Claude Monet – Coin de jardin à Montgeron (Musée de l’Hermitage)
Si l’on me demandait, me privant de l’usage des mots, de définir la mélancolie, je donnerais aussitôt à entendre la barcarolle ‘Juin’ composée par Tchaikovsky.
Dans l’interprétation de Vadim Chaimovich, par exemple :
Et si le jour de l’an était, après tout, le premier jour du printemps ? Oh, pas ce printemps que nous indiquent les météorologues et les calendriers, non. Ce printemps qu’évoque si poétiquement Christian Bobin dans sa folie d’optimisme et d’espérance.
Ce printemps qui peut surgir au plus noir de l’année, […] quelque chose qui peut venir à tout moment pour interrompre, briser – et au bout du compte, délivrer.
Ce « printemps », utopique et pourtant si possiblement réel, que sincèrement je vous souhaite – je nous souhaite – à l’occasion de la naissance de cette année, généreux porteur de paix et de véritable renouveau.
Tout le printemps des paysages et des rivières
monte comme un encens dans mon cœur,
et le souffle de toutes choses
chante en mes pensées comme une flûte.
Rabindranath Tagore – « L’offrande lyrique »
Victor Borissov-Moussatov – Printemps 1901
« Allegro malinconico ». Tout est dit de l’humeur de Francis Poulenc dans ce titre oxymorique du premier mouvement de son emblématique « Sonate pour flûte et piano » au moment où il entreprend sa composition à Cannes entre février et mars 1957.
Frissonnements fébriles des variations en arabesques auxquels succède une calme mélodie, pensive, parfois sibylline, qui se termine et termine le mouvement en forme de question suspendue sur les quatre notes du premier thème.
« Vous cherchez du côté du plus grand… C’est tellement plus simple : J’attends le printemps. Ce que j’appelle le printemps n’est pas affaire de climat ou de saison. Cela peut surgir au plus noir de l’année. C’est même… »
[…]
« Le printemps n’est rien de compréhensible – c’est même ce qui lui permet de tenir dans trois fois rien – un bruit, un silence, un rire. »
Il fallait bien qu’un Bach chantât avec nous le printemps vu d’Allemagne.
C’est Wilhelm Friedmann, le premier fils du Cantor, sans doute le plus doué de la tribu, qui prête l’enthousiasme de sa musique aux Swingle Singers.
Allez, chauffe Wilhelm Friedmann !
Douboudou Boudouboudou… Trabadabadabada…
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Mais, qu’on le déplore ou qu’en s’en loue, c’est bien aux romantiques que revient la palme de la représentation affective, sentimentale, de la nature.
Image de la beauté éternelle, refuge pour sa propre solitude, ailleurs pour fuir la vanité du monde, miroir des tourments de l’âme, la nature apparaît, pour l’esprit romantique, comme une forme d’idéal. Confidente suprême, elle évoque le reflet d’un dieu de vérité qui mérite l’adoration infinie de l’âme sensible.
Qui, plus que le musicien romantique allemand, Berlioz mis à part, a donné de la nature une vision empreinte d’autant d’intensité lyrique ? Pas étonnant dès lors, que l’on trouve en nombre dans les compositions des Maîtres du XIXème allemand autant d’évocations des sentiments exacerbés qu’elle inspire. Pas étonnant non plus que le printemps, prélude à toutes les saisons de l’année, y occupe une aussi large place.
Mais que l’on se garde bien de masquer sous la dithyrambe faite à la musique l’importance du rôle de la poésie qui souvent sert de trame à la composition. Le lied naît de leur union.
Faisons plutôt quelques pas dans le jardin, au cœur de cette nuit de mai – » Die Mainacht « . Les vers du poète seront notre guide. Tantôt Fanny Mendelssohn fera résonner leur plainte nostalgique au détour d’un buisson, tantôt, d’un vieil arbre centenaire, abri douillet d’un couple de ramiers, nous parviendra, légère, la roucoulade d’une mélodie de Brahms.
Wann der silberne Mond durch die Gesträuche blinkt, Und sein schlummerndes Licht über den Rasen streut, Und die Nachtigall flötet, Wandl’ ich traurig von Busch zu Busch.
Selig preis ich dich dann, flötende Nachtigall, Weil dein Weibchen mit dir wohnet in einem Nest, Ihrem singenden Gatten Tausend trauliche Küsse gibt.
Überhüllet von Laub girret ein Taubenpaar Sein Entzücken mir vor; aber ich wende mich, Suche dunklere Schatten, Und die einsame Träne rinnt.
Wann, o lächelndes Bild, welches wie Morgenrot Durch die Seele mir strahlt, find ich auf Erden dich? Und die einsame Träne Bebt mir heißer die Wang herab!
Die Mainacht (Ludwig Heinrich Christoph Hölty – 1748-1776)
Quand la lune d’argent scintille à travers les arbustes Et répand sur l’herbe sa lumière somnolente, Et que le rossignol flûte, Je vais, triste, de buisson en buisson.
Alors je célèbre ton bonheur, rossignol, Car la petite femme qui habite avec toi un nid Donne à son époux chanteur Mille baisers sincères.
Enveloppés de feuillage un couple de pigeons roucoule Son ravissement devant moi ; mais je me détourne, Cherche une ombre épaisse, Et une larme coule.
Ô souriante image, qui pareille aux rougeurs de l’aube Me transperce l’âme, quand te trouverai-je sur terre ? Et la larme solitaire Tremble plus chaude sur ma joue !
Le XXème siècle a tué le romantisme et ses guerres ont enseveli les romantiques sous les ruines et les cadavres. Le printemps demeure, certes, mais désormais il convient de l’apprécier à l’aune de l’inéluctable mort, comme un ultime bonheur terrestre, dernier sourire sur le quai du dernier voyage.
C’est ce climat d’adieu, pudique et serein, qui enveloppe les » Quatre derniers lieder « ( » Vier letzte lieder « ) que compose, comme un merveilleux hommage à la voix, Richard Strauss, quelques mois avant sa mort,à partir d’un poème de Eichendorff et de trois poésies écrites des années plus tôt par un Hermann Hesse encore romantique.
» Frühling « , souvent arbitrairement joué le premier – pour favoriser sans doute l’impression d’un lent déclin vers la finitude – , donne à regarder les couleurs du printemps depuis les ombres qui progressent.
Déjà » Septembre « se profile. Déjà s’annonce » L’heure du sommeil « . Au » Soleil couchant « viendra, légitime et tranquille, l’inévitable question : » Ist dies etwa der Tod ? » ( Serait-ce déjà la mort ?)
Est-il plus beau printemps que le dernier ?…
Dans de sombres caveaux J’ai longtemps rêvé De tes arbres en fleurs et de tes brises azurées, De tes senteurs et de tes chants d’oiseaux.
Te voilà à présent Dans ton éclatante parure, Inondé de lumière Comme un prodige devant moi.
Tu me reconnais, Tu m’attires avec douceur, Ta délicieuse présence Fait frémir tous mes membres !
Hermann Hesse
Traduction Jacques Fournier (in Livret CD – DG 447 422-2)
Quand, le printemps venu, je me promène sur les rivages reverdis qui bordent le Rhin à Düsseldorf, il m’arrive parfois d’entendre les eaux fredonner les thèmes d’une ancienne symphonie. Alors je m’assois un instant dans la douceur du soir qui vient, je ferme les paupières et j’écoute.
La musique se précise, – » animato et grazioso « – : ici le gazouillement subtil des cordes, là leur ascension puissante, rythmes et contrastes d’une effervescente activité. Oh ! Voici l’escalade des violoncelles, et les trombones qui les suivent et les bois qui les rejoignent au rendez-vous qu’ils se sont donné au sommet. Dès que les cors et les hautbois seront arrivés, tous, apaisés, s’émerveilleront ensemble au gazouillis léger de la flûte.
Tout cela ressemble bien à un tableau musical du printemps.
C’est le » printemps« … comme Schumann l’entendait un an après son mariage avec sa chère Clara qui l’avait tant incité à écrire sa première symphonie, » Frühling « , en exergue de laquelle il mentionna ce vers si simple d’Adolph Böttiger, qui la résume toute : » Dans la vallée fleurit le printemps. «
Mais attention, c’est le final : l’orchestre, exhorté par les cuivres, engage une formidable chevauchée sur les gammes vers la conclusion de ce dernier mouvement de l’œuvre. « Une montée de sève printanière », selon l’expression si juste de Lionel Stoléru.
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Ma promenade reprend. Mais, chaque fois que je m’approche d’un pont, les eaux du Rhin semblent se taire, recueillies. En prêtant l’oreille avec attention, je crois entendre le bruit discret d’une alliance lancée dans l’eau. Et maintenant le bruit sourd d’un corps projeté dans le fleuve. On dirait que deux bateliers, déjà, essaient de repêcher un homme qui, à l’évidence, refuse d’être secouru. Il est vêtu d’une robe de chambre.
