtant les deux plaies essentielles qui rongent le monde, il est encore possible de les nommer. Je les démasque : confusion, séparation.

Arthur Adamov

Jan Matejko – Vieil homme – 1858

« Ce qu’il y a »

Un court extrait de « Je… Ils… » publié par Arthur Adamov en 1969, peu avant sa fin tragique par overdose.

Quelques lignes introspectives révélatrices des préoccupations métaphysiques de l’auteur rongé par ses névroses, illustrées ici par d’émouvants portraits d’hommes, tout droit sortis des brosses de quelques Maîtres de la discipline.

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« Un seul homme est né… »

Vient de paraître sur « De Braises et d’Ombre » :

« Un seul homme est né… »

‘La Historia Universal es la de un solo hombre.’

Jorge Luis Borges (« Historia de la eternidad » – 1936)

Jorge Luis Borges (1899-1986 ).
Photo by Ulf Andersen / Getty Images

Un seul homme est né, un seul homme est mort sur la terre.

Affirmer le contraire est pure statistique : l’addition est impossible.

[…]

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Moi, j’ai un rêve !

Vient de paraître sur « De braises et d’ombre » :

Moi, j’ai un rêve !

André Martins de BarrosPositif-Négatif

Les poèmes de Anderson Braga Horta, les plus connus et les plus significatifs ont pour protagoniste l’homme vu sous ses aspects transcendantaux, un homme qui ne se contente de satisfaire ses besoins matériels ni ne se limite somme toute à son état physique. Le corps de cet homme est si fragile que la moindre adversité, la moindre pression externe, peuvent le réduire à néant, mais « sa tête chante », son esprit s’oppose à l’omnipuissance de la mort pour déclarer avec un orgueil presque insolent : « Moi, j’ai un rêve. Et, puisque j’ai un rêve, je suis un Homme ». (François Olègue)

Moi, j’ai un rêve.
Un rêve grand et beau
comme la vie.
Et je l’agiterai, mon saint drapeau,
devant la face de la mort.

Car j’ai un rêve… Pour les…

[…]

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Touche pas… ma solitude ! (bis)

Vient de paraître sur « De braises et d’ombre » :

Touche pas… ma solitude !

Barbara

Billet initialement publié sur Perles d’Orphée le 10/08/2015

Et légèrement complété ici en guise de réponse définitive – oserais-je l’espérer – à la sempiternelle question avec laquelle, malgré la superfluité que mes années lui confèrent, on me harcèle encore.

[…]

« Homme-piano-lunettes »

et pourquoi pas « Femme-piano-lunettes » ?

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L’avènement

Vient de paraître sur « De braises et d’ombre » :

L’avènement

« Toute œuvre qui nous donne le sentiment de la qualité artistique relie aussi au monde les profondeurs qu’elle exprime ; toute œuvre qui nous atteint par là témoigne d’une part victorieuse de l’homme, fût-il un homme fasciné. »

Citation d’André Malraux tirée de « La monnaie de l’absolu » pour introduire un très beau poème de Borges : « L’avènement  »

Bison – Peinture rupestre – Grotte ornée d’Altamira

J’étais, je suis toujours, l’homme de la tribu.
L’aube approchait. Couché dans mon coin de caverne
je luttais pour plonger aux sombres eaux du rêve.
Des spectres d’animaux traînant des dards brisés
ajoutaient…

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Un faubourg, un couteau, un tango… et Borges

Le tango pourvoyeur de souvenirs, nous forge
Un passé presque vrai. Dans ce faubourg perdu
C’est moi qu’on a trouvé sur le sol étendu,
Un couteau dans la main, un couteau dans la gorge.
J. L. Borges, Le tango.

Tango rueEt, même après la rudesse de cette belle et juste vision, n’aurait-t-on pas la tentation, au risque de choquer,  de détourner vers le tango quelques uns des propos que Gide notaient sur la musique de Chopin, et de dire de cette musique mythique des faubourgs de Buenos-Aires telle qu’elle est servie par Astor Piazzola, son Maître absolu, qu’elle  » propose, suppose, insinue, séduit, persuade ; qu’elle n’affirme presque jamais. » ?
A quelle vérité, d’ailleurs, pourrait prétendre le reflet d’un souvenir nostalgique dans le miroir flou d’une larme ancienne ?
N’aurait-on pas encore l’envie d’aller chercher, comme Gide pour Chopin, ces vers exquis de Paul Valéry : « Est-il art plus tendre / Que cette lenteur ? »
Même si, comment l’ignorer, chacun sait que le couteau vengeur demeure toujours à portée de la main de l’ange aux cheveux noirs et qui conduit la danse.

Le temps d’un « Hiver à Buenos-Aires »Invierno Porteño –  pour s’en laisser persuader, et se laisser séduire, par des musiciens hollandais…

Et de belle manière !

Arrangement pour trio (Piano-Violon-Violoncelle) d’une des « Cuatro estaciones porteñas »
[Porteño : Habitant de Buenos-Aires, enfant d’émigrants, né en Argentine]

Et la voix de Valeria Munarriz pour entendre chanter ce que Borges dit au Tango :

 

ALGUIEN LE DICE AL TANGO

Tango que he visto bailar
contra un ocaso amarillo
por quienes eran capaces
de otro baile, el del cuchillo

Tango de aquel Maldonado
con menos agua que barro,
tango silbado al pasar
desde el pescante del carro.

Despreocupado y zafado,
siempre mirabas de frente.
Tango que fuiste la dicha
de ser hombre y ser valiente.

Tango que fuiste feliz,
como yo también lo he sido,
según me cuenta el recuerdo;
el recuerdo fue el olvido.

Desde ese ayer, ¡cuántas cosas
a los dos nos han pasado!
Las partidas y el pesar
de amar y no ser amado.

Yo habré muerto y seguirás
orillando nuestra vida.
Buenos Aires no te olvida,
tango que fuiste y serás.

QUELQU’UN DIT AU TANGO

Tango, toi que j’ai vu danser
Contre un long crépuscule jaune,
Par tous ceux qui étaient capables
De cette danse du couteau.

Tango venu de ce ruisseau, Maldonado,
Contenant plus de boue que d’eau,
Tango qu’on sifflait en passant
Depuis le siège du chariot.

Insouciant et effronté,
Tu regardais toujours en face,
Tango qui as été la joie
D’être homme et d’avoir de l’audace.

Tango qui as été heureux
Comme je l’ai été aussi,
C’est ce que dit mon souvenir ;
Le souvenir ce fut l’oubli….

Depuis ce passé que de choses
A tous deux nous sont arrivées !
Les départs avec les chagrins
D’aimer et n’être pas aimé.

Je serai mort, tu resteras
Coulant au bord de notre vie.
Pour Buenos-Aires pas d’oubli,
Tango tu fus et tu seras.

 

La nuit 12 – Éteindre la lumière

 » Le temps de la poésie est un temps vertical  »  (Gaston Bachelard)

Robert Juarroz (1925-1995)

Robert Juarroz (1925-1995)

Éteindre la lumière, chaque nuit,
est comme un rite d’initiation :
s’ouvrir au corps de l’ombre,
revenir au cycle d’un apprentissage toujours remis :
se rappeler que toute lumière
est une enclave transitoire.

Dans l’ombre, par exemple,
les noms qui nous servent dans la lumière n’ont plus cours.
Il faut les remplacer un à un.
Et plus tard effacer tous les noms.
Et même finir par changer tout le langage
et articuler le langage de l’ombre.

Éteindre la lumière, chaque nuit,
rend notre identité honteuse,
broie son grain de moutarde
dans l’implacable mortier de l’ombre.

Comment éteindre chaque chose ?
Comment éteindre chaque homme ?
Comment éteindre ?

Éteindre la lumière, chaque nuit,
nous fait palper les parois de toutes les tombes.
Notre main ne réussit alors
qu’à s’agripper à une autre main.
Ou, si elle est seule,
elle revient au geste implorant
de raviver l’aumône de la lumière.

Roberto Juarroz – Quinzième poésie verticale

Traduction Jacques Ancet – Ibériques / José Corti – Édition bilingue

Giacometti - Homme qui marche

Alberto Giacometti – Homme qui marche

Ce qu’il y a ?

On peut ne pas partager les idées, ou, tout au moins, beaucoup des idées et des engagements d’un homme, et cependant demeurer sensible à sa souffrance et admiratif de son talent. On pourrait même, parfois, se sentir  très proche de sa pensée intime, au point de lui envier la paternité de certaines de ses phrases.

Arthur Adamov (1908-1970)

Arthur Adamov (1908-1970)

En 1946, juste avant de commencer à écrire pour le théâtre, Arthur Adamov, 38 ans, en publiant « L’Aveu », fait la confession publique du sentiment d’humiliation qui l’étouffe, conséquence de son impuissance sexuelle et de ses obsessions qui l’enferment dans une profonde solitude. Isolement d’autant plus fort que la politisation de son œuvre se radicalise, et, partant, le marginalise encore.

En 1969, moins d’un an avant qu’une overdose de barbituriques – volontaire ou pas –  abrège sa longue agonie à travers hôpitaux et centres de désintoxication, Arthur Adamov, cet « empêché de vivre » , reprend « L’Aveu » qu’il avait en un temps renié, pour publier « Je… Ils… »  qui lui donnera l’opportunité de dire sa désespérance face à l’irrémédiable perte du sacré.

Laurent Terzieff lit un extrait de « Je… Ils… »

Ce qu’il y a ? Je sais d’abord qu’il y a moi. Mais qui est moi ? Mais qu’est-ce que moi ? Tout ce que je sais de moi, c’est que je souffre. Et si je souffre c’est qu’à l’origine de moi-même il y a mutilation, séparation.

Je suis séparé. Ce dont je suis séparé, je ne sais pas le nommer. Autrefois cela s’appelait Dieu, maintenant il n’y a plus de nom ; mais je suis séparé.

Si je n’étais pas séparé, je ne dormirais pas à chaque instant de ce lourd sommeil entrecoupé des râles du plus obscur remords. Je n’irais pas ainsi les yeux vides, le cœur lourd de désir.

Il faut voir clair. Tout ce qui en l’homme vaut la peine de vivre tend vers un seul but inéluctable et monotone : passer outre les frontières personnelles, crever l’opacité de sa peau qui le sépare du monde.

Dans l’amour, l’homme mutilé cherche à reconstruire son intégrité première. Il cherche un être hors de lui qui, se fondant en lui, ressusciterait l’androgyne primitif. Dans la contemplation il appelle cette lueur d’abîme qui soudain fait étrange tout spectacle familier, il attend ce regard unique qui dissipe les brumes sordides de l’habitude et rend à tout objet visible sa pureté essentielle. Dans la prière, il a recours à cet autre qui gît au cœur de son cœur, plus lui-même que lui, et pourtant inconnu.

Derrière tout ce qu’il a coutume de voir, l’homme cherche autre chose. Toujours il est altéré. Altéré : celui qui a soif, qui désire. Mais altéré aussi celui qui est lésé dans son intégrité, étranger à lui-même. « Alter« , c‘est toujours l’autre, celui qui manque.

Et comment l’homme ne serait-il pas altéré dans les deux sens du mot, puisque tout vit en lui, puisqu’il résume la création dont il est le terme, qu’il va vers le tout, qu’il pourrait l’être mais qu’il ne l’est pas.

Arthur Adamov

Clic sur l’image pour agrandir

Le chant des esprits sur les eaux

C’est par le chemin de Staubbach, dans l’Oberland bernois, où gronde sans cesse la chute tumultueuse des eaux de la montagne, que j’ai rejoint aujourd’hui « Les cosaques des frontières ».

Alors que je faisais là une longue halte pour m’enivrer de ces splendeurs, comme Goethe, quelques siècles plus tôt, j’entendis, moi aussi, le chœur des esprits des eaux. Ils me parlaient des hommes, de leur âme, de leur destinée. Ils chantaient le poème qu’ils avaient jadis inspiré au Maître de Weimar ; Schubert en avait composé la  musique.

J’étais sous le charme, envoûté.

De cet envoûtement, en valeureux cosaque, je fis mon butin. En fidèle compagnon, je me devais au plaisir de le partager.

Votre part vous attend au « Fort Bastiani« , le repaire des « cosaques » :

Pour abaisser le pont-levis, cliquez sur le titre ci-dessous :

« Gesang der Geister über den Wassern »

(Chant des esprits au-dessus des eaux)

L’exilé

Si vous prenez, à la sortie du hameau de La Louvière,
Le sentier qui rejoint la lisière, passe à fleur de forêt,
Puis s’enfonce à la rencontre des chants d’oiseaux,
Si vous le suivez jusqu’aux premières pentes de la dent des Corbières
Vous apercevrez, sans doute, à la naissance du coteau
Une grotte. C’est là que vit celui qu’ils appellent le fou
Et que j’appelle moi : L’exilé.

Il est des hommes déracinés de leur pays
Et qui essaient de passer vaille que vaille
Sur une autre terre que celle de leurs ancêtres et de leurs amours.
Il en est d’autres, tel celui-ci,
Que l’on a comme arraché au siècle où ils auraient dû vivre
Et qui essaient de survivre dans une époque qui ne leur convient pas,
Où ils étouffent, dont ils ont mal.

Il ne vivait pas comme les autres,
Il ne pensait pas comme les autres,
Le naufragé du temps passé,
L’étranger volontaire, l’exilé.

Il se sentait comme asphyxié par les courses des autres
Course à l’argent, course à la réussite, course aux honneurs.
Lui, c’était singulier, détestait le pluriel.
Il n’avait que le sens de l’honneur.
Mais en nos temps supersoniques
C’est un sens interdit.
Mal dans son âme sous la dictature de la quantité,
Il rêvait, comme un enfant, que revînt le règne de la qualité.

Il ne comprenait pas qu’on traite ceux qui donnent… de pigeons,
Ceux qui rêvent… de naïfs,
Ceux qui aiment… d’esclaves.
A vrai dire il ne comprenait rien à pas grand-chose,
A part que l’essentiel de la vie est certainement bien plus simple
Et bien plus beau
Que dans le cri des corbeaux et le hurlement des loups.
Alors il demeurait là, dans sa grotte,
L’exilé,
Les pieds dans le vingtième siècle
Et la tête et le cœur ailleurs,
Très loin!

Il ne vivait pas comme les autres,
Il ne pensait pas comme les autres,
Le naufragé du temps passé,
L’étranger volontaire, l’exilé.

                                        Claude Lemesle (pour S. Reggiani)

Ecusson musical : Egschiglen – Chant guttural mongol