Disparaître dans la seule contemplation du monde…
Une minute, un jour, le reste d’une vie…
S’abreuver à…
Henry Purcell (1659-1695)
« Ô solitude, my sweetest choice » d’Henry Purcell, magnifiquement servi par la voix d’Anne Sofie Von Otter accompagnée au théorbe par Jakob Lindberg sur des images superbes d’Elisabeth Gadd.
Felix Nussbaum – Les squelettes jouent pour la danse 1944
« La sempiternelle souffrance a autant de droit à l’expression que le torturé celui de hurler ; c’est pourquoi il paraît bien avoir été faux d’affirmer qu’après Auschwitz il n’est plus possible d’écrire des poèmes »
Adorno – « Méditations sur la Métaphysique » (en réponse, dix ans après, à sa propre affirmation de 1949 : « Écrire un poème après Auschwitz est barbare. »)
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Domenico di Michelino – Dante et son poème – XVème
« Considerate la vostra semenza ; fatti non foste a viver come bruti, ma per seguir virtute e conoscenza. »
(« Considérez votre dignité d’homme : Vous n’avez pas été faits pour vivre comme des bêtes, mais pour acquérir vertu et connaissance. ») Dante – « Divine Comédie », cité par Primo Lévi –« Si c’est un homme » chapitre 11
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Orphée pour tromper l’horreur :
La soprano Anne-Sofie Von Otter a publié en 2007 un CD « Terezin Theresienstadt » pour contribuer à la commémoration des musiciens juifs assassinés dans les camps nazis, et en particulier dans ce « ghetto » créé de toutes pièces, qui, supercherie couplée à l’horreur, devait servir à la propagande hitlérienne de démonstration de sa « bonne foi ».
Malgré les souffrances, la faim et le froid, qui étaient le quotidien de ces intellectuels juifs regroupés dans cette antichambre des fours crématoires d’Auschwitz, la création artistique restait leur plus puissant soutien. Parmi eux, une écrivaine et compositrice tchèque, Ilse Weber. Pour apaiser les craintes de son fils Tommy avec lequel elle était conduite à la mort, elle chanta jusqu’à l’ultime instant cette douce mélodie, « Wiegala ».
Dodo l’enfant do,
Le vent joue de la lyre.
Il joue doucement entre les verts roseaux,
Le rossignol chante sa chanson.
Dodo…
Dodo, l’enfant do,
La lune est une lanterne
Au plafond noir du ciel,
Elle contemple le monde
Dodo…
Dodo, l’enfant do,
Comme le monde est silencieux !
Pas un bruit ne trouble la paix,
Toi aussi mon bébé, dors.
Dodo, l’enfant do,
Que le monde est silencieux !
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Orphée pour combattre l’horreur :
Chanson composée par Abel Meeropol afin de dénoncer les Necktie-Parties (lynchages par pendaison) qui avaient lieu dans le Sud des États Unis dans les années 30 et 40 et auxquelles assistaient joyeusement les blancs endimanchés pour la circonstance . Cette chanson fut offerte à Billie Holiday. Elle est ici interprétée par Nina Simone sur d’ « étranges » images.
Fruit étrange
Les arbres du Sud portent un fruit étrange Du sang sur leurs feuilles et du sang sur leurs racines Des corps noirs qui se balancent dans la brise du Sud Un fruit étrange suspendu aux peupliers Scène pastorale du vaillant Sud Les yeux révulsés et la bouche déformée Le parfum des magnolias doux et printanier Puis l’odeur soudaine de la chair qui brûle Voici un fruit que les corbeaux picorent Que la pluie fait pousser, que le vent assèche Que le soleil fait mûrir, que l’arbre fait tomber Voici une bien étrange et amère récolte !
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Orphée pour l’indispensable souvenir de l’horreur, de toutes les horreurs des hommes :
Zoran Music (1909-2005)
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Vladimir Jankélévitch (1903-1985)
« Ces innombrables morts, ces massacrés, ces torturés, ces piétinés, ces offensés sont notre affaire à nous. Qui en parlerait si nous n’en parlions pas? Qui même y penserait ? […] Si nous cessions d’y penser, nous achèverions de les exterminer, et ils seraient anéantis définitivement. »
Vladimir Jankélévitch, Pardonner ?, 1971
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Primo Levi (1919-1987)
Si c’est un homme
Vous qui vivez en toute quiétude Bien au chaud dans vos maisons Vous qui trouvez le soir en rentrant La table mise et des visages amis, Considérez si c’est un homme Que celui qui peine dans la boue, Qui ne connait pas de repos, Qui se bat pour un quignon de pain Qui meurt pour oui ou pour un non.
Considérez si c’est une femme Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux Et jusqu’à la force de se souvenir, Les yeux vides et le sein froid Comme une grenouille en hiver. N’oubliez pas que cela fut, Non ne l’oubliez pas : Gravez ces mots dans votre cœur Pensez y chez vous, dans la rue, En vous couchant, en vous levant : Répétez-les à vos enfants. Ou que votre maison s’écroule, Que la maladie vous accable Que vos enfants se détournent de vous.
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Ossip Mandelstam (1891-1938)
Des monceaux de têtes s’effacent à l’horizon
Là-bas je me réduis, nul ne me remarque plus.
Mais en de tendres livres, et dans les jeux d’enfants.
Je ressusciterai pour dire : le soleil brille.
(in « Les cahiers de Voronej » – 1935-1937 – Derniers poèmes avant son transfert dans un camp stalinien de Kolyma, où il meurt en 1938)
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Paul Celan (1920-1970)
« Il y a encore des chants à chanter au delà des hommes. »
Le dîner était bien arrosé. Les conséquences sont fâcheuses, certes, mais c’est tant mieux quand celle qui a abusé n’est autre que l’immense et merveilleuse
ANNE-SOFIE VON OTTER
Accompagnée par les Musiciens du Louvre dirigés par Marc Minkovsky
Ah! quel dîner je viens de faire!
Et quel vin extraordinaire!
J’en ai tant bu… mais tant tant, tant,
Que je crois bien … que maintenant
Je suis un peu grise.. un peu grise .
Mais chut !
Faut pas qu’on le dise!
faut pas chut
Si ma parole est un peu vague,
Si tout en marchant je zigzague,
Et si mon œil est égrillard,
Il ne faut s’en étonner, car…
Je suis un peu grise…un peu grise
Mais chut!
Faut pas qu’on le dise! faut pas ha faut pas
Chut!
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy
L'oreille du taureau à la fenêtre De la maison sauvage où le soleil blessé Un soleil intérieur de terre Tentures du réveil les parois de la chambre Ont vaincu le sommeil Paul Eluard