Entre dedans douillet et dehors pluvieux
Entre instant de plaisir et tristesse annoncée
Entre les gouttes entre les larmes
Entre l’ivoire mélancolique d’un piano mouillé
Et l’encre nostalgique des mots blessés.
Le « blues »
Entre les vers de Francis Carco
Et les arpèges de Bill Evans.
La pluie… ?
Oui ! Je m’en souviens !
Andrei Krioutchenko (peintre de Paris)
Il pleut — c’est merveilleux. Je t’aime. Nous resterons à la maison : Rien ne nous plaît plus que nous-mêmes Par ce temps d’arrière-saison.
« Il pleut doucement sur la ville »
(Arthur Rimbaud)
Il pleure dans mon cœur Comme il pleut sur la ville, Quelle est cette langueur Qui pénètre mon cœur ?
Ô bruit doux de la pluie Par terre et sur les toits ! Pour un cœur qui s’ennuie, Ô le chant de la pluie !
Il pleure sans raison Dans ce cœur qui s’écœure. Quoi ! nulle trahison ? Ce deuil est sans raison.
C’est bien la pire peine De ne savoir pourquoi, Sans amour et sans haine, Mon cœur a tant de peine !
Paul Verlaine (Ariettes oubliées)
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Mais d’où viennent ces larmes, ces gouttes, ces perles qui piquent, staccato ininterrompu, les touches du piano ?
Sento in seno ch’in pioggia di lagrime si dilegua l’amante mio cor. Ma mio core tralascia di piangere, ch’il tuo pianto non scema il dolor.
Ainsi crie sa douleur depuis la plage qui le recueille après son naufrage l’empereur byzantin Anastasio : Arianna, sa bienaimée qui a choisi de l’accompagner corps et âme dans son combat contre son ennemi Vitaliano vient d’être capturée par ce dernier. La belle se refusant toujours à trahir Anastasio et céder à Vitaliano qui veut en faire son épouse, est attachée à un rocher, destinée à devenir la proie d’un monstre marin.
Je sens dans mon sein comme une pluie de larmes où se noie mon cœur aimant. Mais, mon cœur, abandonne ces larmes, elles ne sauraient apaiser ta douleur.
C’est le début de l’Acte II de l’opéra de Vivaldi « Il Giustino ».
Pour que cet empereur malheureux ne s’affuble point de ce ton hautain des héros qui dominent de leur courage semi-divin leur douleur, pour qu’il se présente sous un jour plus humain, Vivaldi a choisi de faire sonner la pluie de larmes qui inonde son cœur comme la mélodie rythmée des gouttes martelant doucement depuis le ciel l’épave échouée.
Les pizzicati répétés sans cesse soutenant la plainte mélodieuse d’Anastasio seront autant de larmes prêtes à devenir, transcription effectuée, les légers staccati qui font danser l’ivoire des pianos.
Perles de musique.
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« Pour me détacher du monde, il me suffit de porter mon attention du côté de ce qui résonne – la vérité, la pluie sur le toit d’une voiture, les mots d’amour… ou les pianos de Mozart. »
Christian Bobin
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Les mots d’amour: leur écho, de très loin venu, est trop sourd désormais, et trop profonde la déchirure de mes entrailles pour que s’en forment de nouveaux.
La pluie : mes vieilles articulations rouillées ne l’apprécient guère ; elle fait languir mon âme comme un ver de Verlaine, et aux toits des voitures, depuis longtemps je préfère celui, « tranquille, où marchent des colombes ».
Quant à la vérité, la sagesse des années m’a appris à ne plus la chercher ailleurs qu’en moi-même, ce qui ne signifie en rien que je l’ai trouvée, ni que je la rencontrerai, ni même que je continuerai de courir sur le chemin des chimères…
Mais il me reste, Ô bonheur! pour me détacher du monde, porteurs de grâce et d’espoir, résonnant tout à la fois comme des mots d’amour, comme le rythme multiple de la pluie et comme l’éternelle vérité, les pianos de Mozart… Tous!
Infiniment!
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Si, comme Alice son lapin, vous acceptez de me suivre pour un petit voyage sur la toile, dans cet univers magique des pianos de Mozart, nous aborderons des mondes merveilleux « faits d’astres et d’éther ».
Et d’abord celui-ci, tout entier chargé de fraîcheur juvénile et de belle espérance sous les doigts frêles de la gracieuse petite Sora :
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Dans cette bulle de cristal, votre oreille sera bercée par les doux mots d’amour qu’en un chant susurré une divinité d’un souffle fera voler vers vous, sans que jamais, pourtant, la passion ne s’éteigne :
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Mollement engourdi sur le velours lustré d’un profond canapé, à l’abri, près d’une flamme pourpre, vous vous amuserez à écouter la pluie capricieuse changer ses rythmes entre les colères de l’orage :
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Et enfin, recueilli comme pour recevoir une bénédiction, vous vous blottirez, heureux, dans la lumineuse vérité de la musique d’un ange :
Il va y avoir 35 ans bientôt que Jacques Brel repose à Hiva Oa, à l’ombre des cocotiers des îles Marquises. Et « six pieds sous terre, on l’aime encore » ce « Jojo » là.
Qui n’a pas chanté, fredonné ou siffloté ses chansons? Qui n’a pas écouté en boucle ses 45 tours, relevé son col contre le vent du Nord sur un quai d’ « Amsterdam » ; « inventé des perles de pluie » pour qu’un amour « ne le quitte pas », dansé comme un fou une « valse à mille temps » avec une « Mathilde » revenue.
Quelle âme n’est-elle pas, 35 ans après, caressée encore par les doux alizés des « Marquises » venus?
Ils parlent de la mort comme tu parles d’un fruit Ils regardent la mer comme tu regardes un puits Les femmes sont lascives au soleil redouté Et s´il n´y a pas d´hiver, cela n´est pas l´été La pluie est traversière, elle bat de grain en grain Quelques vieux chevaux blancs qui fredonnent Gauguin Et par manque de brise, le temps s´immobilise Aux Marquises
Du soir, montent des feux et des points de silence Qui vont s´élargissant, et la lune s´avance Et la mer se déchire, infiniment brisée Par des rochers qui prirent des prénoms affolés Et puis, plus loin, des chiens, des chants de repentance Et quelques pas de deux et quelques pas de danse Et la nuit est soumise et l´alizé se brise Aux Marquises
Le rire est dans le cœur, le mot dans le regard Le cœur est voyageur, l´avenir est au hasard Et passent des cocotiers qui écrivent des chants d´amour Que les sœurs d´alentour ignorent d´ignorer Les pirogues s´en vont, les pirogues s´en viennent Et mes souvenirs deviennent ce que les vieux en font Veux-tu que je te dise : gémir n´est pas de mise Aux Marquises
Ω
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Barbara (1930-1997) by JP Belz
Qui, comme Léonie, ce 9 octobre 1978, n’a pas senti cogner dans son cœur les battements de la pluie froide du Nord, scansion sinistre accompagnant une destinée qui s’épuise?
Qui, à « Nantes », à « Pantin » ou à « Göttingen », comme cette « Longue Dame brune », n’a pas trouvé pâlies les couleurs de Gauguin?
Cette « amoureuse » là qui chantonnait légère une « petite cantate » au bon vieux « temps du lilas » – Du temps de la rose offerte / Du temps des serments d’ amour / Du temps des toujours, toujours.
Il pleut sur l´île d´Hiva-Oa. Le vent, sur les longs arbres verts Jette des sables d´ocre mouillés. Il pleut sur un ciel de corail Comme une pluie venue du Nord Qui délave les ocres rouges Et les bleus-violets de Gauguin. Il pleut. Les Marquises sont devenues grises. Le Zéphir est un vent du Nord, Ce matin-là, Sur l´île qui sommeille encore.
Il a dû s´étonner, Gauguin, Quand ses femmes aux yeux de velours Ont pleuré des larmes de pluie Qui venaient de la mer du Nord. Il a dû s´étonner, Gauguin, Comme un grand danseur fatigué Avec ton regard de l´enfance.
Bonjour monsieur Gauguin. Faites-moi place. Je suis un voyageur lointain. J´arrive des brumes du Nord Et je viens dormir au soleil. Faites-moi place.
Tu sais, Ce n´est pas que tu sois parti Qui m´importe. D´ailleurs, tu n´es jamais parti. Ce n´est pas que tu ne chantes plus Qui m´importe. D´ailleurs, pour moi, tu chantes encore, Mais penser qu´un jour, Les vents que tu aimais Te devenaient contraire, Penser Que plus jamais Tu ne navigueras Ni le ciel ni la mer,
Plus jamais, en avril, Toucher le lilas blanc, Plus jamais voir le ciel Au-dessus du canal. Mais qui peut dire? Moi qui te connais bien, Je suis sûre qu’aujourd’hui Tu caresses les seins Des femmes de Gauguin Et qu´il peint Amsterdam. Vous regardez ensemble Se lever le soleil Au-dessus des lagunes Où galopent des chevaux blancs Et ton rire me parvient, En cascade, en torrent Et traverse la mer Et le ciel et les vents Et ta voix chante encore. Il a dû s´étonner, Gauguin, Quand ses femmes aux yeux de velours Ont pleuré des larmes de pluie Qui venaient de la mer du Nord. Il a dû s´étonner, Gauguin.
Souvent, je pense à toi Qui a longé les dunes Et traversé le Nord Pour aller dormir au soleil, Là-bas, sous un ciel de corail. C´était ta volonté. Sois bien. Dors bien. Souvent, je pense à toi.
Je signe Léonie. Toi, tu sais qui je suis, Dors bien.
Rappelle-toi Barbara Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là Et tu marchais souriante Épanouie ravie ruisselante Sous la pluie Rappelle-toi Barbara Il pleuvait sans cesse sur Brest Et je t’ai croisée rue de Siam Tu souriais Et moi je souriais de même Rappelle-toi Barbara Toi que je ne connaissais pas Toi qui ne me connaissais pas Rappelle-toi Rappelle-toi quand même ce jour-là N’oublie pas Un homme sous un porche s’abritait Et il a crié ton nom Barbara Et tu as couru vers lui sous la pluie Ruisselante ravie épanouie Et tu t’es jetée dans ses bras Rappelle-toi cela Barbara Et ne m’en veux pas si je te tutoie Je dis tu à tous ceux que j’aime Même si je ne les ai vus qu’une seule fois Je dis tu à tous ceux qui s’aiment Même si je ne les connais pas Rappelle-toi Barbara N’oublie pas Cette pluie sage et heureuse Sur ton visage heureux Sur cette ville heureuse Cette pluie sur la mer Sur l’arsenal Sur le bateau d’Ouessant Oh Barbara Quelle connerie la guerre Qu’es-tu devenue maintenant Sous cette pluie de fer De feu d’acier de sang Et celui qui te serrait dans ses bras Amoureusement Est-il mort disparu ou bien encore vivant Oh Barbara Il pleut sans cesse sur Brest Comme il pleuvait avant Mais ce n’est plus pareil et tout est abimé C’est une pluie de deuil terrible et désolée Ce n’est même plus l’orage De fer d’acier de sang Tout simplement des nuages Qui crèvent comme des chiens Des chiens qui disparaissent Au fil de l’eau sur Brest Et vont pourrir au loin Au loin très loin de Brest Dont il ne reste rien.
Jacques Prévert
Δ
Les feuilles mortes
Oh ! je voudrais tant que tu te souviennes Des jours heureux où nous étions amis. En ce temps-là la vie était plus belle, Et le soleil plus brûlant qu’aujourd’hui. Les feuilles mortes se ramassent à la pelle. Tu vois, je n’ai pas oublié… Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, Les souvenirs et les regrets aussi Et le vent du nord les emporte Dans la nuit froide de l’oubli. Tu vois, je n’ai pas oublié La chanson que tu me chantais.
C’est une chanson qui nous ressemble. Toi, tu m’aimais et je t’aimais Nous vivions tous les deux ensemble, Toi qui m’aimais, moi qui t’aimais. Mais la vie sépare ceux qui s’aiment, Tout doucement, sans faire de bruit Et la mer efface sur le sable Les pas des amants désunis.
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy
Flâner entre le rêve et le poème... Ouvrir la cage aux arpèges... Se noyer dans un mot... S'évaporer dans les ciels d'un tableau... Prendre plaisir ou parfois en souffrir... Sentir et ressentir... Et puis le dire - S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
"Nouvelle encore, mal connue, parfois mal reçue [...] et cependant nécessaire, la notion de perversion narcissique se situe à un carrefour et une extrémité : carrefour entre l'intrapsychique et l'interactif, entre pathologie individuelle et pathologie familiale du narcissisme, et extrémité de la trajectoire incessamment explorée, reprise et précisée entre psychose et perversion." (Paul-Claude Racamier, 1992a) « La perversion narcissique constitue sans aucun doute le plus grand danger qui soit dans les familles, les groupes, les institutions et les sociétés. Rompre les liens, c’est attaquer l’amour objectal et c’est attaquer l’intelligence même : la peste n’a pas fait pis. » (Paul-Claude Racamier, 1992b) « Les hommes libres dans une société libre doivent apprendre non seulement à reconnaître cette attaque furtive contre l’intégrité mentale et à la combattre, mais doivent aussi apprendre ce qu’il y a dans l’esprit de l’homme qui le rend vulnérable à cette attaque, ce qui fait que, dans de nombreux cas, il aspire à sortir des responsabilités que la démocratie et la maturité républicaines lui imposent. » (Joost Meerlo, 1956)