La Passion selon Saint-Matthieu ne manque jamais, à chaque écoute et quelles qu’en soient les conditions, de nous transporter, mon incroyance et moi, vers le plus beau des cieux. Cette version, théâtralisée par Castellucci, nous aura fait faire le voyage vers la Lumière dans une Larme infiniment spirituelle nourrie…
» Ô Jeanne, sans sépulcre et sans portrait, Toi qui savais que le tombeau des Héros est le Cœur des Vivants «
Jules-Eugêne Lenepveu – XIX – Jeanne d’Arc au bûcher – Panthéon
André Malraux, prêtant généreusement à Jeanne d’Arc une pensée de Tacite, ne pouvait mieux exprimer, avec le sens de la formule qui le caractérisait, combien nombreuses sont les sépultures que la postérité a érigées en hommage à l’héroïne de Domrémi. On ne compte plus depuis longtemps les cœurs qui vibrent, tant pour la figure emblématique de notre histoire que pour la sainte de l’Église catholique. Et l’on s’attache inlassablement à dresser la liste, sans cesse rallongée – nul ne s’en plaindra -, des artistes, peintres, sculpteurs, architectes, romanciers, poètes ou musiciens qui ont trouvé en Jeanne un éternel sujet d’inspiration.
C’est au XIXème siècle et au début du XXème que les œuvres qui la célèbrent trouvent leur pleine audience, en ces temps où ni la récupération politique de son image symbolique par un parti, ni la volonté de s’éloigner de l’héroïne en réaction à ce mouvement, n’ont encore pris naissance.
Parmi les richesses artistiques produites autour de Jeanne d’Arc à cette époque heureuse où elle rassemble, il en est une qui, depuis la » Jeanne au bûcher « de Roberto Rossellini (1954), interprétée par Ingrid Bergman, n’a jamais quitté mon oreille. Il s’agit de la composition de 1938 en forme d’oratorio de Arthur Honegger et Paul Claudel : » Jeanne d’Arc au bûcher« . Car c’est bien pour illustrer cette partition qui l’a enchanté que Rossellini décide de faire ce film, « popularisant » – si l’on peut parler ainsi d’une œuvre musicale demeurée somme toute plutôt réservée – les onze tableaux de ce mystère lyrique.
Ce n’est certes pas la meilleure réalisation de Rossellini, et il s’agit plutôt d’un opéra filmé que d’un film au sens plein, mais cette production, que le vieux Paul Claudel proche de sa fin trouva « bouleversante », reste mémorable par la qualité des images et la splendide interprétation d’Ingrid Bergman, inégalée dans le rôle. La musique d’Arthur Honegger et le texte de Paul Claudel mis à part, évidemment.
Arthur Honegger (1892-1955)
Et pourtant, offrir sa musique à la rue était bien le souhait de celui qui se qualifiait modestement de « Beethoven du pauvre ». Honegger disait à propos de son oratorio : « La musique doit devenir droite, simple, et de grande allure : le peuple se fiche de la technique et du fignolage. J’ai essayé de réaliser cela dans « Jeanne au bûcher ». Je me suis efforcé d’être accessible à l’homme de la rue tout en intéressant le musicien. » (citation extraite d’un article de Joëlle Kuczynski – in « Mensuel des polyphonies » – 09/2009)
Mission brillamment accomplie par le compositeur ! Et heureuse décision de l’écrivain qui a bien failli nous priver de son talent, ayant décliné d’emblée la proposition de collaboration que lui avait faite Honegger. Ce n’est que grâce à la vision qu’il eut, peu après son refus, de deux mains enchaînées faisant le signe de croix, que Claudel se ravisa et accepta de se charger du livret de l’oratorio. Il en boucla l’écriture en quelques semaines.
Jeanne au bûcher – Ingrid Bergman
Dans ses derniers instants, Jeanne retrouve Frère Dominique qui lui présente le livre de sa vie terrestre. Ne sachant lire elle-même, elle lui demande d’en faire lecture. Ainsi commence un véritable flashback des ultimes moments de la martyre où se conjuguent en une merveilleuse communion compositionelle le drame théâtralisé par Claudel d’une part, et d’autre part, les angoisses d’une condamnée avant son horrible et injuste exécution, rendues plus vraies que nature par la force évocatrice de la musique de Honegger, déjà particulièrement aguerri aux compositions pour le cinéma.
En novembre 2012, depuis l’Auditori de Barcelone, Medici TV, retransmettait en direct une remarquable version de concert de cette fresque lyrique, avec un plateau d’une exceptionnelle qualité. La chaîne ne propose hélas plus ce programme riche en émotions, mais on trouve sur internet quelques extraits vidéos.
Voici donc en partage quelques unes des innombrables minutes intenses de ce spectacle …
» Je ne veux pas mourir «
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Les dernières notes, les dernières paroles
Information : Les 4 & 5 mars 2015 à la Philharmonie de Paris (Porte de la Villette), Marion Cotillard sera une nouvelle fois Jeanne au bûcher. Elle sera accompagnée par l’Orchestre de Paris et les Chœurs de l’Orchestre de Paris, sous la direction de Kazuki Yamada.
Noires, du mystère qui les nimbent Noires, des humus fertiles qu’elles exhalent Noires, de l’ébène du sculpteur Noires, de la suie des cierges qui l’implorent Noires, de l’ombre des cryptes orientales Noires, comme le sein d’Isis Noires, couleur de l’homme sans Livre Noires, comme un Nom avant le baptême J’aime ces vierges qui ne le seraient plus, Mères éternelles d’un enfant sans gloire encor’ Et qui, assises sur leurs trônes, Gardent toujours les pieds dans un siècle païen.
Vierge noire – Rocamadour
Sainte Vierge, priez pour nous,
Vierge, Reine et Patronne, priez pour nous,
Vierge que Zachée le publicain nous a fait connaître et aimer,
Vierge à qui Zachée ou Saint Amadour
Éleva ce sanctuaire, priez pour nous…
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Mais quand la mère voit son fils bien-aimé, seul et abandonné de tous, expirer dans un grand cri (Vidit suum dulcem natum moriendo desolatum dum emisit spiritum), elle n’aspire plus qu’à le rejoindre.
Le « Rêve infini »devient « Divine extase » lorsque Massenet l’accompagne au Royaume des Cieux :
Le cinéaste Woody Allen disait qu’écouter Wagner lui donnait des envies d’envahir la Pologne. Pour ma part je n’écoute jamais Jean-Sébastien Bach sans ressentir une furieuse envie de croire…
Et, » Dieu merci » – conformément à l’expression naturelle de tout athée bien pensant – je me purifie très souvent avec les œuvres du Maître.
Qui sait ce que l’avenir me réserve ?…
Sur l’instant, à l’évidence : une paix paradisiaque et une joie… divine !
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Perles de lumière pour ce week-end pascal :
Si ni mes plaintes ni mes larmes Ne vous touchent, Oh ! Alors, arrachez-moi le cœur, Qu’il devienne le calice Dans lequel s’épanche Le doux sang de ses blessures !
Jésus s’adresse à ses bourreaux par la magnifique voix de Julia Hamari. Épuisé par ses souffrances il sera bientôt mis au tombeau.
Tous ceux qui auront, impuissants, assisté à sa détresse sur la croix se réunissent en un chœur empreint de la plus profonde tristesse et accompagnent son ultime clignement de paupières.
Matthieu l’évangéliste a terminé son récit. Jean-Sébastien Bach termine la » Matthäus-Passion » (La passion selon Saint Matthieu) par cet inoubliable chœur, une des plus belles musiques du monde :
Nous nous asseyons en pleurant, Et te crions dans ton tombeau Repose en paix ! Repose en paix ! Reposez membres épuisés ! Que le sépulcre et la pierre tombale Soient un doux oreiller À l’âme inquiète Et qu’elle y trouve le repos. Apaisés, les yeux se ferment alors
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Jour de pâques : Pierre et Jean découvre le tombeau de Jésus vide… Et Bach, à la lecture des Évangiles, compose en 1725 son » Oratorio de Pâques « qui commence ainsi par cette tonique » Sinfonia « :
Tom Koopman dirige les Chœurs et Solistes de Lyon
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» Christ lag in Todesbanden « (Le Christ gisait dans les liens de la mort) – Cantate N° 4 composée pour le » Dimanche de Pâques «
Le premier choral, ici transcrit pour orgue et interprété par l’organiste canadienne Rachel Laurin.
Christ gisait dans les liens de la mort Sacrifié pour nos péchés, Il est ressuscité Et nous a apporté la vie ; Nous devons nous réjouir, Louer Dieu et lui être reconnaissant Et chanter Alléluia, Alléluia!
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Cantate N° 66 pour le » Lundi de Pâques « : » Erfreut euch, ihr Herzen « ( Que les cœurs se réjouissent) – 5ème mouvement : Duo pour Alto et Ténor
{Alto,Ténor}
{Je craignais certes, Je ne craignais pas} les ténèbres du tombeau.
Et j’espérais que mon Sauveur
{me soit, ne me serait pas} arraché. Ensemble
Maintenant mon cœur est rempli de réconfort
Et même si un ennemi en éprouve de la fureur,
Je saurai vaincre en Dieu
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» S’il y a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu. » (Cioran)
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy