[…] Apaisé, je médite au bord du gouffre amer ; J’aime ce bruit sauvage où l’infini commence ; La nuit, j’entends les flots, les vents, les cieux, la mer ; Je songe, évanoui dans cette plainte immense.
Victor Hugo – « Les quatre vents de l’esprit » XXXIII
Uehara Konen – Vague – 1910
A tout seigneur tout honneur ! C’est donc à toi, Mer, et à toi seule, source originelle unique de toutes les eaux, que ce dernier billet de la série « Leseaux de mon été » se devait de rendre hommage.
Cette révérence, je la souhaitais d’abord littéraire et poétique, mais quels mots, parmi ceux de « quelques marins qui se sont mis à écrire et de quelques écrivains qui surent naviguer »*, aurais-je dû choisir pour dresser ton portrait que chaque instant métamorphose ? Ceux de Melville embarqué sur le…
Je voulais également que cet hommage fût musical. Quelle musique alors pour accompagner ce poème enfiévré du jeune Borges, pour représenter les amplitudes…
Enfin fallait-il, pour que fût complète mon admirative évocation, que la couleur et les formes vinssent encore se mêler aux délices…
La marée, je l’ai dans le cœur Qui me remonte comme un signe Je meurs de ma petite sœur, De mon enfance et de mon cygne Un bateau, ça dépend comment On l’arrime au port de justesse Il pleure de mon firmament Des années lumières et j’en laisse Je suis le fantôme jersey Celui qui vient les soirs de frime Te lancer la brume en baiser Et te ramasser dans ses rimes Comme le trémail de juillet Où luisait le loup solitaire Celui que je voyais briller Aux doigts de sable de la terre
Rappelle-toi ce chien de mer Que nous libérions sur parole Et qui gueule dans le désert Des goémons de nécropole Je suis sûr que la vie est là Avec ses poumons de flanelle Quand il pleure de ces temps-là Le froid tout gris qui nous appelle Je me souviens des soirs là-bas Et des sprints gagnés sur l’écume Cette bave des chevaux ras Au raz des rocs qui se consument Ô l´ange des plaisirs perdus Ô rumeurs d’une autre habitude Mes désirs dès lors ne sont plus Qu´un chagrin de ma solitude
Et le diable des soirs conquis Avec ses pâleurs de rescousse Et le squale des paradis Dans le milieu mouillé de mousse Reviens fille verte des fjords Reviens violon des violonnades Dans le port fanfarent les cors Pour le retour des camarades Ô parfum rare des salants Dans le poivre feu des gerçures Quand j’allais, géométrisant, Mon âme au creux de ta blessure Dans le désordre de ton cul Poissé dans des draps d’aube fine Je voyais un vitrail de plus, Et toi fille verte, mon spleen
Les coquillages figurant Sous les sunlights cassés liquides Jouent de la castagnette tant Qu´on dirait l’Espagne livide Dieux de granits, ayez pitié De leur vocation de parure Quand le couteau vient s’immiscer Dans leur castagnette figure Et je voyais ce qu´on pressent Quand on pressent l’entrevoyure Entre les persiennes du sang Et que les globules figurent Une mathématique bleue, Sur cette mer jamais étale D´où me remonte peu à peu Cette mémoire des étoiles
Cette rumeur qui vient de là Sous l’arc copain où je m’aveugle Ces mains qui me font du fla-fla Ces mains ruminantes qui meuglent Cette rumeur me suit longtemps Comme un mendiant sous l’anathème Comme l´ombre qui perd son temps À dessiner mon théorème Et sous mon maquillage roux S’en vient battre comme une porte Cette rumeur qui va debout Dans la rue, aux musiques mortes C’est fini, la mer, c’est fini Sur la plage, le sable bêle Comme des moutons d’infini… Quand la mer bergère m’appelle
Sous le ciel pluvieux noyé de brumes sales,
Devant l’Océan blême, assis sur un ilot,
Seul, loin de tout, je songe au clapotis du flot,
Dans le concert hurlant des mourantes rafales.
