By the pricking of my thumbs, Something wicked this way comes. Open, locks, Whoever knocks
D’après la démangeaison de mes pouces, il vient par ici quelque maudit. Ouvrez-vous, verrous, qui que ce soit qui frappe !
Shakespeare – Macbeth – Acte IV – Scène 1 – Deuxième sorcière
Henri Füssli – Macbeth, Banquo et les sorcières
Fait d’hiver :
A Biesko-Biala, au sud-ouest de Cracovie, une jeune et talentueuse pianiste polonaise décide, avant d’interpréter le poème musical de Bedrich Smetana, « Macbeth et les sorcières », de boire jusqu’à la lie le reste du breuvage magique que les harpies avaient concocté pour ce prince shakespearien avide de pouvoir.
Elle n’a pas été arrêtée pour excès de virtuosité sous emprise de philtre magique.
Heureusement !
Il s’agit de :
L’Homme Armé dont il est question ici est le héros d’une chanson française profane du XVème siècle, tellement populaire que les compositeurs de l’époque l’ont abondamment utilisée pour illustrer l’ordinaire de la messe.
En 2016, le formidable pianiste et compositeur québécois Marc-André Hamelin s’est inspiré du thème de cette chanson médiévale pour écrire une toccata destinée à la sélection des jeunes pianistes engagés au très prestigieux concours Van Cliburn.
Si, tant s’en faut, cette œuvre n’est pas un démon pour l’oreille, elle l’est sans doute pour les doigts. Les candidats avaient affuté leurs armes…
Pendant cette seconde moitié du XXème siècle, de très nombreuses toccatas viennent encore enrichir le répertoire pour lesquelles les compositeurs utilisent abondamment de nouvelles techniques pianistiques qui repoussent loin les limites formelles, mélodiques et rythmiques. Cependant, malgré cette grande diversité, tous ou…
Revisitons cette période, encore si proche, de toccata en toccata, de touche en timbre, comme un enfant avide de sensations et de découvertes traverserait joyeusement, bondissant de pierre en pierre, un ruisseau dans le bleu de l’été !
« Artificiellement séparés par deux écoles, deux techniques et deux visions du son, le pianiste classique et le pianiste de jazz sont deux frères jumeaux, voire deux frères siamois, que la musique réunit parfois lorsque les barrières de nos préjugés s’effacent soudain. »
La rencontre entre la toccata et le jazz était inévitable ? Elle eut donc lieu… Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants…
Quelques pages (sonores) de l’album de famille, Illustrées par des citations empruntées au « Dictionnaire amoureux du Piano » d’Olivier Bellamy (Plon).
Pavel Kotlarevsky (Russe – 1885-1950), Still life with violin – 1913
Les compositeurs du XXème siècle, toujours plus nombreux, libèrent la toccata de son univers de prédilection, le clavier, lui offrant de mettre désormais à l’épreuve la virtuosité d’autres musiciens, sur d’autres instruments, à cordes, à vent, à percussion.
Corollaire naturel de cet affranchissement, ces musiciens, comme ils en ont l’habitude, se regroupent en diverses formations, et c’est en duo, en trio… ou même en formation d’orchestre symphonique qu’ilsexercent leurs talents autour de la toccata.
« Cher Robert, ta toccata serait tellement, tellement plus facile à quatre mains... »
C’est par cette plaisanterie admirative que la très jeune Clara Wieck, déjà virtuose du piano, accueillit la Toccata opus 7 de son amoureux de 25 ans, Robert Schumann, dont elle deviendra bientôt l’épouse dévouée que l’on sait.
La « Toccata » de Robert Schumann,rare, sinon unique, vestige, au XIXème siècle, des toccatas baroques, demeure encore aujourd’hui une des pièces les plus difficiles du répertoire pour piano. Son appellation initiale laissait déjà peu de place à l’équivoque : « Étude fantastique en double-sons »…
Mais elle apparaît pour tous les pianistes comme une véritable injonction contradictoire, exigeant de l’interprète qu’il marie en une seule exécution agilité technique de premier ordre et sensibilité poétique.
« Toucher » : pour un pianiste tout est là ! Ainsi la toccata, se montre-t-elle, pour l’interprète, comme un exercice particulier, prétexte à exprimer, non sans une certaine liberté, autant sa propre dextérité que les qualités sonores de l’instrument qui défie sa maîtrise… Pour le plaisir jubilatoire de l’auditeur, souvent ! Pour la reconnaissance et la gloire du musicien, toujours !
[…]
Premier billet introductif d’une série consacrée au partage de ma toquade pour la « toccata ».
Un voyage heureux à travers les chemins éblouissants, mais escarpés, de la virtuosité pianistique.
« Ne croyez pas les mains sans gants plus robustes que les autres. »
Gustave Flaubert
Shirley Horn
Porter des gants blancs n’est pas chose banale en vérité, à moins d’être Général en tenue d’apparat, Maître d’hôtel à l’heure du service, prestidigitateur sur scène ou autre huissier au Sénat…
Mais porter des gants blancs pour jouer du piano, et quel piano !… Voilà qui est certes particulièrement original, surtout si l’on tient à faire chanter son clavier avec la virtuosité et le toucher qu’exige le meilleur du jazz.
Et sangloter d’extase les jets d’eau, Les grands jets d’eau sveltes parmi les marbres.
Verlaine (« Clair de lune » in « Les fêtes galantes »)
Sed aqua quam ego dabo ei, fiet in eo fons aquæ salientis in vitam æternam. (L’eau que je lui donnerai deviendra en lui une fontaine qui rejaillira jusque dans la vie éternelle)
Jésus à La Samaritaine (Évangile de Jean IV.14)
Monpiano,pour moi,est aussi important quele navirepour le marin, quele coursierpour l’arabe, peut-être mêmeplus encore ;disons que monpiano,jusqu’à présent, estma parole, ma vie(...) En lui se rassemblent tous mes désirs, mes souvenirs, mesjoies ettoutesmes peines.
Franz Liszt (1839 – Lettre à Adolphe Pictet)
Franz Liszt (1811-1886)
Il n’est pas très grand l’appartement que le cardinal Hoenlohe, protecteur des artistes et fervent admirateur de Franz Liszt a réservé au pianiste-compositeur, en cet été 1865, dans sa superbe demeure à quelques galops de la ville éternelle, la Villa d’Este, où il l’invite pour la première fois. C’est un « colombier » sous les toits de ce majestueux édifice du XVème siècle, depuis lequel le regard survole la vaste plaine pour aller caresser les frontons des palais romains. Un « colombier » niché au-dessus de jardins parsemés d’une myriade de fontaines aux mille jets bavards.
De ces trois pièces modestes mais luxueusement meublées, l’une pour dormir, une autre pour les repas, et une toute petite pour y faire de la musique, Franz a donné sa préférence à ce simple salon qui héberge le piano, et sur les murs duquel s’est figée une douce farandole florale, « la chambre des roses ». C’est là, inspiré par la paix ondoyante des lieux, en réponse à cette nature qui lui « parle », qu’il compose, au cours de ses nombreuses villégiatures estivales, quelques uns de ses plus précieux trésors musicaux comme « les variations sur un thème de Bach », les quatre « Méphisto valses », les deux « Légendes », entre autres, et, en 1877, le joyau souverain du cycle des « Années de pèlerinage », représentation sonore de la féérie liquide qui, chaque jour, égaye sa promenade : les « Jeux d’eau de la Villa d’Este ».
Un véritable poème symphonique pianistique comme Richard Strauss, des années plus tard, en composera, avec le bonheur que l’on sait, pour l’orchestre. Ici, la virtuosité du pianiste, si elle est exigée pour insuffler vie à ce tableau sonore, n’est jamais l’objet de l’écriture musicale, et doit simplement ne demeurer qu’un moyen au service de la représentation picturale. « Le modèle de l’eau, ainsi que l’affirme Michaël Lévinas, n’est-il pas déjà en soi une écriture de la virtuosité » ?
Légers comme les gouttes cristallines qui tantôt bondissent et clapotent, tantôt glissent et ruissellent, prestes jacasseuses en rangs serrés, sur le reflet paresseux d’un bassin où se mire un soleil, les doigts coulent sur les aigus du clavier à la poursuite des perles d’eau frémissantes. Ils nous plongent dans le cœur vibrant de ces polyphonies « éthérées » retranscrites par celui qui aura « entendu et contemplé la transparence de l’eau, ses bruissements troubles, multiples, modulés par les espaces acoustiques réverbérés par les loggias et les vasques ».
Comme pour nous asperger l’âme des embruns mystiques d’un dernier bonheur de l’été finissant, pourquoi ne pas flâner ensemble sous le soleil romain, quelques minutes encore ? Là bas, sous les verts treillis que les cyprès protègent, dans les jardins de Tivoli, recueillons-nous un instant sur le rebord d’un bassin. Après que les cascades auront éclaboussé de lumière nos prunelles ébahies, nous immergerons une fois encore nos regards dans l’ombre reposante de l’onde un temps calmée au pied d’un dieu de pierre. Puis nous lèverons les yeux vers un vieux « colombier » d’où s’écouleront vers nous, arpèges irisés et tierces jaillissantes, les harmonies subtiles d’un vieux piano.
Alors, de la « chambre des roses » descendue, nous entendrons la transparence !
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy