Au plaisir des rencontres

« Au plaisir des rencontres » – Quel plus juste titre pouvais-je donner à ce billet ?

Tout y est rencontre, heureuses rencontres. Celle d’abord, programmée et organisée, de la merveilleuse Merryl Streep avec le formidable violoncelliste Yo Yo Ma, à l’occasion de l’édition 2011 d’un forum culturel annuel entre la Chine et les USA.

Rencontre aussi, inattendue bien que non moins préméditée, de deux beaux textes qui trouvent dans la juste expression de leur interprète le subtil point de leur confluence, délicatement dévoilé dans le silence religieux de la scène par les lueurs discrètes d’un violoncelle.

Rencontre – fortuite – enfin, de votre serviteur, ébahi et heureux, avec la vidéo de cet instant de ravissement qui manifestement nous invite à « garder le canal ouvert » qui conduit de l’âme à l’âme.

Partage obligatoire !

Wang Wei poète, peintre et musicien chinois du VIIIème siècle (époque Tang), profondément inspiré des sagesses du bouddhisme zen

Wang Wei
Poète, peintre et musicien chinois du VIIIème siècle (époque Tang), profondément inspiré des sagesses du bouddhisme zen

空山不見人

但聞人語響

返景入深林

復照青苔上

Wang Wei

Lù chai (Deer enclosure)

There seems to be no one on the empty mountain….
And yet I think I hear a voice,
Where sunlight, entering a grove,
Shines back to me from the green moss.

Clos aux cerfs

Montagne déserte. Personne n’est en vue.
Seuls, les échos des voix résonnent, au loin.
Ombres retournent dans la forêt profonde :
Dernier éclat de la mousse, vert.

Traduction : François Cheng

&

Lettre d’une artiste à une artiste :

Un clic sur une photo l’agrandit et ouvre la galerie

A letter to Agnes De Mille

There is a vitality, a life force, a quickening that is translated through you into action, and because there is only one of you in all time, this expression is unique. If you block  it, it will never exist through any other medium. It will be lost. The world will not have it. It is not your business to determine how good it is, nor how valuable it is, nor how it compares with other expressions. It is your business to keep it yours clearly and directly, to keep the channel open.

You do not even have to believe in yourself or your work. You have to keep open and aware directly to the urges that motivate ‘you’. Keep the channel open. No artist is ever pleased. There is no satisfaction whatever at any time. There is only a queer, divine dissatisfaction, a blessed unrest that keeps us marching and makes us more alive than the others.

Martha Graham

Lettre de Martha Graham à Agnès De Mille

 Il y a une vitalité, une force de vie, une étincelle qui devient une action à travers toi, et comme tu ne ressembles à personne dans le monde entier et à travers les siècles, cette expression est unique. Si tu la refuses, jamais cela n’existera chez personne d’autre et ce sera perdu. Cela manquera au monde. Ce n’est pas à toi de déterminer à quel point cela est bon, et quelle en est sa valeur, ni à toi de la jauger par rapport à d’autres expressions. Mais c’est à toi de la garder tienne, clairement et sans détour, à toi de garder le canal ouvert.

Tu n’as même pas besoin de croire en toi-même ou dans ton travail. Tu dois rester disponible et toujours consciente des nécessités qui te motivent. Garde le canal ouvert. Aucun artiste ne sait se contenter. Il ne peut y avoir de satisfaction d’aucune sorte à aucun moment. Il y a seulement une étrange et divine insatisfaction, un déséquilibre béni qui nous oblige à marcher, et à être des vivants plus encore que les autres.

&

Et, sans l’intervention du hasard, mais avec le même plaisir de partager entre vivants, quelques mesures de la « Sonate pour violoncelle seul » d’un maître contemporain des timbres, le compositeur américain George Crumb (86 ans).

L’interprète, Ella van Poucke, est une jeune violoncelliste hollandaise, particulièrement douée.

Portraits de l’Omo

Non! Trop facile! Vous ne tomberez pas dans ma provocation d’étudiant attardé, vous ne ferez pas de mauvais jeu de mot, influencé par les chaleurs (politiques seulement) de l’actualité.

Peut-être accepterez-vous plutôt de m’accompagner un moment, loin de notre pauvre réalité quotidienne – le temps d’une respiration – sous des climats plus ardents, plus durs aussi, pour rendre visite (sans les déranger) à des êtres si différents de nous et qui nous ressemblent tant. Aussi beaux que nous pouvons l’être, parfois, mais d’une autre beauté.

Ethiopie carte

Le fleuve Omo, depuis  les abords d’Addis-Abeba, jusqu’à l’immense lac Turkana, traverse le plateau éthiopien, au sud-est de ce pays. La vallée qu’il forme entre Soudan et Kenya est sans doute un des berceaux de nos tout premiers ancêtres, comme l’affirment les découvertes anthropologiques majeures faites sur ce site.

Sur ses rives huit peuples essaient de survivre, appliquant depuis des siècles les mêmes méthodes traditionnelles. Pasteurs semi-nomades, ils cultivent le sorgho et le millet, recueillent le miel des ruches, et s’abreuvent du lait des animaux sauvages, nombreux dans ses régions.

Toutes ces ethnies, s’opposant d’ailleurs les unes les autres régulièrement – preuve de leur humanité -, attachent une grande importance à l’esthétique et chacun veille à soigner son apparence, usant d’atours comme la scarification du corps ou l’insertion corporelle d’objets, le port d’étoffes colorées ou de bijoux de pacotille (confectionnés avec divers objets dont certains ne nous sont pas étrangers), ou encore la peinture corporelle élaborée avec les ingrédients extraits des nombreux minéraux environnants. Bien évidemment, l’esthétique n’est pas la seule motivation de tels agissements, la croyance prend souvent sa part d’influence.

Pendant plusieurs années, le photographe Hans Silvester a parcouru cette région, participant au programme d’aide aux populations indigènes menacées, et a capté la beauté de ces êtres simples, habitants de cette vallée, en une série de portraits touchants, émouvants.

En voici une diaporama choisie dans la large offre du web :

Sous les splendides maquillages de ces visages que jamais un sourire ne traverse, les regards semblent tristes, mélancoliques. Peut-être la conséquence de la légitime crainte que chacun là-bas pourrait ressentir de la disparition programmée de sa famille. Le prédateur est en marche au nom du « Progrès », qui veut édifier à cet endroit un immense barrage hydroélectrique qui transformera totalement la région : l’homme.

Celui-là même que nous rencontrons chaque jour, dans le bus, en photo sur les pages politiques ou économiques de notre quotidien, au fond du miroir de notre salle de bains peut-être. Celui qui veut, pour accroître sa vaine domination du monde, occuper une place misérable et cependant enchantée au prix bien modique, hélas, de la mort de son frère.

Naïfs, pensez-vous! Et si les « Hommes » c’étaient eux? Ceux dont il faudra bientôt dire aussi, comme Jean Raspail l’écrivait à propos des Alakalufs de la Terre de Feu : « Qui se souvient des Hommes? »

Le héros de cette tragédie, Lafko, après avoir été bafoué et balloté dans le monde »civilisé » des explorateurs qui l’ont « prélevé » au milieu des siens comme on arrache à la colline un échantillon de basalte, est enfin de retour sur les rives désolées de son bout du monde, à la pointe extrême des Amériques, au sud. – Encore quelques mots à lire pour terminer le livre mais pas l’histoire. –  Il est seul. Une voix lui parle :

« Te voilà. Sois le bienvenu chez toi, Lafko. C’est vrai que tu est petit et laid, que tu as l’intelligence misérable, que tu sens mauvais, que tu es sale.

« Mais vois comme tu me ressembles… » (Jean Raspail – « Qui se souvient des Hommes? » – Ed. Robert Laffont)

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Pour en savoir plus ou pour agir : SURVIVAL