Et pourtant les deux plaies essentielles qui rongent le monde, il est encore possible de les nommer. Je les démasque : confusion, séparation.
Arthur Adamov
Jan Matejko – Vieil homme – 1858
« Ce qu’il y a »
Un court extrait de « Je… Ils… » publié par Arthur Adamov en 1969, peu avant sa fin tragique par overdose.
Quelques lignes introspectives révélatrices des préoccupations métaphysiques de l’auteur rongé par ses névroses, illustrées ici par d’émouvants portraits d’hommes, tout droit sortis des brosses de quelques Maîtres de la discipline.
Jean-Sébastien Bach à 30 ans (1715) par Johann Ernst Rentsch le vieux († 1723)
Il n’est pas exceptionnel qu’à l’écoute d’une musique de Jean-Sébastien Bach, s’entrouvrent devant nous les portes du ciel. Il n’est pas rare, non plus, que certaines interprétations engagent notre âme émerveillée sur ce chemin des anges qui tout droit conduit à leur seuil.
Mais il arrive aussi, parfois, que la musique du Cantor de Leipzig, nous raccroche très profondément, très substantiellement, à la terre qui nous porte. Et, qu’on ne s’y méprenne surtout pas, non parce qu’elle aurait perdu la part de sublime émané…
[…]
La « Sicilienne » de Jean-Sébastien Bach, transcrite pour le piano par le grand Wilhelm Kempff dans les années 1950, interprétée par une prodigieuse jeune pianiste au jeu d’une rare sincérité, comme témoignage émouvant que l’Esprit de la musique de Bach quitte parfois le Royaume des Cieux.
Quel meilleur endroit que notre Terre, après tout, pour compter les étoiles ?
« Je vous ai recommandé la dignité du scepticisme : voilà que je rôde autour de l’Absolu. Technique de la contradiction ? Rappelez-vous plutôt le mot de Flaubert : « Je suis un mystique et je ne crois en rien ». »
Cioran (La Tentation d’exister – in Œuvres – Gallimard Quarto – P. 890)
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« L’écriture est le lieu du miracle », relevait, je ne sais plus où, Christian Bobin, très inspiré par la spiritualité chrétienne, et dont la plume fait la plus grande joie de l’homme de peu de foi que je suis. – Seulement l’écriture ? aurais-je envie de respectueusement lui répondre… sauf, alors, peut-être, à mettre une majuscule à « Écriture » !
… Et je l’inviterais, en ce jour de l’Assomption, à partager avec nous les émotions que soulève en nos diverses sensibilités, religieuses ou profanes, chaque volet de ce triptyque composé, pour la circonstance, de quelques-uns des innombrables « miracles artistiques » nés de l’admiration suscitée par Marie, mère de Jésus-Christ.
Au centre :
Un récit multiforme depuis le Calvaire
Mathias Grünewald – Retable d’Issenheim 1515 – détail (St Jean soutenant Marie au pied de la croix) – Musée Unterlinden Colmar
[…]
Elle est debout sur le Calvaire Pleine de larmes et sans cris. C’est également une mère. Mais quelle mère de quel fils !
Elle participe au Supplice Qui sauve toute nation, Attendrissant le sacrifice Par sa vaste compassion.
Et comme tous sont les fils d’elle, Sur le monde et sur sa langueur Toute la charité ruisselle Des sept blessures de son cœur,
Au jour qu’il faudra, pour la gloire Des cieux enfin tout grands ouverts, Ceux qui surent et purent croire, Bons et doux, sauf au seul Pervers,
Ceux-là vers la joie infinie Sur la colline de Sion Monteront d’une aile bénie Aux plis de son assomption.
Paul Verlaine (Sagesse XXIV – Poésie/Gallimard P.74)
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Karol Szymanowski (1882-1937) : Stabat Mater op. 53
1. Stała Matka bolejąca (Stabat Mater dolorosa)
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D’un côté :
Un hommage « chuchoté sous l’arceau »
« Aimez l’amour qui parle avec la lenteur basse « Des Ave Maria chuchotés sous l’arceau ; « C’est lui que vous priez quand votre tête est lasse, « Lui dont la voix vous rend le rythme du berceau. »
Germain Nouveau (« L’amour de l’amour » in « Les poèmes d’Humilis »)
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De l’autre :
Une visite, émue et émouvante, à midi
Il est midi. Je vois l’église ouverte. Il faut entrer. Mère de Jésus-Christ, je ne viens pas prier.
Je n’ai rien à offrir et rien à demander. Je viens seulement, Mère, pour vous regarder.
Vous regarder, pleurer de bonheur, savoir cela Que je suis votre fils et que vous êtes là.
Rien que pour un moment pendant que tout s’arrête. Midi ! Être avec vous, Marie, en ce lieu où vous êtes.
Ne rien dire, regarder votre visage, Laisser le cœur chanter dans son propre langage,
Ne rien dire, mais seulement chanter parce qu’on a le cœur trop plein, Comme le merle qui suit son idée en ces espèces de couplets soudains.
Parce que vous êtes belle, parce que vous êtes immaculée, La femme dans la Grâce enfin restituée,
La créature dans son honneur premier et dans son épanouissement final, Telle qu’elle est sortie de Dieu au matin de sa splendeur originale.
Intacte ineffablement parce que vous êtes la Mère de Jésus-Christ, Qui est la vérité entre vos bras, et la seule espérance et le seul fruit.
Parce que vous êtes la femme, l’Éden de l’ancienne tendresse oubliée, Dont le regard trouve le cœur tout à coup et fait jaillir les larmes accumulées,
Parce que vous m’avez sauvé, parce que vous avez sauvé la France, Parce qu’elle aussi, comme moi, pour vous fut cette chose à laquelle on pense,
Parce qu’à l’heure où tout craquait, c’est alors que vous êtes intervenue, Parce que vous avez sauvé la France une fois de plus,
Parce qu’il est midi, parce que nous sommes en ce jour d’aujourd’hui, Parce que vous êtes là pour toujours, simplement parce que vous êtes Marie, simplement parce que vous existez,
Mère de Jésus-Christ, soyez remerciée !
Paul Claudel (in Œuvre poétique, Poèmes de guerre – La Pléiade, Gallimard)
« Ach, wer heilet die Schmerzen « Des, dem Balsam zu Gift ward ? »
Goethe -« Harzreise im Winter »
Hélas, qui peut guérir la douleur De celui à qui le baume est devenu poison ?
Goethe – Voyage dans le Harz en hiver
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Ce 22 septembre 1869, à Lichtenthal, tout près de Baden-Baden, Julie Schumann, fille de Clara et Robert Schumann, épouse le comte Vittorio Amadeo Radicati di Marmorito. Johannes Brahms, fidèle et inconditionnel ami de la famille Schumann, lui offre en cadeau de mariage l’une de ses plus belles œuvres, née de la profonde déréliction dans laquelle l’a plongé l’évènement.
Johannes Brahms (1833-1897) – Gravure sur bois vers1865 (StadtMuseum Bonn)
Julie Wieck-Schumann
Quelques mois plus tôt, alors qu’elle annonçait à Johannes les fiançailles de Julie, Clara fut saisie par la grande contrariété que la nouvelle venait de provoquer chez le jeune compositeur. « Il en fut aussitôt métamorphosé et s’enferma dans sa vieille mélancolie », note-t-elle. Julie, à l’évidence, ne laissait pas Brahms indifférent, la nouvelle l’accabla.
Assurément très dépité d’avoir tu ses sentiments, Brahms devait se reprocher de s’être, une fois encore, calfeutré dans cette habituelle solitude désabusée, née sans doute d’une forme particulière de misogynie qui ne consentirait à s’effacer que devant les forces d’une passion précisément ciblée. « J’étais fait pour le cloître, disait-il quand parfois il acceptait de parler de lui-même, mais le genre de couvent qu’il m’aurait fallu n’existe pas. »
A ce point paroxystique de la déception sentimentale, Brahms entrait en fraternité sans doute avec Werther au travers de ce sentiment spectral de dénuement et d’abandon qui nimbe les rivages de la mort. Est-ce le fruit du hasard, si, en ces difficiles moments, alors même qu’il venait de terminer la composition du poignant Requiem allemand, Johannes rencontrait un poème de Goethe, « Harzreise im Winter » (Voyage dans le Harz en hiver) dont trois strophes allaient lui inspirer l’une de ses plus émouvantes compositions : la « Rhapsodie pour Alto, chœur d’hommes et orchestre » ?
Goethe par Josef Lehmkuhl
Quelques mots nécessaires sur l’histoire de ce poème :
Avec la publication des « Souffrances du jeune Werther » en 1774, Goethe, bien malgré lui, offre à la jeunesse de son temps une sorte de bible de la désespérance amoureuse dans laquelle se reconnaissent tous les amoureux malheureux de l’époque. Nombreux sont les jeunes hommes qui, se prenant pour Werther, écrivent à Goethe, souhaitant trouver dans les réponses du poète des raisons d’espérer encore. L’un de ces jeunes déprimés, une connaissance épistolaire de Goethe, Friedrich Plessing, l’invite à venir lui rendre visite, dans la région du Harz, au centre de l’Allemagne, afin de l’aider à se défaire des idées suicidaires qui le harcèlent. Et au cours de l’hiver 1777, Goethe fait le voyage à la découverte des montagnes du Harz, et à la rencontre de son jeune correspondant qu’il commencera par aborder incognito afin de le laisser librement exprimer les causes et les formes de sa mélancolie.
Goethe écrira douze strophes qui racontent ce voyage d’hiver dans le Harz. C’est l’amorce pour le poète d’une nouvelle vision, plus philosophique, de lui-même et de son art. Trois d’entre elles (V/VI/VII) – qui forment en elles-mêmes une entité particulière – concernent sa relation avec le jeune Plessing, très déprimé, qui, réconforté par la visite du grand écrivain, finira, avec le temps, par guérir de son mal. Ainsi qu’en exprime le sincère désir Goethe dans la prière au Père d’Amour qui conclue cet ensemble.
Clara Wieck-Schumann
C’est en découvrant la mise en musique d’une de ces strophes par un certain Reichardt que Brahms décide de composer sa « Rhapsodie », qu’il hésite d’ailleurs à éditer tant elle traduit son moi « intime », exprime ses failles et dévoile les ressorts de sa spiritualité. Mais c’est peut-être aussi pour ces mêmes raisons qu’il choisit d’en faire son cadeau de mariage à Julie.
Comme toujours, c’est à Clara qu’il réserve la primeur de ses œuvres, et c’est donc, évidemment, à Clara qu’il présente d’abord, ce jour-là, la « Rhapsodie » destinée à Julie. Il faut lire ce que Clara écrivait dans son journal, à cette date, pour percevoir combien cette composition expose à la lumière l’âme de Brahms :
« Johannes m’a présenté une pièce splendide… les mots du Voyage d’hiver dans le Harz de Goethe, pour Alto, chœur d’hommes et orchestre. Il dit que c’est « son chant nuptial pour la comtesse Julie ». Il y a bien longtemps, autant que je m’en souvienne, que je n’ai été aussi émue par la profondeur d’une souffrance exprimée par les mots et la musique. Cette œuvre me semble, ni plus ni moins que l’expression de l’angoisse de son propre cœur. Si pour une fois il pouvait parler avec cette même authenticité ! »
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Cette Rhapsodie s’ouvre par une introduction orchestrale en Ut mineur – tonalité des profondeurs et des ténèbres – qui plante le décor hivernal et lugubre. La voix de contralto assène alors son angoissante question au cœur de ce paysage dramatique. Poursuivant son discours au rythme processionnaire de cet adagio, la voix laisse le soin à l’orchestre de ponctuer chaque vers comme pour amplifier la solennité du monologue.
Avec la deuxième strophe du poème, Brahms choisit un mouvement plus allant, plus lyrique aussi, pour exprimer avec toute sa sensibilité la lamentation résignée de celui que frappe ce mal romantique, enfermé dans l’impuissance de son désespoir, prisonnier tragique de sa misanthropie.
Progressivement la tonalité s’ouvre vers le majeur et avec l’entrée des chœurs pénètre la lumière de l’espérance. C’est une prière dans le style populaire cher à Brahms qui s’élève, pleine de confiance, vers le Ciel. Désormais la voix de soliste, l’orchestre et les chœurs se rassemblent, comme dans un hymne, en une communion spirituelle dominée par un sentiment d’apaisement et de sérénité.
Chant triomphal de Johannes en voie de vaincre le dépit que lui a causé le mariage de Julie ?
Réponse métaphysique à la question centrale du poème : « Qui peut guérir la douleur de celui à qui le baume est devenu poison ? » ?
Assurément, merveille de la musique ! Mahler déjà s’y profile…
Le long silence qui suit cette superbe interprétation est encore de la musique, n’est-ce pas ?
Aber abseits wer ist’s ? Im Gebüsch verliert sich der Pfad. Hinter ihm schlagen Die Sträuche zusammen, Das Gras steht wieder auf, Die Öde verschlingt ihn.
Mais là-bas, qui est-ce ?
Son chemin se perd dans les bois
Derrière lui se referment les branchages,
L’herbe se redresse
La solitude l’engloutit.
Ach, wer heilet die Schmerzen Des, dem Balsam zu Gift ward ? Der sich Menschenhaß Aus der Fülle der Liebe trank? Erst verachtet, nun ein Verächter, Zehrt er heimlich auf Seinen eigenen Wert In ungenugender Selbstsucht.
Hélas, qui peut guérir la douleur
De celui à qui le baume est devenu poison ?
De qui a bu la haine des hommes
Dans la plénitude de l’amour ?
D’abord méprisé, à présent contempteur,
Il méprise en secret le meilleur de soi
En vain égoïsme.
Ist auf deinem Psalter, Vater der Liebe, ein Ton Seinem Ohre vernehmlich, So erquicke sein Herz ! Öffne den umwölkten Blick Über die tausend Quellen Neben dem Durstenden In der Wüste !
S’il est dans ton psautier, Père d’Amour,
Un chant que son oreille puisse entendre,
Réconforte son cœur !
Ouvre le regard obnubilé
Sur les mille sources
Proche des assoiffés dans le désert.
Musique : Concerto pour hautbois de Marcello en ré mineur – 2ème mouvement – Adagio
La complainte de la flûte
Écoute la flûte de roseau, écoute sa plainte Des séparations, elle dit la complainte :
– Depuis que de la roselière, on m’a coupée En écoutant mes cris, hommes et femmes ont pleuré.
– Pour dire la douleur du désir sans fin Il me faut des poitrines lacérées de chagrin.
– Ceux qui restent éloignés de leur origine Attendent ardemment d’être enfin réunis.
– Moi, j’ai chanté ma plainte auprès de tous, Unie aux gens heureux, aux malheureux, à tous.
– Chacun à son idée a cru être mon ami Mais personne n’a cherché le secret de mon âme ;
– Mon secret pourtant n’est pas loin de ma plainte, Mais l’œil ne voit pas et l’oreille est éteinte.
– Le corps n’est pas caché à l’âme ni l’âme au corps, Ce sont les yeux de l’âme seuls qui pourraient le voir.
– Le chant de cette flûte, c’est du feu, non du vent. Quiconque n’a pas ce feu, qu’il devienne néant !
– C’est le feu de l’amour qui en elle est tombé, Et si le vin bouillonne, c’est d’amour qu’il le fait.
– La flûte est la compagne des esseulés d’amour, Et nos voiles par ses notes, connaissent la déchirure.
&
– La flûte est le poison et l’antidote aussi. Elle est l’amant, elle est l’Aimé, elle est ainsi.
– La flûte dit le récit du chemin plein de sang Et les histoires des fous d’amour et des amants.
– Il faut avoir perdu la raison pour comprendre, Mais la langue n’a que l’oreille comme cliente.
– En ce chagrin brûlant, notre âme s’est perdue. Ces jours sont devenus compagnons de nos brûlures.
& …
Jalâl ud Dîn Rûmî (1207-1273)
Ces distiques, joliment dits par Carolyne Cannella, sont les vers qui ouvrent le Mathnawî-I Ma‘navî, « le Poème spirituel » – qui en compte plus de 2500 -, œuvre majeure du grand poète mystique persan du XIIIème siècle, Rûmi.
Quelques phrases d’Eve Feuillebois-Pierunek*, spécialiste de littérature mystique persane à la Sorbonne, pour replacer cette évocation poétique dans le contexte de cette œuvre immense du Maître :
Les parties didactiques révèlent une immense érudition, sans jamais tomber dans la sécheresse ou l’abstraction. […]
Les parties extatiques sont parmi les plus beaux morceaux de poésie lyrique persane.
L’auteur y chante le désir fou de l’Autre, la nostalgie de l’Origine, la douleur de la séparation, la disparition de l’être aimé, face de Dieu et voile recouvrant l’univers, la déification par laquelle on accède à un état indicible où l’on n’est plus. Le passage le plus célèbre du Mathnawî est l’exorde, constitué d’une métaphore filée. La flûte de roseau (nay) personnifie la voix de Rûmî et exprime son credo poétique : l’essence même de la poésie la voue à l’expression de la souffrance de l’exil et du désir de la réunification. Le parcours de la flûte de roseau s’apparente à celui de l’homme, éloigné de sa patrie céleste, conscient de cette séparation et capable de la dire.
Rûmi, qui très vite fut appelé avec la plus grande déférence, Mawlānā (Notre Maître), homme de tolérance et d’ouverture, d’une profonde spiritualité, exerça sur le soufisme – l’ésotérisme islamique – une immense influence, toute empreinte d’une haute sagesse contemplative et méditative destinée à trouver la voie vers l’amour de Dieu.
Poésie, musique et danse furent, à n’en pas douter, les moyens forts de son expression ; c’est lui qui a fondé en Turquie l’ordre des Derviches tourneurs célèbres pour leur danse-toupie (samâ).
* Pour en savoir plus sur Rûmi et son œuvre : Eve Feuillebois-Pierunek
30 janvier 1963 : Crise cardiaque au 5 rue de Médicis à Paris – Francis Poulenc, 64 ans, est mort! La Musique est en deuil.
30 janvier 2013 : Cinquantième anniversaire de sa disparition. Formidable occasion de faire vibrer les tympans et les cœurs de ceux qui le connaissent peu ou qui ont laissé la poussière recouvrir les enregistrements de ses œuvres.
Ici pas de biographie du pianiste-compositeur, pas plus de catalogue de ses œuvres, les navigations internautiques conduisent vers de brillants exposés, savants et fort bien documentés. Plus nombreux encore à l’occasion de cette année de célébration. – Un site de référence : poulenc.fr/
Juste le désir d’exprimer l’affectueuse sympathie que je ressens depuis toujours à l’égard de sa musique, si riche et si multiple, et d’exhorter à son écoute. Pour le plaisir ; pour la beauté. Musique de « moine » et musique de « voyou ». – Le qualificatif « moine ou voyou » qui va si bien à Poulenc, lui a été donné par un critique de l’époque pour souligner les deux aspects de son œuvre :
Musique de « voyou », pleine de fantaisie, de gaité et de provocation parfois, avec lesquelles cet amoureux de la voix et de la poésie assaisonne ses mélodies, ses nombreuses partitions pour le piano, ou sa musique de chambre. (« Humoresque » pour piano, sonates pour flûte, pour violon, pour clarinette, « Bal masqué », « Fiançailles pour rire », « Les mamelles de Tirésias » etc…).
Yvonne Printemps à la création des « Chemins de l’amour »
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Un exemple de musique – virtuose – pour le piano : Horowitz joue le « Presto » (sans images)
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Concerto pour orgue – 2ème mouvement – Allegro giocoso
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Musique de « moine », teintée d’une profonde spiritualité, témoignage de sa foi catholique qui inspire ses compositions de musique sacrée, comme ses « Gloria », « Salve Regina », « Stabat Mater » ou « Litanies à la Vierge noire ». Et le poignant « Dialogue des Carmélites » tiré de l’œuvre de Georges Bernanos.
« Stabat Mater » – VI (Vidit suum) – Kathleen Battle (soprano) – Seiji Osawa dirige le Boston Symphony Orchestra
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« Dialogue des Carmélites » Final – Production 1999 – Opéra du Rhin – Mise en scène : Marthe Keller
Splendide! ♥♥♥♥♥
Les religieuses condamnées par les autorités révolutionnaires montent à l’échafaud, une par une, Salve Regina aux lèvres. Ses sœurs exécutées, Blanche de la Force, entrée au Carmel pour chercher ses raisons d’exister, trouve enfin réponse à ses doutes et offre elle aussi son cou à la lame.
Mais toujours musique savante, éclectique, évoluant dans des univers aussi différents que passionnants. D’apparence parfois superficielle, elle révèle volontiers à l’auditeur attentif les trésors de ses profondeurs et les subtilités de ses charmes.
Quand j’évoque Francis Poulenc, je ne peux jamais résister au souvenir de cette anecdote que me racontait souvent un de mes très chers amis, aujourd’hui disparu depuis plus de dix ans. Etudiant au conservatoire de Paris, Jean-Claude travaillait la composition avec Nadia Boulanger (excusez du peu!). Un jour qu’il était au piano et jouait pour les oreilles expertes de son professeur, attendant ses inévitables observations, Jean-Claude sentit dans son dos que quelqu’un la rejoignait, et s’interrompit. Francis Poulenc, grand ami de Nadia Boulanger venait d’arriver et s’installait à ses côtés. Soucieux de laisser les deux musiciens à leur intimité, Jean-Claude était sur le point de se retirer, mais Nadia lui laissa juste le temps de saluer l’illustre visiteur et l’invita vivement à reprendre depuis le début l’ « Allegro de concert » de Granados qu’il interprétait avant l’interruption. Sueurs froides! Jouer devant Nadia Boulanger, soit, c’était le professeur, mais devant Poulenc… l’affaire n’était pas si simple.
Je retrouvais chaque fois dans son récit, des dizaines d’années après l’évènement, la terrible émotion qui avait dû être la sienne à l’époque, et qu’il n’est pas difficile d’imaginer. Ses doigts, je crois, réussirent à ne pas trop écorcher Granados, tant bien que mal. Cette aventure ne menaça en rien son premier prix d’harmonie.
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Ils parlent de Francis Poulenc…
Simon Basinger (« Cahiers Francis Poulenc ») & Marc Korovitch (Chef d’orchestre)
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Paavo Jarvi – Directeur musical de l’Orchestre de Paris
Hier, lors d’un bien agréable concert de « musique française », on donnait entre autres images de Debussy et mélodies de Ravel, quelques pièces pour piano de Déodat de Séverac. L’amie qui m’accompagnait, charmée par les harmonies et les arpèges des « Naïades » et du « Faune indiscret » me déclara n’avoir jamais auparavant entendu le nom de ce compositeur. Je m’engageai donc à lui préparer un petit article pour le lui faire connaître. Pourquoi alors ne pas profiter de cette occasion pour réveiller les mémoires ou encourager les découvertes?
Debussy disait de Déodat de Séverac : « Sa musique sent bon. » Et en effet, elle sent bon le terroir, la nature, la campagne languedocienne qui était si chère au compositeur qu’il ne tarda pas à abandonner la grande ville et ses maîtres de la Schola Cantorum pour la rejoindre et lui consacrer son art. Il allait du même coup s’éloigner des préceptes guindés et empesés que lui avaient enseignés Vincent d’Indy et Albéric Magnard.
– La Schola Cantorum, école de musique privée, avait été créée par eux, sous l’instigation de Charles Bordes pour contrebalancer la vive orientation vers l’opéra qu’avait adoptée, dans la deuxième moitié du XIXème siècle, le Conservatoire de Paris. D’Indy et Magnard souhaitaient que l’on revînt vers les fondements musicaux du chant grégorien et des œuvres des XVIème et XVIIème. (Elle a compté de très célèbres compositeurs tant dans les rangs de ses professeurs que de ses élèves, parmi ces grands noms de la musique : Maurice Duruflé, Sergiu Célibidache, Ida Presti, Alexandre Lagoya, Olivier Messiaen. Isaac Albeniz aussi y fut formé avant de prendre Séverac pour assistant).
Le « musicien-paysan », comme Déodat de Séverac aimait à se qualifier lui-même, retrouvant sa terre et ses mélodies folkloriques, redonnait également libre cours à son esprit de poète indépendant. Il composait plus volontiers sur son clavier, comme Chopin ou Liszt, en faisant « chanter l’ivoire », que crayon à la main, les yeux rivés sur la partition en devenir, cherchant à appliquer les rigueurs d’une quelconque règle établie.
Il faut dire que le compositeur n’était pas particulièrement porté à la chose écrite. Hédoniste, gourmand d’émotions musicales directes, il préférait la spontanéité et l’immédiateté de l’improvisation. A en croire le ravissement exprimé par ses contemporains ayant écouté ses divagations, on ne peut que déplorer qu’autant de merveilles, faute d’avoir été écrites, nous aient échappé à jamais.
Au delà du pianiste, savoureux conteur musical de la nature, avec des compositions comme « Le chant de la Terre », « En Languedoc » ou sa célèbre suite campagnarde « Cerdaña », Séverac est un complet musicien. Il illustre nombre de poèmes de Baudelaire ou Verlaine, écrit pour l’orchestre – « Cortège nuptial catalan », « Sérénade au clair de lune » –, produit des œuvres chorales religieuses comme son « Tantum ergo » et ses deux « Salve Regina », ou profanes, et ne manque pas son approche du monde lyrique avec les opéras « Héliogabale« et « Le cœur du moulin »
Mais organiste d’abord, organiste toujours. Fidèle à l’instrument de ses débuts dans l’univers musical, fasciné par l’infinité de couleurs dont pouvait enrichir sa musique la multitude de ses registres, Séverac consacrera beaucoup de temps aux claviers de l’orgue, même si quantitativement sa production organistique est réduite. Elle n’en est pas moins chargée d’une profonde humanité. Ce liturgiste convaincu prend le contrepied des organistes de son temps, et remplace la fougue démonstrative des marches triomphales et pontificales par la délicatesse des couleurs poétiques qui lui ressemble, créant une musique narrative et intimiste, mais toujours pudique.
Son chef d’œuvre, la grande « Suite en Mi »en 1898, écrite peu de temps après la douloureuse double disparition de son père et de sa sœur. Musique poignante, tragique, tourmentée, dominée par un profond sentiment d’humanité que sert l’usage du « vieux » contrepoint que voulait faire oublier les « chimies harmoniques » de l’époque, pour reprendre les expressions de Pierre Guillot.
Déodat de Séverac meurt de maladie le 24 mars 1921. Il n’avait pas atteint la cinquantaine.
Lionel Hun, danseur et chorégraphe se trouvait en représentation au Japon le 11 mars 2011, au moment où le tristement célèbre tsunami infligeait une profonde blessure à ce pays. Pour témoigner son soutien et sa sympathie au peuple japonais il a réalisé cette chorégraphie empreinte de spiritualité.
Hope = Espoir – Espérance
Lionel Hun a travaillé tout particulièrement avec le Ballet National de Marseille et le Cirque du Soleil. Il a pu y développer une chorégraphie multidimensionnelle, partagée entre trois modes d’expression, classique, contemporain et urbain.
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy