‘A une muse folle’

Vient de paraître sur « De Braises et d’Ombre » :

‘A une muse folle’

Allons, insoucieuse, ô ma folle compagne,
Voici que l’hiver sombre attriste la campagne,
Rentrons fouler tous deux les splendides coussins…

Jules Joseph Lefebvre – Odalisque

Un poème de Théodore de Banville extrait de « Les Cariatides » (1842) comme une invitation à une exposition virtuelle de nus empruntés à l’histoire de la Peinture.

La plume et le pinceau,

la rime et la couleur,

le mot, l‘image et l’imaginaire…

Lire, écouter, voir. . . !

A une muse folle

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A une muse folle

Théodore de Banville – Janvier 1842.

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Allons, insoucieuse, ô ma folle compagne,
Voici que l’hiver sombre attriste la campagne,
Rentrons fouler tous deux les splendides coussins ;
C’est le moment de voir le feu briller dans l’âtre ;
La bise vient ; j’ai peur de son baiser bleuâtre
Pour la peau blanche de tes seins.

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Allons chercher tous deux la caresse frileuse.
Notre lit est couvert d’une étoffe moelleuse ;
Enroule ma pensée à tes muscles nerveux ;
Ma chère âme ! trésor de la race d’Hélène,
Verse autour de mon corps l’ambre de ton haleine
Et le manteau de tes cheveux.

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Que me fait cette glace aux brillantes arêtes,
Cette neige éternelle utile à maints poètes
Et ce vieil ouragan au blasphème hagard ?
Moi, j’aurai l’ouragan dans l’onde où tu te joues,
La glace dans ton cœur, la neige sur tes joues,
Et l’arc-en-ciel dans ton regard.

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Il faudrait n’avoir pas de bonnes chambres closes,
Pour chercher en janvier des strophes et des roses.
Les vers en ce temps-là sont de méchants fardeaux.
Si nous ne trouvons plus les roses que tu sèmes,
Au lieu d’user nos voix à chanter des poèmes,
Nous en ferons sous les rideaux.

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Tandis que la Naïade interrompt son murmure
Et que ses tristes flots lui prêtent pour armure
Leurs glaçons transparents faits de cristal ouvré,
Échevelés tous deux sur la couche défaite,
Nous puiserons les vins, pleurs du soleil en fête,
Dans un grand cratère doré.

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À nous les arbres morts luttant avec la flamme,
Les tapis variés qui réjouissent l’âme,
Et les divans, profonds à nous anéantir !
Nous nous préserverons de toute rude atteinte
Sous des voiles épais de pourpre trois fois teinte
Que signerait l’ancienne Tyr.

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À nous les lambris d’or illuminant les salles,
À nous les contes bleus des nuits orientales,
Caprices pailletés que l’on brode en fumant,
Et le loisir sans fin des molles cigarettes
Que le feu caressant pare de collerettes
Où brille un rouge diamant !

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Ainsi pour de longs jours suspendons notre lyre ;
Aimons-nous ; oublions que nous avons su lire !
Que le vieux goût romain préside à nos repas !
Apprenons à nous deux comme il est bon de vivre,
Faisons nos plus doux chants et notre plus beau livre,
Le livre que l’on n’écrit pas.

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Tressaille mollement sous la main qui te flatte.
Quand le tendre lilas, le vert et l’écarlate,
L’azur délicieux, l’ivoire aux fiers dédains,
Le jaune fleur de soufre aimé de Véronèse
Et le rose du feu qui rougit la fournaise
Éclateront sur les jardins.

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 Nous irons découvrir aussi notre Amérique !
L’Eldorado rêvé, le pays chimérique
Où l’Ondine aux yeux bleus sort du lac en songeant,
Où pour Titania la perle noire abonde,
Où près d’Hérodiade avec la fée Habonde
Chasse Diane au front d’argent !

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Mais pour l’heure qu’il est, sur nos vitres gothiques
Brillent des fleurs de givre et des lys fantastiques ;
Tu soupires des mots qui ne sont pas des chants,
Et tes beaux seins polis, plus blancs que deux étoiles,
Ont l’air, à la façon dont ils tordent leurs voiles,
De vouloir s’en aller aux champs.

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Donc, fais la révérence au lecteur qui savoure
Peut-être avec plaisir, mais non pas sans bravoure,
Tes délires de Muse et mes rêves de fou,
Et, comme en te courbant dans un adieu suprême,
Jette-lui, si tu veux, pour ton meilleur poème,
Tes bras de femme autour du cou !

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Appelez-la « Mademoiselle »!

En ce temps là, au cœur des années 60, on ne « niquait » pas sa mère », ni même la police. Les « jeunes gens » que nous étions sentaient leurs joues rosir quand une jeune femme, sortant d’une voiture, négligeait de tenir sa jupe et laissait entrevoir une once de nylon rose pour nous offrir, sans s’en douter, le monde entier.

En ces temps là, chanter était un synonyme de joie, de plaisir, de bonheur de vivre. Les compositeurs composaient, les auteurs étaient des poètes, plus inspirés par l’amour que par le meurtre ; leur langue, même argotique, devait plus à Molière ou à Rabelais qu’aux « tchatches » des cités ; lequel d’entre eux aurait pensé s’atteler à l’apologie de la violence ou de la vengeance?

En ce temps là – ce n’était pourtant pas le Moyen Age – on n’écoutait pas cette chanson devant ses parents, et  quand Colette Renard passait à la télévision pour la chanter, les producteurs prenaient soin d’en transformer les paroles, en espérant que, même terriblement édulcorée, la version ne choquerait pas une grande part de l’audience.

Aujourd’hui, au risque, encore très faible mais sans doute véritable, d’écorcher quelques tympans pudibonds, on peut se laisser aller au plaisir nostalgique et heureux d’écouter les « Nuits d’une demoiselle » qui s’appelait Colette Renard et dont jamais la voix délicate ne flirte avec le vulgaire.

Puissiez-vous comme moi savourer l’instant d’une gourmandise, en version originale…

… Ou en version « soft », comme on dit.

Et si vous rougissez un peu… Tant mieux!