Crinière échevelée ainsi que des cavales,
Les vagues se tordant arrivent au galop
Et croulent à mes pieds avec de longs sanglots
Qu’emporte la tourmente aux haleines brutales.
Partout le grand ciel gris, le brouillard et la mer,
Rien que l’affolement des vents balayant l’air.
Plus d’heures, plus d’humains, et solitaire, morne,
Je reste là, perdu dans l’horizon lointain,
Et songe que l’Espace est sans borne, sans borne,
Et que le Temps n’aura jamais … jamais de fin.
Si vous n’avez pas de programme prévu, je vous invite dans un petit bistro catalan à deux pas de Gerone et à quelques lieues de plus au sud de Perpignan.
Bien sûr on y retrouvera des amis. Évidemment nous mangerons la cuisine de Catalogne : peut-être une « Esqueixada », délicieuse salade de morue avec tout ce qu’il faut de soleil, de tomates, d’olives, de poivron, de persil, de vinaigre de Xeres… et d’huile d’olive. Ou bien alors une « Cargolada » d’anthologie (escargots fourrés au lard fondu avec de belles tartines d’aïoli) . Le tout arrosé de vin de la région, cela va sans dire.
Mais la vraie dégustation, je vous la réserve pour le dessert. Oh, gourmands impénitents, vous pensez déjà à la crème brûlée catalane traditionnelle ? Soit, il y en aura, j’en suis presque sûr. Toutefois le superbe dessert que je voudrais vous faire goûter n’est pas à la carte. Il ne vient ni de la terre, ni de la mer, mais des cieux les plus profonds. Il ne se mange pas mais il régale l’âme. C’est un clafoutis de douceur, de charme, d’harmonies et de poésie, nappé du miel de la voix de Sìlvia Pérez Cruz.
Quand, pour ce petit concert intime, accompagnée à la guitare sèche, elle changera son éclatant sourire en un chant de lumières polychromes, au rythme langoureux d’une habanera » Vestida de nit « , nous serons, nous aussi, habillés de nuit pour mieux nous fondre, auditeurs invisibles et charmés, dans les ombres heureuses du rêve.
Elle peint les notes de sa musique…
Viendrez-vous ?
1ª Pinto les notes d’una havanera blava com l’aigua d’un mar antic. Blanca d’escuma, dolça com l’aire, gris de gavines, daurada d’imatges, vestida de nit.
Miro el paisatge, cerco paraules, que omplin els versos sense neguit. Els pins m’abracen, sento com callen, el vent s’emporta tot l’horitzó.esqueixsada
Tornada Si pogués fer-me escata i amagar-me a la platja per sentir sons i tardes del passat, d’aquest món d’enyorança, amor i calma, perfumat de lluna, foc i rom.
Si pogués enfilar-me a l’onada més alta i guarnir de palmeres el record, escampant amb canyella totes les cales i amb petxines fer-los-hi un bressol. 2ª Els vells em parlen plens de tendresa, d’hores viscudes amb emoció. Joves encara, forts i valents, prínceps de xarxa, herois de tempesta, amics del bon temps.
Els ulls inventen noves històries, vaixells que tornen d’un lloc de sol. Porten tonades enamorades. Dones i Pàtria, veles i flors.
Tornada Si pogués fer-me escata i amagar-me a la platja per sentir sons i tardes del passat, d’aquest món d’enyorança, amor i calma, perfumat de lluna, foc i rom.
Si pogués enfilar-me a l’onada més alta i guarnir de palmeres el record, escampant amb canyella totes les cales i amb petxines fer-los-hi un bressol.
◊
Je peins les notes d’une habanera
Bleue comme les eaux d’une mer antique,
Blanche d’écume, douce comme l’air,
Grise telle la mouette, incrustée d’images dorées,
Vêtue de nuit.
Je regarde le paysage, je cherche les mots
Pour paisiblement poser mes vers.
Les pins m’embrassent, je suis emplie de silence,
Le vent s’empare de l’horizon.
Si je pouvais gravir la plus haute vague
Et orner de palmes les souvenirs,
Envahir les plages des senteurs de cannelle,
Et y faire un berceau de coquillages.
Un aîné me parle tendrement
Des heures vécues avec émoi.
