Née dans une région perdue de quelque pays d’Asie, cette petite histoire a fait, depuis le début du XXème siècle, un long voyage vers ce billet, pour nous faire sourire. Mais pas que…!
Là-bas, dans une province peu fréquentée, archaïque et pauvre, une poignée de paysans cultivent durement le riz et élèvent quelques porcs dans des fermes sommaires et isolées. Comme à chaque fois que le moment vient de vendre les animaux, Zhou part avec quelques bêtes rejoindre le marché, à la ville située à un jour et demi de marche. Alors qu’il s’apprête à s’engager sur le chemin bourbeux avec son minuscule troupeau, Yun, son épouse, lui crie : – « Et n’oublie pas de me rapporter un peigne! ». Zhou, sans se retourner, lève simplement une main fatiguée en signe d’acquiescement.
Le marché terminé, les bêtes bien vendues, Zhou estime mériter quelques verres de huangjiu et se rend à l’auberge voisine. Mais après quelques carafes de ce puissant alcool de riz, la lassitude du voyage aidant, notre paysan n’a plus les idées claires.
Juste avant de reprendre la route une pensée toutefois parvient à franchir les vapeurs qui embrument son esprit : sa femme lui avait demandé de lui rapporter quelque chose ; mais quoi ? Un objet de toilette, peut-être ? Il entre donc au bazar du coin et incapable de faire fonctionner sa mémoire accepte la suggestion du vendeur, il achète un miroir à main.
Yun, déçue de n’avoir pas reçu son peigne, prend malgré tout le miroir, et, alors que son mari repart aux champs, le présente face à elle. Aussitôt elle se met à sangloter. Sa mère, alertée par les hoquets de sa fille, s’approche d’elle et lui demande pourquoi ces pleurs.
– « Zhou a ramené Madame numéro 2 ! » dit-elle, catastrophée, en montrant l’objet.
– « Fais voir ! » dit la mère prenant le miroir en main. Puis, l’ayant regardé attentivement, annonce : – « Ne t’inquiète donc pas, elle est bien vieille ; et elle n’en a plus pour longtemps ! ».
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Voilà, me semble-t-il, une jolie allégorie des pouvoirs du miroir, de ce « beau miroir » que, vêtue des atours de la méchante reine ou parée de la coiffe fleurie de la tendre fillette, éternellement, la féminité questionne.
Par la richesse symbolique qu’il détient, le miroir exerce sa fascination sur le genre humain depuis le fond des âges. La relation entre le visible et l’invisible, entre le réel et l’imaginaire, entre l’intelligible et le sensible, en un mot entre le sujet et son reflet, n’a jamais cessé de tourmenter les esprits. Réflexion, réflexivité, illusion, autant de paradoxes qui confèrent au miroir sa part d’ambiguïté et de mystère. Ce miroir schizophrène dont l’autre face ne cesse d’alimenter l’intrigue.
Ainsi le thème de la « femme au miroir » a-t-il nourri l’inspiration de bien des artistes et des écrivains de toutes les époques. Plus que tout autre peut-être, – allant jusqu’à devenir lui-même parfois son propre sujet, posant au fond du miroir – le peintre, observateur discret et sensible, a regardé la femme se regardant, fascinée par son propre reflet, vaniteuse narcissique ou naïve jouant avec son image, la questionnant sans cesse.
De ce formidable intérêt pour la psyché les chefs-d’œuvre du genre abondent, que nous prenons toujours plaisir à regarder… pour y trouver peut-être une réponse que notre miroir lui-même ne nous a pas encore donnée.
Deux galeries :
– Femmes au miroir
– Le peintre à son miroir : l’autoportrait
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Femmes au miroir :
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Le peintre à son miroir : l’autoportrait
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