Mais la tendre Élégie et sa grâce touchante M’ont séduit. L’Élégie à la voix gémissante, Au ris mêlé de pleurs, aux longs cheveux épars ; Belle, levant au ciel ses humides regards.
André Chénier – « Élégie XXXII »
Irina Lankova – pianiste
Amours déçues, vision désespérée du futur, tourments de mort…
Et s’ouvre grand pour l’âme sensible du poète ou du musicien l’intime registre élégiaque.
Fugitive, une lueur de confiance parfois le traverse.
Un poème de Goethe, comme une invitation à noyer de nos larmes la plainte apaisée d’un cœur éploré :
« Réconciliation »
Une composition romantique comme un émouvant appel à fondre notre plus triste soupir dans l’envoûtante mélancolie d’une mélodie de Rachmaninov :
Parfois, dans le trouble embrumé du réveil, les mots se dérobent. Comment dire alors les images du rêve désormais évanoui qui s’affichent, furtives, par à-coups, et qui voudraient encore laisser croire à la douce réalité d’un bonheur, éphémère, dissout dans la nuit passagère qui l’avait créé ?
Seule la musique, dans la quête élégiaque d’un violon, peut raconter le rêve et les émois illusoires façonnés par le songe.
– Cours ! Cours jeune fille à travers la nuit ! Vois comme elle t’a menti !
Gabriel Fauré : » Après un rêve « – Janine Jansen (violon) & Itamar Golan (piano)
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Parfois les mots d’un poète inconnu spontanément s’unissent et se combinent pour raconter l’illusion brisée par le jour revenu.
La mélodie demeure…
Après le rêve, quelle plus belle voix et quelle plus belle diction que celles de Régine Crespin pour le continuer ?
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Dans un sommeil que charmait ton image Je rêvais le bonheur, ardent mirage, Tes yeux étaient plus doux, ta voix pure et sonore, Tu rayonnais comme un ciel éclairé par l’aurore ;
Tu m’appelais et je quittais la terre Pour m’enfuir avec toi vers la lumière, Les cieux pour nous entr’ouvraient leurs nues, Splendeurs inconnues, lueurs divines entrevues,
Hélas! Hélas! triste réveil des songes Je t’appelle, ô nuit, rends moi tes mensonges, Reviens, reviens radieuse, Reviens ô nuit mystérieuse!
Poème anonyme italien, adapté par Romain Bussine (1830-1899)
Les compositeurs norvégiens qui, comme Grieg, sont passés à la postérité ne sont pas nombreux. Il faut dire que les compositeurs norvégiens, tous réunis, ne sont pas légion, non plus.
L’un d’entre eux, cependant, sans avoir connu la notoriété de Edvard Grieg, a laissé à la musique de belles traces de son incontestable talent. Son nom sonne comme une clochette, c’est Christian Sinding. On lui doit un catalogue plutôt riche et varié de compositions, telles que symphonies, concertos pour violon et pour piano, œuvres de musique de chambre, partitions pour la voix ou les chœurs, un grand nombre de lieder et même un opéra, « Der heilige Berg » (La montagne sacrée).
Bien évidemment Sinding a composé pour le piano et comme la plupart des artistes de tous les temps il a rendu hommage à la saison du renouveau – tant attendue sous les plus froides latitudes. Dans une de ses pièces pour piano seul de 1896, » Frühlingsrauschen « (Bruissement de printemps), le compositeur raconte l’aventure fragile des tendres jeunes pousses et traduit l’âpreté de leur combat pour la vie contre les derniers rudoiements de l’hiver dont elles finiront bien heureusement par triompher.
Parfois, comme ici, le piano choisit de se faire accompagner par tout l’orchestre pour chanter le miracle toujours recommencé de la nature qui sort d’un long sommeil glacé:
…
» Si nous regardions bien, si nous regardions calmement, nous serions effrayés par la souveraineté de la moindre pâquerette : elle est là, toute bête, toute jaune. Pour être là, elle a dû traverser des morts et des déserts. Pour être là, toute menue, elle a dû livrer des guerres sans pitié. «
Christian Bobin
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Mais on ne quittera certainement pas la Norvège musicale et printanière sans avoir salué l’immense Edvard Grieg.
La célèbre soprano norvégienne, Sissel (Sissel Kyrkjebø), pour accompagner notre embarquement sur le port d’Oslo, chante la mélodie, un peu triste mais si belle dans la paix et la sagesse qui la nimbent, du vieil homme portant un ultime regard sur son « dernier printemps ».
Puisse mon dernier regard sur mon dernier printemps emporter mon âme dans la sereine sensualité d’une pareille paix !
Dieu m’a permis de revoir le printemps, L’hiver mis en fuite ; Et j’ai pu voir de nouveau reverdir Les arbres en feuilles !…
Dieu m’a permis de revoir une fois La glace et la neige Fondre avec bruit et changer en torrent Le lit des rivières ;
J’ai de nouveau contemplé dans les prés Les fleurs printanières, J’ai de nouveau entendu dans les bois Les chants d’espérance !
Dieu m’a permis de revoir le soleil Chauffer la prairie, Où voltigeaient les légers papillons Sur tous les calices !…
Mais le printemps à son tour disparu Me laisse tout triste. Vais-je une fois voir encor revenir Ces jours de délices ?
Tous les bonheurs en ce monde ont leur fin, Ma vie eut ses charmes. Puisqu’ici-bas j’eus ma part de bienfaits, Pourquoi me plaindrais-je ?
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Et même sans les paroles du poète Aasmund Olavsson Vinje, la musique, dans sa simplicité élégiaque transmet, intacte, l’émotion dernière d’une vie qui s’éteint à l’heure où tout revit.
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy
L'oreille du taureau à la fenêtre De la maison sauvage où le soleil blessé Un soleil intérieur de terre Tentures du réveil les parois de la chambre Ont vaincu le sommeil Paul Eluard