Elle viendra – 3 – Diabolique

Vient de paraître sur « De Braises et d’Ombre » :

Elle viendra – 3 – Diabolique

Reprise d’un billet du 24/03/2018 : ‘Le Diable est dans… la voix

 

« A Satan reviennent toujours les chants les plus beaux. »

Dicton

Eugène Delacroix – Méphisto apparaissant à Faust-1828

Faust et la littérature… Mais Faust et la musique !

Fascination diabolique de la « Faust Cantata » d’Alfred Schnittke, replacée dans son histoire…

Lire, voir… Écouter les voix du Diable !

Allégorie baroque de la douleur…

Vient de paraître sur « De braises et d’ombre » :

Allégorie baroque de la douleur… des pauvres hommes victimes du sadisme féminin

« Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots. »

Alfred de Musset

Nos chants les plus beaux, frères de désespérance, Haendel ne les a-t-il pas composés comme un éternel hommage compassionnel à nos chagrins immémoriaux d’amants déçus, d’amoureux délaissés ou de maris trahis ?

Lire, voir, écouter… pleurer et sourire !

Le Diable est dans… la voix !

Vient de paraître sur « De braises et d’ombre » :

Le Diable est dans… la voix !

« A Satan reviennent toujours les chants les plus beaux. » (Dicton)

Sont-elles nombreuses, et polymorphes souvent, les silhouettes du Docteur Faust qui ont depuis le XVIème siècle, traversé la culture populaire, la littérature et, étonnamment, la musique, jusqu’à apparaître dans nos miroirs d’aujourd’hui comme notre propre reflet, peut-être le plus…

Lire, voir, écouter la suite . . .

Et le baume devient poison…

« Ach, wer heilet die Schmerzen
« Des, dem Balsam zu Gift ward ? »

Goethe -« Harzreise im Winter »

Hélas, qui peut guérir la douleur
De celui à qui le baume est devenu poison ?

Goethe – Voyage dans le Harz en hiver

Ce 22 septembre 1869, à Lichtenthal, tout près de Baden-Baden, Julie Schumann, fille de Clara et Robert Schumann, épouse le comte Vittorio Amadeo Radicati di Marmorito. Johannes Brahms, fidèle et inconditionnel ami de la famille Schumann, lui offre en cadeau de mariage l’une de ses plus belles œuvres, née de la profonde déréliction dans laquelle l’a plongé l’évènement.

Quelques mois plus tôt, alors qu’elle annonçait à Johannes les fiançailles de Julie, Clara fut saisie par la grande contrariété que la nouvelle venait de provoquer chez le jeune compositeur. « Il en fut aussitôt métamorphosé et s’enferma dans sa vieille mélancolie », note-t-elle. Julie, à l’évidence, ne laissait pas Brahms indifférent, la nouvelle l’accabla.

Assurément très dépité d’avoir tu ses sentiments, Brahms devait se reprocher de s’être, une fois encore, calfeutré dans cette habituelle solitude désabusée, née sans doute d’une forme particulière de misogynie qui ne consentirait à s’effacer que devant les forces d’une passion précisément ciblée. « J’étais fait pour le cloître, disait-il quand parfois il acceptait de parler de lui-même, mais le genre de couvent qu’il m’aurait fallu n’existe pas. »

A ce point paroxystique de la déception sentimentale, Brahms entrait en fraternité sans doute avec Werther au travers de ce sentiment spectral de dénuement et d’abandon qui nimbe les rivages de la mort. Est-ce le fruit du hasard, si, en ces difficiles moments, alors même qu’il venait de terminer la composition du poignant Requiem allemand, Johannes rencontrait un poème de Goethe, « Harzreise im Winter » (Voyage dans le Harz en hiver) dont trois strophes allaient lui inspirer l’une de ses plus émouvantes compositions : la « Rhapsodie pour Alto, chœur d’hommes et orchestre » ?

Goethe par Josef Lehmkuhl

Goethe par Josef Lehmkuhl

Quelques mots nécessaires sur l’histoire de ce poème :

Avec la publication des « Souffrances du jeune Werther » en 1774, Goethe, bien malgré lui, offre à la jeunesse de son temps une sorte de bible de la désespérance amoureuse dans laquelle se reconnaissent tous les amoureux malheureux de l’époque. Nombreux sont les jeunes hommes qui, se prenant pour Werther, écrivent à Goethe, souhaitant trouver dans les réponses du poète des raisons d’espérer encore. L’un de ces jeunes déprimés, une connaissance épistolaire de Goethe, Friedrich Plessing, l’invite à venir lui rendre visite, dans la région du Harz, au centre de l’Allemagne, afin de l’aider à se défaire des idées suicidaires qui le harcèlent. Et au cours de l’hiver 1777, Goethe fait le voyage à la découverte des montagnes du Harz, et à la rencontre de son jeune correspondant qu’il commencera par aborder incognito afin de le laisser librement exprimer les causes et les formes de sa mélancolie.

Goethe écrira douze strophes qui racontent ce voyage d’hiver dans le Harz. C’est l’amorce pour le poète d’une nouvelle vision, plus philosophique, de lui-même et de son art. Trois d’entre elles (V/VI/VII) – qui forment en elles-mêmes une entité particulière – concernent sa relation avec le jeune Plessing, très déprimé, qui, réconforté par la visite du grand écrivain, finira, avec le temps, par guérir de son mal. Ainsi qu’en exprime le sincère désir Goethe dans la prière au Père d’Amour qui conclue cet ensemble.

Clara Wieck-Schumann

Clara Wieck-Schumann

C’est en découvrant la mise en musique d’une de ces strophes par un certain Reichardt que Brahms décide de composer sa « Rhapsodie », qu’il hésite d’ailleurs à éditer tant elle traduit son moi « intime », exprime ses failles et dévoile les ressorts de sa spiritualité. Mais c’est peut-être aussi pour ces mêmes raisons qu’il choisit d’en faire son cadeau de mariage à Julie.

Comme toujours, c’est à Clara qu’il réserve la primeur de ses œuvres, et c’est donc, évidemment, à Clara qu’il présente d’abord, ce jour-là, la « Rhapsodie » destinée à Julie. Il faut lire ce que Clara écrivait dans son journal, à cette date, pour percevoir combien cette composition expose à la lumière l’âme de Brahms :

« Johannes m’a présenté une pièce splendide… les mots du Voyage d’hiver dans le Harz de Goethe, pour Alto, chœur d’hommes et orchestre. Il dit que c’est « son chant nuptial pour la comtesse Julie ». Il y a bien longtemps, autant que je m’en souvienne, que je n’ai été aussi émue par la profondeur d’une souffrance exprimée par les mots et la musique. Cette œuvre me semble, ni plus ni moins que l’expression de l’angoisse de son propre cœur. Si pour une fois il pouvait parler avec cette même authenticité ! »

Cette Rhapsodie s’ouvre par une introduction orchestrale en Ut mineur – tonalité des profondeurs et des ténèbres – qui plante le décor hivernal et lugubre. La voix de contralto assène alors son angoissante question au cœur de ce paysage dramatique. Poursuivant son discours au rythme processionnaire de cet adagio, la voix laisse le soin à l’orchestre de ponctuer chaque vers comme pour amplifier la solennité du monologue.

Avec la deuxième strophe du poème, Brahms choisit un mouvement plus allant, plus lyrique aussi, pour exprimer avec toute sa sensibilité la lamentation résignée de celui que frappe ce mal romantique, enfermé dans l’impuissance de son désespoir, prisonnier tragique de sa misanthropie.

Progressivement la tonalité s’ouvre vers le majeur et avec l’entrée des chœurs pénètre la lumière de l’espérance. C’est une prière dans le style populaire cher à Brahms qui s’élève, pleine de confiance, vers le Ciel. Désormais la voix de soliste, l’orchestre et les chœurs se rassemblent, comme dans un hymne, en une communion spirituelle dominée par un sentiment d’apaisement et de sérénité.

Chant triomphal de Johannes en voie de vaincre le dépit que lui a causé le mariage de Julie ?

Réponse métaphysique à la question centrale du poème : « Qui peut guérir la douleur de celui à qui le baume est devenu poison ? » ?

Assurément, merveille de la musique ! Mahler déjà s’y profile…

Le long silence qui suit cette superbe interprétation est encore de la musique, n’est-ce pas ?

Aber abseits wer ist’s ?
Im Gebüsch verliert sich der Pfad.
Hinter ihm schlagen
Die Sträuche zusammen,
Das Gras steht wieder auf,
Die Öde verschlingt ihn.
Mais là-bas, qui est-ce ?
Son chemin se perd dans les bois
Derrière lui se referment les branchages,
L’herbe se redresse
La solitude l’engloutit.
Ach, wer heilet die Schmerzen
Des, dem Balsam zu Gift ward ?
Der sich Menschenhaß
Aus der Fülle der Liebe trank?
Erst verachtet, nun ein Verächter,
Zehrt er heimlich auf
Seinen eigenen Wert
In ungenugender Selbstsucht.
Hélas, qui peut guérir la douleur
De celui à qui le baume est devenu poison ?
De qui a bu la haine des hommes
Dans la plénitude de l’amour ?
D’abord méprisé, à présent contempteur,
Il méprise en secret le meilleur de soi
En vain égoïsme.
Ist auf deinem Psalter,
Vater der Liebe, ein Ton
Seinem Ohre vernehmlich,
So erquicke sein Herz !
Öffne den umwölkten Blick
Über die tausend Quellen
Neben dem Durstenden
In der Wüste !
S’il est dans ton psautier, Père d’Amour,
Un chant que son oreille puisse entendre,
Réconforte son cœur !
Ouvre le regard obnubilé
Sur les mille sources
Proche des assoiffés dans le désert.

L’orthographe de « Dieu »

Il est de rares instants d’éternité où croire devient une évidence, rendant superflue toute question. Dans ces moments là, pour écrire le nom de DIEU, il se pourrait bien qu’on utilise les lettres B. A. C. H.

(En relisant cette phrase, je me demande si je ne devrais pas lui ajouter les guillemets que ma fraternité avec Cioran pourrait me faire omettre.)

Bach

Jean-Sébastien Bach – Cantate BWV 170 – Première aria

« Vergnügte Ruh, beliebte Seelenlust »
Repos délicieux, plaisir recherché de l’âme

Aafje Heynis (Contralto)

Vergnügte Ruh, beliebte Seelenlust,
Repos délicieux, plaisir recherché de l’âme,
Dich kann man nicht bei Höllensünden,
Tu ne peux pas être trouvé parmi les péchés de l’enfer,
Wohl aber Himmelseintracht finden;
Mais plutôt dans la concorde du paradis ;
Du stärkst allein die schwache Brust.
Toi seul renforces le cœur faible.
Drum sollen lauter Tugendgaben
Donc seuls les dons purs de la vertu
In meinem Herzen Wohnung haben.
Auront une place dans mon cœur.