On dit que c’est un compositeur de musique… On n’est pas sûr de son nom : Eusebius ?… Florestan, peut-être ?…
Ce printemps 1854 qui s’annonce sera bien triste pour la famille Schumann.
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La nuit a calmé les ardeurs et les rumeurs de la Königsallee. Pour ne pas être éblouis par la lumière des réverbères, les arbres plongent leurs têtes feuillues dans les eaux noires du canal. D’une fenêtre ouverte s’échappe – qui s’en plaindrait ? – une courte mélodie enjouée. Une voix douce chante la beauté, l’air léger, le rossignol, la floraison et les parfums d’une nuit de printemps. Fanny Mendelssohn, dont le talent, si on lui avait permis de l’exprimer pleinement, aurait sans doute égaler celui de son frère Félix, en a composé la musique ; les vers sont du poète Joseph von Eichendorff.
» Qui ne vit pas la passion romantique, perd une partie du sens de la vie. »
(Lionel Stoléru in » Une écoute du romantisme « – Ed L’Harmattan)
Übern Garten durch die Lüfte Hört ich Wandervögel ziehn, Das bedeutet Frühlingsdüfte, Unten fängts schon an zu blühn.
Jauchzen möcht ich, möchte weinen, Ist mirs doch, als könnts nicht sein! Alte Wunder wieder scheinen Mit dem Mondesglanz herein.
Und der Mond, die Sterne sagens, Und in Träumen rauschts der Hain, Und die Nachtigallen schlagens: Sie ist deine, sie ist dein!
Pas plus que le » Duende » ou la » Saudade « … Et pas plus aisément explicable…
Pour trouver une réponse à cette bonne vieille question qui contient en elle-même tous les sarcasmes du rationalisme occidental, il suffit simplement, après avoir considéré la géographie de cet Orient immense et peu hospitalier, de se glisser dans les œuvres des romanciers, des poètes ou des musiciens qui l’ont habité ou qui l’habitent encore. Là, on côtoie le mystère et la folie, la générosité des sentiments et l’outrance de leurs expressions. On se perd dans les ténèbres du drame, on s’enlise dans la tristesse et les peines, mais, toujours poussé à travers la plaine glacée par les vents de l’espérance, on finit joyeusement par se heurter au bonheur de vivre. Un bourgeon, un chant, un pas de danse, un verre (ou plus) de vodka et voilà qu’éclate une fois encore la lumière brutale de la beauté de vivre.
» Une âme qui laisse passer la lumière, sans forcément qu’il s’agisse du ciel ou de Dieu, voilà en quoi l’on reconnaît qu’elle est « slave » » Dominique Fernandez.
Plus de raison après cela de s’étonner que le printemps occupe une aussi grande place dans le cœur du musicien russe, au point que l’un des plus grands d’entre eux ait écrit à sa gloire une des œuvres les plus magistrales du XXème siècle : Igor Stravinsky et son ballet » Le Sacre du Printemps « .
Une jeune fille, selon les décisions des sages de la tribu inventée par Stravinsky, doit être sacrifiée et offerte au dieu slave de la fertilité, Yarilo, pour qu’il comble de sa générosité les terres qui nourrissent ces peuplades.
Stravinsky, dès le début de la première partie, » Adoration de la terre « , décrit comme il l’annonce sur le programme de la première représentation, » Le printemps, la terre couverte de fleurs et d’herbe. La joie qui y règne… «
Pina Bauch l’illustre ainsi dans sa chorégraphie :
La neige est encore là, par endroit, mais déjà les premières eaux qui courent à travers la campagne annoncent les futures verdeurs du printemps. C’est le thème du poème joyeux de Fiodor Tiouttchev que met en musique cet autre immense compositeur russe qu’est Rachmaninov. Sur le flot continu des touches du piano coule le chant enthousiaste lancé vers le soleil à la gloire du renouveau de la nature ; cri d’impatience d’un admirateur ou d’une admiratrice attendant devant sa loge qu’apparaisse parée sa vedette préférée.
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Partagée entre le rythme alerte des jeunes abeilles au travail et le rythme flâneur des premiers papillons qui pavanent, la nature danse sous la brise, au chant joyeux des oiseaux de la campagne moscovite. C’est le film printanier que projette à nos oreilles Nicolaï Medtner depuis son piano de compositeur. Une ode virtuose à la vie qui renaît enfin…
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Et quelle joie alors, au soir venu d’un bel avril, de valser tendrement avec Anna Karénine, dans la fraîcheur vivifiante d’un parc à Saint Pétersbourg, accompagné par la musique de Tchaïkovsky qui aura su si bien peindre toutes les saisons de sa bienaimée Russie.
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Comme on rendrait un religieux hommage à un dieu qu’on adore, un jeune homme d’une trentaine d’années, Sergeï Rachmaninov, consacre, en 1902, au printemps, tout une cantate. Sorti à peine d’une longue dépression de plusieurs années, et peu avant de célébrer son mariage avec Natalia, le pianiste compositeur s’inspirant d’un poème de Nikolay Nekrasov décrit ce que le poète appelle le » murmure vert « . C’est la » Cantate opus 20, pour Baryton, chœur et orchestre « , un chef d’œuvre.
Un mari envahi de pensées meurtrières envers sa femme infidèle pendant l’hiver, trouve, avec le retour du printemps, l’apaisement de ses frustrations nécessaire à son pardon.
Aux mouvements descendants qui suggèrent la désespérance des nuits d’hiver, succèdent les ascensions vers la lumière du printemps qui fait dire à la nature renaissante s’exprimant au travers du chœur : » Pardonne tant que tu peux pardonner, et que Dieu soit ton juge! « .
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Enfin, et pour que ce billet ne cherche plus à rivaliser en volume avec » Guerre et Paix « , ce voyage à la recherche de l’âme russe doit prendre fin. Mais pourrait-on le terminer sans accompagner notre guide, ce printemps musical russe, jusqu’aux portes bourdonnantes de l’été qu’il prépare ?
Déjà les champs blondissent, déjà brûlent les chaleurs de juin, déjà, bombardiers de vie déployés autour de leurs cibles multicolores, les bourdons s’entrecroisent à un rythme effréné, moteurs vrombissants sous les notes enchantées du chantre du printemps, Rimsky-Korsakov :
En vérité, le printemps italien, ces dernières années, a pris l’habitude de sonner régulièrement à nos oreilles, hiver comme été, chaque fois qu’un correspondant téléphonique nous met en attente. Ainsi, certains, qui usent et abusent de leur téléphone (pour téléphoner), ont-ils pu devenir des spécialistes de Vivaldi, tout au moins de quelques unes de ses « Quatre saisons ».
Les experts vous diront d’ailleurs du « Printemps » qu’il donne à peu près ceci, les violons en plus évidemment… et les pianos en moins :
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Mais, trêve de raillerie, L’Italie, la patrie du chant, a fêté la belle saison plus que tout autre peut-être, et depuis toujours. Et quel plus beau symbole du chant enjôleur des printemps fleuris que le rossignol, seigneur des harmonies, qui trille, gringotte et quiritte nuit et jour, de l’orée du bois jusqu’au fond du jardin.
A Naples, au XVIIème siècle, Alessandro Scarlatti (le père de Domenico qui composa les innombrables et célèbres sonates pour le clavecin) écrit une sérénade en hommage à la saison nouvelle, » Gloria di Primavera « d’où Claudio Osele extrait cette pièce, « Canta dolce il Rosignolo ». Il confie le rôle du charmant volatile à sa complice Simone Kermès, et tout devient émerveillement, délicatesse, exquise lumière d’un printemps baroque.
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En 1958, dans les rues de Viareggio, on ne chantait plus la joie de vivre, comme on chantait le printemps à la Chapelle du vice-roi de Naples deux siècles et demi plus tôt, certes. Mais, le printemps, lui, n’avait pas changé, pas plus d’ailleurs que les rêves heureux des amoureux.
Comme eux, Domenico Modugno voyait tout en bleu, couleur de ce ciel printanier d’Italie où les plus âgés d’entre nous pouvaient le voir » volare « à tue-tête et l’entendre « cantare » de toutes ses ailes son succès du moment : « Nel blu dipinto di blu. »
Quand on chante le printemps, le soir, dans les ruelles étroites de l’Alfama, ce très vieux quartier de Lisbonne, on ne pousse pas la chansonnette qui salue le retour et les joies des beaux jours. Oh non ! On chante, mélancolique, la nostalgie des amours perdues, les peines et les souffrances de l’âme. On chante la » saudade « .
Les cordes des guitares sont faites de chair humaine et vibrent aux larmes, comme des cœurs meurtris ; la voix, long lamento venu du plus profond des entrailles, envoie quelques lambeaux d’espérance à l’âme qui s’enténèbre et qui crie sa douleur.
Là-bas, on chante le » Fado » !
Tout cet amour qui nous souda Comme s’il était de cire Se brisait et se défaisait. Aïe funeste printemps Nous aurions vraiment dû Mourir ce jour-là.
J’étais tellement condamnée À vivre seule avec mes larmes À vivre, à vivre sans toi. Vivre sans jamais oublier Cet enchantement Que ce jour-là j’ai perdu.
Le pain dur de la solitude C’est seulement ce que l’on nous donne Ce que l’on nous donne à manger. Qu’importe que mon cœur Dise oui ou dise non S’il continue à vivre.
Tout cet amour qui nous souda S’il se brisait, se défaisait, En terreur se convertissait. Que personne ne me parle du printemps Ah si seulement, nous étions Morts ce jour-là !
(Traduction approximative)
Dans chaque Fado, une larme pour la grande et inoubliable Amalia Rodrigues.
Les compositeurs norvégiens qui, comme Grieg, sont passés à la postérité ne sont pas nombreux. Il faut dire que les compositeurs norvégiens, tous réunis, ne sont pas légion, non plus.
L’un d’entre eux, cependant, sans avoir connu la notoriété de Edvard Grieg, a laissé à la musique de belles traces de son incontestable talent. Son nom sonne comme une clochette, c’est Christian Sinding. On lui doit un catalogue plutôt riche et varié de compositions, telles que symphonies, concertos pour violon et pour piano, œuvres de musique de chambre, partitions pour la voix ou les chœurs, un grand nombre de lieder et même un opéra, « Der heilige Berg » (La montagne sacrée).
Bien évidemment Sinding a composé pour le piano et comme la plupart des artistes de tous les temps il a rendu hommage à la saison du renouveau – tant attendue sous les plus froides latitudes. Dans une de ses pièces pour piano seul de 1896, « Frühlingsrauschen » (Bruissement de printemps), le compositeur raconte l’aventure fragile des tendres jeunes pousses et traduit l’âpreté de leur combat pour la vie contre les derniers rudoiements de l’hiver dont elles finiront bien heureusement par triompher.
Parfois, comme ici, le piano choisit de se faire accompagner par tout l’orchestre pour chanter le miracle toujours recommencé de la nature qui sort d’un long sommeil glacé :
…
» Si nous regardions bien, si nous regardions calmement, nous serions effrayés par la souveraineté de la moindre pâquerette : elle est là, toute bête, toute jaune. Pour être là, elle a dû traverser des morts et des déserts. Pour être là, toute menue, elle a dû livrer des guerres sans pitié. «
Christian Bobin
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Mais on ne quittera certainement pas la Norvège musicale et printanière sans avoir salué l’immense Edvard Grieg.
La célèbre soprano norvégienne, Sissel (Sissel Kyrkjebø), pour accompagner notre embarquement sur le port d’Oslo, chante la mélodie, un peu triste mais si belle dans la paix et la sagesse qui la nimbent, du vieil homme portant un ultime regard sur son « dernier printemps ».
Puisse mon dernier regard sur mon dernier printemps emporter mon âme dans la sereine sensualité d’une pareille paix !
Dieu m’a permis de revoir le printemps, L’hiver mis en fuite ; Et j’ai pu voir de nouveau reverdir Les arbres en feuilles !…
Dieu m’a permis de revoir une fois La glace et la neige Fondre avec bruit et changer en torrent Le lit des rivières ;
J’ai de nouveau contemplé dans les prés Les fleurs printanières, J’ai de nouveau entendu dans les bois Les chants d’espérance !
Dieu m’a permis de revoir le soleil Chauffer la prairie, Où voltigeaient les légers papillons Sur tous les calices !…
Mais le printemps à son tour disparu Me laisse tout triste. Vais-je une fois voir encor revenir Ces jours de délices ?
Tous les bonheurs en ce monde ont leur fin, Ma vie eut ses charmes. Puisqu’ici-bas j’eus ma part de bienfaits, Pourquoi me plaindrais-je ?
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Et même sans les paroles du poète Aasmund Olavsson Vinje, la musique, dans sa simplicité élégiaque transmet, intacte, l’émotion dernière d’une vie qui s’éteint à l’heure où tout revit.
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy