Le silence et la rêverie

Vient de paraître sur « De braises et d’ombre » :

Le silence et la rêverie

« Alors le rêveur est tout fondu en sa rêverie. Sa rêverie est sa vie silencieuse. C’est cette paix silencieuse que veut nous communiquer le poète. »

Gaston Bachelard

Stephanie Jones

Lire, voir, écouter . . .

Noces d’hiver

Faut-il avoir quelques gènes slaves pour se complaire à cette mélancolie de l’âme russe?

Je ne sache pas que le grand Est ait quelque peu participé à ma généalogie méditerranéenne, et cependant, j’aime à me prélasser dans la rêverie mélancolique des mélodies russes où passe souvent un brin de fataliste résignation à son propre sort. Un romantisme qui n’a pas besoin d’être à la mode pour exister, et dont je ne voudrais pas qu’on l’appelât « tristesse’, tant il porte en lui cette merveilleuse capacité de se métamorphoser, d’un coup, en rires tonitruants et généreux.

De cette vidéo qui m’enchante je ne sais presque rien, sauf que la guitare et la voix appartiennent à Elena Frolova, et que le poème est de Joseph Brodsky, prix Nobel de littérature 1987 au grand dam de l’Union Soviétique. Il disait de lui-même : « Je suis un poète russe, un romancier anglais, et un citoyen américain ; merveilleux mélange ! ». Avec lui se clôt, en quelque sorte, « L’Age d’argent » des poètes et philosophes russes dont faisaient, entre autres, partie Anna Akhmatova et Marina Tsvétaëva, poétesses « maudites » qu’il admirait.

L’heure n’est pas à la neige ; au mariage non plus d’ailleurs… Pour certains, peut-être! Qu’importe, cela n’empêche pas de laisser voyager nos sens un instant sur ce « chemin aux ailes ».

Noces d’hiver

Je me suis mariée
En plein janvier.
De l’église perchée sur la colline
La cloche sonnait longue et divine.
Je regardais de l’autel
Le long chemin aux ailes.
J’y envoyais mon regard
Qui est parti sans retard
Sur cette route ailée.
Je ne pouvais plus le rappeler.
La cloche sonnait, sonnait,
Le marié me fixait,
Les cierges clignotaient,
Je les comptais.

Joseph Brodsky

Lecture sur toile

Andre-Martin de Barros

Andre-Martin de Barros

Pendant que je rédigeais le billet précédent, « L’amour des livres », quelques images venaient m’interrompre par instant, et je me trouvais ainsi, mentalement, face à des liseurs ou des liseuses que des peintres célèbres avaient figés sur la toile. Oh! il ne m’apparut que quelques toiles seulement – sept ou huit, à la mesure de ma mémoire, et surtout de ma connaissance – et seules les plus connues d’entre elles s’imposaient, que j’avais déjà rencontrées lors d’une visite de musée, ou sur la page d’un livre que telle ou telle devait illustrer.

Je compris soudain – les évidences nous apparaissent toujours très tard – que la personne qui s’abandonne dans sa lecture devient de fait un parfait modèle pour le peintre. Fixé pour un temps assez long dans une attitude naturelle et confortable, immobile, insoucieux de ce qui l’entoure et partant ne « posant » pas, le lecteur (ou la lectrice) s’offre, proie innocente, au regard exacerbé de l’artiste. A lui alors tout le loisir de saisir avec précision la position d’un doigt, de capter l’expression d’un regard enfui vers un ailleurs inconnu, de caresser le galbe d’un bras ou d’une épaule qu’aucune tension ne contraint plus.

Curiosité aiguisée, j’entrepris donc un petit voyage internautique à la recherche de tableaux représentant liseurs ou lectrices, et je fus immédiatement emporté dans un insoupçonnable tourbillon d’œuvres sur le sujet. A toutes les époques et en tout lieu, la lecture a captivé le peintre. Pour la raison précédemment évoquée, parce que nous sommes culturellement enfants des religions du Livre, parce que la lecture est un acte aussi commun que fréquent dans notre vie, pour d’autres motifs que je ne saisis pas encore? Je ne sais.

Demeure le constat : le nombre des toiles représentant la lecture est considérable. Une formidable découverte! Et pour tant de naïve ignorance, pardon.

J’ai donc rempli mon panier, – il y a encore beaucoup à cueillir – pour mon plaisir égoïste de voyeur, bien sûr, mais aussi pour partager ces délices avec ceux qui me font l’amitié de leur visite. Certains offrent des chocolats… « J’ vous ai apporté »… des tableaux! (avec la voix de Brel, bien entendu).

Misogynes attention : les femmes qui lisent sont nombreuses. Sont-elles aussi dangereuses que le prétendent Laure Adler et Stefan Bollmann dans le récent ouvrage qu’ils publient? – Avec pour illustrer la page de couverture cette belle expression de rêverie saisie par Vittorio-Matteo Corcos.

Femmes qui lisent

Avant que de vous laisser embarquer dans les diaporamas qui vous attendent, permettez-moi encore un petit commentaire. Lecteur ou liseur?

Sans le formidable génie expressif du peintre, il n’est pas certain que la différence, sur la toile, s’affiche d’emblée. Cependant, dans la réalité de l’acte, pour celui qui aime lire, la nuance entre « lecteur » et « liseur » me paraît sensible . Quelqu’un disait qu’ « on ne peut être lecteur sans être liseur, et qu’on peut être liseur sans être lecteur », accordant ainsi au lecteur une aptitude à pénétrer le texte au delà des signes, à s’enrichir profondément de la relation à l’autre que tisse sa lecture ; le liseur se limitant plutôt à un déchiffrage plus superficiel, fonctionnel, du texte écrit. Ceci dit, évidemment, sans aucun jugement de valeur, pour le simple plaisir du jeu des mots.

&

Seul (e) avec son livre (168 images) :

Ce diaporama nécessite JavaScript.

&

Lire en compagnie (33 images) :

Ce diaporama nécessite JavaScript.

•••

Au fil du courant

Il ne faut pas s’étonner, lorsqu’on revient d’une longue promenade sur des sentiers boueux, d’avoir les semelles crottées. Mais il arrive parfois que de précieuses pépites s’agrippent à la glaise des chaussures. Il faut alors les exposer, comme des trophées, dans la vitrine aux plaisirs, pour que chacun en profite.

En voici une ramenée de mes récentes pérégrinations : film en noir et blanc, je dirais plutôt en nuances de gris.  Un voyage romantique dans une région inconnue, au travers de ses routes, de ses quartiers et de sa campagne. On se laisse emporter comme une feuille au fil du courant dans cette errance sans but bercée par la tendresse de l’andante du concerto N°2 pour piano de Chostakovitch – merveilleusement interprété. Une douce complicité entre images et musique, où, comme en un miroir, pourraient se refléter ces vers de Baudelaire :

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Réalisateur vidéo : StarStruckFilms101

Musiciens : English Chamber Orchestra dirigé par Jerzy Maksymiuk – Piano : Dmitri Alexeev