Jeune encore, fort et courageux,
Prince des courants, héros de tempête,
Ami des temps heureux.
Les yeux inventent de nouvelles histoires,
Vaisseaux revenus d’un lieu unique,
Ils rapportent des chants d’amour.
Femmes et Patrie, cierges et fleurs.
Le vent souffle où il veut ; tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. (Évangile de Jean)
Vagues – Gustave Courbet (Etretat 1869)
LE VENT
Je suis le vent joyeux, le rapide fantôme Au visage de sable, au manteau de soleil. Quelquefois je m’ennuie en mon lointain royaume ; Alors je vais frôler du bout de mon orteil Le maussade océan plongé dans le sommeil. Le vieillard aussitôt se réveille et s’étire Et maudit sourdement le moqueur éternel L’insoucieux passant qui lui souffle son rire Dans ses yeux obscurcis par les larmes de sel. À me voir si pressé, l’on me croirait mortel : Je déchaîne les flots et je plonge ma tête Chaude encor de soleil dans le sombre élément Et j’enlace en riant ma fille la tempête ; Puis je fuis. L’eau soupire avec étonnement : — C’était un rêve, hélas ! — Non, c’était moi, le Vent ! Ici le golfe invite et cependant je passe ; Là-bas la grotte implore et je fuis son repos ; Mais, poète ! comment ne pas aimer l’espace, L’inlassable fuyard qu’on ne voit que de dos Et qui fait écumer nos sauvages chevaux ! Il n’est rien ici-bas qui vaille qu’on s’arrête Et c’est pourquoi je suis le vent dans les déserts Et le vent dans ton cœur et le vent dans ta tête ; Sens-tu comme je cours dans le bruit de tes vers Emportant tes désirs et tes regrets amers ? Les amours, les devoirs, les lois, les habitudes Sont autant de geôliers ! Avec moi viens errer À travers les Saanas des chastes solitudes ! Viens, suis-moi sur la mer, car je te veux montrer Des ciels si beaux, si beaux qu’ils te feront pleurer Et des morts apaisés sur la mer caressante Et des îles d’amour dont le rivage pur Est comme le sommeil d’un corps d’adolescente Et des filles qui sont comme le maïs mûr Et de mystiques tours qui chantent dans l’azur. Tu n’interrompras point cette course farouche ; Tu fuiras avec moi sans t’arrêter jamais ; La vie est une fleur qui meurt dès qu’on la touche Et ceux-là seuls, hélas, sont les vrais bien-aimés Qui se fanent trop tôt sous nos regards charmés. Ici j’éteins le ciel, plus loin je le rallume ; Quand ce monde d’une heure a perdu son attrait Je souffle : le réel s’envole avec la brume Et voici qu’à tes yeux éblouis apparaît L’arc-en-ciel frais éclos sur la jeune forêt ! — Un jour tu me crieras : « Je suis las de ce monde Qui meurt et qui renaît ; je voudrais sur le sein De quelque noble vierge apaisante et féconde Endormir pour longtemps le stérile chagrin De ce cœur enivré de tempête et de vin ! » Alors je soufflerai, rieur, sur ton visage Du pur soleil d’automne et sur l’esquif errant Le frisson vaporeux des pourpres du naufrage ; Et l’aube te verra dormir profondément Sur le sein de la mer illuminé de vent !
O.V. de L. MILOSZ (1877-1939), Les Éléments, in Poésies – Ed. André Silvaire.
Il va y avoir 35 ans bientôt que Jacques Brel repose à Hiva Oa, à l’ombre des cocotiers des îles Marquises. Et « six pieds sous terre, on l’aime encore » ce « Jojo » là.
Qui n’a pas chanté, fredonné ou siffloté ses chansons? Qui n’a pas écouté en boucle ses 45 tours, relevé son col contre le vent du Nord sur un quai d’ « Amsterdam » ; « inventé des perles de pluie » pour qu’un amour « ne le quitte pas », dansé comme un fou une « valse à mille temps » avec une « Mathilde » revenue.
Quelle âme n’est-elle pas, 35 ans après, caressée encore par les doux alizés des « Marquises » venus?
Ils parlent de la mort comme tu parles d’un fruit Ils regardent la mer comme tu regardes un puits Les femmes sont lascives au soleil redouté Et s´il n´y a pas d´hiver, cela n´est pas l´été La pluie est traversière, elle bat de grain en grain Quelques vieux chevaux blancs qui fredonnent Gauguin Et par manque de brise, le temps s´immobilise Aux Marquises
Du soir, montent des feux et des points de silence Qui vont s´élargissant, et la lune s´avance Et la mer se déchire, infiniment brisée Par des rochers qui prirent des prénoms affolés Et puis, plus loin, des chiens, des chants de repentance Et quelques pas de deux et quelques pas de danse Et la nuit est soumise et l´alizé se brise Aux Marquises
Le rire est dans le cœur, le mot dans le regard Le cœur est voyageur, l´avenir est au hasard Et passent des cocotiers qui écrivent des chants d´amour Que les sœurs d´alentour ignorent d´ignorer Les pirogues s´en vont, les pirogues s´en viennent Et mes souvenirs deviennent ce que les vieux en font Veux-tu que je te dise : gémir n´est pas de mise Aux Marquises
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Barbara (1930-1997) by JP Belz
Qui, comme Léonie, ce 9 octobre 1978, n’a pas senti cogner dans son cœur les battements de la pluie froide du Nord, scansion sinistre accompagnant une destinée qui s’épuise?
Qui, à « Nantes », à « Pantin » ou à « Göttingen », comme cette « Longue Dame brune », n’a pas trouvé pâlies les couleurs de Gauguin?
Cette « amoureuse » là qui chantonnait légère une « petite cantate » au bon vieux « temps du lilas » – Du temps de la rose offerte / Du temps des serments d’ amour / Du temps des toujours, toujours.
Il pleut sur l´île d´Hiva-Oa. Le vent, sur les longs arbres verts Jette des sables d´ocre mouillés. Il pleut sur un ciel de corail Comme une pluie venue du Nord Qui délave les ocres rouges Et les bleus-violets de Gauguin. Il pleut. Les Marquises sont devenues grises. Le Zéphir est un vent du Nord, Ce matin-là, Sur l´île qui sommeille encore.
Il a dû s´étonner, Gauguin, Quand ses femmes aux yeux de velours Ont pleuré des larmes de pluie Qui venaient de la mer du Nord. Il a dû s´étonner, Gauguin, Comme un grand danseur fatigué Avec ton regard de l´enfance.
Bonjour monsieur Gauguin. Faites-moi place. Je suis un voyageur lointain. J´arrive des brumes du Nord Et je viens dormir au soleil. Faites-moi place.
Tu sais, Ce n´est pas que tu sois parti Qui m´importe. D´ailleurs, tu n´es jamais parti. Ce n´est pas que tu ne chantes plus Qui m´importe. D´ailleurs, pour moi, tu chantes encore, Mais penser qu´un jour, Les vents que tu aimais Te devenaient contraire, Penser Que plus jamais Tu ne navigueras Ni le ciel ni la mer,
Plus jamais, en avril, Toucher le lilas blanc, Plus jamais voir le ciel Au-dessus du canal. Mais qui peut dire? Moi qui te connais bien, Je suis sûre qu’aujourd’hui Tu caresses les seins Des femmes de Gauguin Et qu´il peint Amsterdam. Vous regardez ensemble Se lever le soleil Au-dessus des lagunes Où galopent des chevaux blancs Et ton rire me parvient, En cascade, en torrent Et traverse la mer Et le ciel et les vents Et ta voix chante encore. Il a dû s´étonner, Gauguin, Quand ses femmes aux yeux de velours Ont pleuré des larmes de pluie Qui venaient de la mer du Nord. Il a dû s´étonner, Gauguin.
Souvent, je pense à toi Qui a longé les dunes Et traversé le Nord Pour aller dormir au soleil, Là-bas, sous un ciel de corail. C´était ta volonté. Sois bien. Dors bien. Souvent, je pense à toi.
Je signe Léonie. Toi, tu sais qui je suis, Dors bien.
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy