« Tuonela, le pays de la mort, l’enfer de la mythologie finnoise, est entouré par une grande rivière avec des eaux noires et un courant rapide sur lequel le Cygne de Tuonela flotte majestueusement, chantant. »
Sibélius (ou son éditeur) – Préface de la 1ère édition du « Cygne de Tuonela »
Quelle plus rafraîchissante fuite pouvais-je offrir cet été à ma rêverie, pour tenter d’échapper à l’horripilant tapage de la ville surchauffée, que cette divagation méditative sur les terres glaciales du Grand Nord, perdues entre l’impénétrable taïga et les eaux sépulcrales des « mille lacs » de Finlande ?
[…]
Sibélius, chantre musical de ce pays, propose au cor anglais le rôle du Cygne de la légende du Kalevala.
Un sensible cinéaste a très opportunément fusionné la magie de cette musique avec l’inégalable poésie des réalités de la nature…
Je les ai vus. Ils seront bientôt là. Deux torrents enfin calmes, entre Les grandes pierres. Deux hommes Entre les pattes du cheval. Morts en cette belle nuit. Morts, oui, morts. […] Leurs yeux sont des fleurs déchiquetées, Leurs dents, deux poignées de neige durcie. Morts tous les deux. La robe de la mariée, Sa belle chevelure, tout est taché de sang. […] Sur la fleur de l’or le sable est tombé.
C’est avec ces mots de Federico Garcia Lorca que la Mendiante annonce à la Mère la mort de son fils et celle, simultanée, de son rival. Le drame des « Noces de sang » (« Bodas de sangre ») atteint à son point culminant. Le théâtre est figé.
C’est cette histoire tragique, née au pays andalou, sur cette terre écrasée d’un soleil qui embrase les sangs, que j’ai voulu ce matin raconter à mes compagnons, les « Cosaques des frontières ». Et plus particulièrement, cette tragédie considérée au travers de la transcription que certains, cinéaste, danseur ou musicien, en ont fait.
Vision multiple du Sud, avec, pour exprimer les brûlures de la passion, les maîtres du Flamenco, et du cinéma espagnol.
Vision musicale du Nord avec l’œuvre récente d’un compositeur danois pour qui la passion est moins exubérante, mais pas moins dramatique, et qui par le ton de son discours pose la distance qui sépare les terres brunes des terres blanches, comme une invitation à méditer, le temps du voyage, sur ce que nous sommes.
Nouvelle occasion de dire la sordide beauté du drame, de la voir, de l’entendre.
Un clic sur le titre ci-dessous conduit au billet :
Il va y avoir 35 ans bientôt que Jacques Brel repose à Hiva Oa, à l’ombre des cocotiers des îles Marquises. Et « six pieds sous terre, on l’aime encore » ce « Jojo » là.
Qui n’a pas chanté, fredonné ou siffloté ses chansons? Qui n’a pas écouté en boucle ses 45 tours, relevé son col contre le vent du Nord sur un quai d’ « Amsterdam » ; « inventé des perles de pluie » pour qu’un amour « ne le quitte pas », dansé comme un fou une « valse à mille temps » avec une « Mathilde » revenue.
Quelle âme n’est-elle pas, 35 ans après, caressée encore par les doux alizés des « Marquises » venus?
Ils parlent de la mort comme tu parles d’un fruit Ils regardent la mer comme tu regardes un puits Les femmes sont lascives au soleil redouté Et s´il n´y a pas d´hiver, cela n´est pas l´été La pluie est traversière, elle bat de grain en grain Quelques vieux chevaux blancs qui fredonnent Gauguin Et par manque de brise, le temps s´immobilise Aux Marquises
Du soir, montent des feux et des points de silence Qui vont s´élargissant, et la lune s´avance Et la mer se déchire, infiniment brisée Par des rochers qui prirent des prénoms affolés Et puis, plus loin, des chiens, des chants de repentance Et quelques pas de deux et quelques pas de danse Et la nuit est soumise et l´alizé se brise Aux Marquises
Le rire est dans le cœur, le mot dans le regard Le cœur est voyageur, l´avenir est au hasard Et passent des cocotiers qui écrivent des chants d´amour Que les sœurs d´alentour ignorent d´ignorer Les pirogues s´en vont, les pirogues s´en viennent Et mes souvenirs deviennent ce que les vieux en font Veux-tu que je te dise : gémir n´est pas de mise Aux Marquises
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Barbara (1930-1997) by JP Belz
Qui, comme Léonie, ce 9 octobre 1978, n’a pas senti cogner dans son cœur les battements de la pluie froide du Nord, scansion sinistre accompagnant une destinée qui s’épuise?
Qui, à « Nantes », à « Pantin » ou à « Göttingen », comme cette « Longue Dame brune », n’a pas trouvé pâlies les couleurs de Gauguin?
Cette « amoureuse » là qui chantonnait légère une « petite cantate » au bon vieux « temps du lilas » – Du temps de la rose offerte / Du temps des serments d’ amour / Du temps des toujours, toujours.
Il pleut sur l´île d´Hiva-Oa. Le vent, sur les longs arbres verts Jette des sables d´ocre mouillés. Il pleut sur un ciel de corail Comme une pluie venue du Nord Qui délave les ocres rouges Et les bleus-violets de Gauguin. Il pleut. Les Marquises sont devenues grises. Le Zéphir est un vent du Nord, Ce matin-là, Sur l´île qui sommeille encore.
Il a dû s´étonner, Gauguin, Quand ses femmes aux yeux de velours Ont pleuré des larmes de pluie Qui venaient de la mer du Nord. Il a dû s´étonner, Gauguin, Comme un grand danseur fatigué Avec ton regard de l´enfance.
Bonjour monsieur Gauguin. Faites-moi place. Je suis un voyageur lointain. J´arrive des brumes du Nord Et je viens dormir au soleil. Faites-moi place.
Tu sais, Ce n´est pas que tu sois parti Qui m´importe. D´ailleurs, tu n´es jamais parti. Ce n´est pas que tu ne chantes plus Qui m´importe. D´ailleurs, pour moi, tu chantes encore, Mais penser qu´un jour, Les vents que tu aimais Te devenaient contraire, Penser Que plus jamais Tu ne navigueras Ni le ciel ni la mer,
Plus jamais, en avril, Toucher le lilas blanc, Plus jamais voir le ciel Au-dessus du canal. Mais qui peut dire? Moi qui te connais bien, Je suis sûre qu’aujourd’hui Tu caresses les seins Des femmes de Gauguin Et qu´il peint Amsterdam. Vous regardez ensemble Se lever le soleil Au-dessus des lagunes Où galopent des chevaux blancs Et ton rire me parvient, En cascade, en torrent Et traverse la mer Et le ciel et les vents Et ta voix chante encore. Il a dû s´étonner, Gauguin, Quand ses femmes aux yeux de velours Ont pleuré des larmes de pluie Qui venaient de la mer du Nord. Il a dû s´étonner, Gauguin.
Souvent, je pense à toi Qui a longé les dunes Et traversé le Nord Pour aller dormir au soleil, Là-bas, sous un ciel de corail. C´était ta volonté. Sois bien. Dors bien. Souvent, je pense à toi.
Je signe Léonie. Toi, tu sais qui je suis, Dors bien.
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy