Il y a des moments où il faut absolument laisser dormir sur leurs étagères poussiéreuses, dans la paix du savoir qu’ils n’ont pas su nous transmettre, tous les Confucius, les Socrate, Schopenhauer et autres Kant.
Il y a des moments d’exception où, loin des bibliothèques et des chaires, la philosophie s’exprime dans sa plus pure vérité, dignement vêtue du seul costume qui lui convienne, la modestie, à travers une simple fenêtre sur rue, depuis le vieil ivoire d’un piano droit d’où s’échappent quelques notes de Jean-Sébastien Bach. Si l’on prête l’oreille, on peut entendre une enfant du XXème siècle, âgée de 110 ans, à qui le grand Schnabel lui-même avait jadis dit qu’il ne pourrait rien lui apprendre de plus au piano, jouer du bout des doigts l’« invention à deux voix » en Fa majeur. Si l’on tend l’oreille, on reçoit la plus belle leçon de philosophie qui se puisse donner, celle qui apprend à garder le cœur grand ouvert.
Il y a des moments, courts instants d’éternité, où l’on comprend que la vie s’invente, s’invente, s’invente…
Il y a des moments où écouter aux fenêtres est un impérieux devoir, salutaire… peut-être…!
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« I am full of joy »
Paroles prononcées par Alice Sommer, la plus vieille survivante de l’holocauste et personnage central de ce formidable reportage diffusé hier soir, mardi 5 mai 2015, sur France 2, dans l’émission INFRAROUGE.
L’histoire se passe dans un pays inconnu, mais pas si lointain, en des temps… pas si anciens qu’on pourrait le penser.
Un homme d »âge avancé, veuf et père de deux adolescents, souhaitait, malgré l’extrême modestie de ses moyens, offrir un beau cadeau de Noël à chacun de ses fils, très différents l’un de l’autre. L’aîné, peu porté au sourire et à l’optimisme, avait plutôt une fâcheuse tendance à la bouderie, voyant partout le malheur du monde ; le plus jeune prenait, pour sa part, la vie par ses meilleurs côtés, lui souriant sans cesse.
Ayant réuni ses pauvres économies et emprunté les quelques sous manquants à des voisins bienveillants, l’homme partit d’abord acheter le cadeau pour son aîné. Il trouva une très jolie montre d’occasion, la fit empaqueter comme il se doit, et la paya.
Sorti de l’horlogerie, il se rendit compte que toute sa petite fortune était passée dans ce premier achat pour son fils pessimiste, et qu’il n’avait désormais plus de quoi payer le second cadeau destiné au cadet. Alors qu’il cherchait une façon de régler ce délicat problème, il avisa, quelques pas devant lui, un âne attelé à une petite charrette, qui lâchait son crottin sur le pavé. L’idée fusa. Il se précipita sur les déjections de l’animal et en rassembla les plus beaux morceaux dans son journal, avant de les disposer dans un papier argenté qu’il trouva dans une poubelle. Un ruban rouge, de la même origine, transforma le paquet en cadeau.
Il plaça les deux cadeaux au pied de l’arbre de Noël. La distribution eut lieu après le frugal dîner de la petite famille. L’aîné ouvrit son paquet, et, sans commentaire ni expression d’une quelconque satisfaction, partit se coucher.
Le lendemain matin, une voisine rencontra les deux garçons et avisant d’abord le plus âgé, demanda :
– En voilà une bien jolie montre, tu dois être heureux de ce formidable cadeau?
– Bô, non!
– Et pourquoi donc?
– Parce que, répondit-il tristement, à chaque fois que je regarde mon poignet, je vois défiler les secondes, les minutes et les heures, et que tout ce temps qui passe me rapproche de la vieillesse et de la mort.
Alors, s’adressant au plus jeune, la voisine demanda :
– Et toi, qu’as tu reçu comme cadeau?
– Oh! Moi j’ai eu un cheval! Répondit le garçon, joyeusement, mais il a préféré la liberté.
Δ
Tiré, à la manière des « Menteurs », des « Contes philosophiques du monde entier » de Jean-Claude Carrière
et dont je voudrais tant, une seule fois au moins, entendre les tripes gueuler les titres de ces deux airs célèbres :
« Glitter and be gay! » (Que ça brille et sois gaie!)
« Je veux vivre…! »
Pour Madeleine
à qui je souhaite fraternellement d’entrevoir – rêve désespéré – un instant seulement le chemin vers son « inaccessible étoile ».
ψ
Glitter and be gay! (Leonard Bernstein – Candide)
C’est un extrait de l’opérette de Léonard Bernstein, Candide, très inspirée du conte éponyme de Voltaire qui exprimait à travers lui, après le tremblement de terre de Lisbonne en 1755, son puissant refus de l’optimisme outré de son époque où fleurissaient à foison les catastrophes, les guerres et l’inquisition. (Le monde, jadis, était-il si différent du nôtre?)
Candide est chassé du château où il est hébergé, pour avoir imité avec Cunégonde, la fille du Baron, les jeux particuliers que pratiquaient son maître de philosophie, Pangloss, et la jeune servante de la baronne.
Après une série de péripéties tragiques, Candide retrouve Pangloss devenu misérable à cause de la maladie peu avouable qu’il a reçue de la jolie servante, et part avec lui à Paris. Il y retrouve Cunégonde qui est devenue à la fois la maitresse du Cardinal de Paris et celle d’un riche marchand juif.
Elle chante sa déchéance et sa fortune avec grâce et… humour :
Pas dans la boîte les diamants… Dans la voix!
La gaité? Dans la salle, partout!
C’est la partie que je joue
Ici, je suis à Paris, en France
Forcée de plier mon âme
A un rôle sordide
Victime d’amères, amères circonstances
Hélas pour moi, j’ai dû rester auprès de Madame ma mère
Ma vertu est resté sans tache
Jusqu’à ce que ma main de jeune fille soit prise par certains grand-ducs,
Ou autres
Ah, la vie n’était pas simple
La dure nécessité
M’a conduite dans cette cage dorée
J’étais vouée à des choses plus élevées
Ici, je replie mes ailes
En chantant ma peine
Rien ne peut l’apaiser
Et pourtant, bien sûr, j’aime assez me régaler, ha, ha!
Je n’ai aucune objection pour le champagne, ha, ha
Ma garde-robe est chère comme le diable, ha, ha
Peut-être que c’est ignoble de se plaindre?
Assez, assez,
De verser des larmes
Je vais vous montrer ma noble énergie
En étant lumineuse et agréable
Ha, Ha, Ha –
Perles et bagues de rubis
Ah, comment les choses du monde prennent la place de l’honneur perdu?
Sauraient-elles compenser ma déchéance par leur terrible prix
Bracelets, lavalieres, peuvent-ils sécher mes larmes?
Peuvent-ils aveugler mon regard de honte!
Le brillant des broches m’épargnera-t-il tout reproche?
Le plus pur diamant peut-il purifier mon nom?
Et pourtant, bien sûr, ces bijoux sont attachants, ha, ha!
Je suis si heureuse mon saphir est une étoile, ha, ha.
J’aime assez une boucle d’oreille de 20 carats, ha, ha!
Si je ne suis pas pure, au moins mes bijoux le sont
Assez, assez, je vais prendre ce collier de diamants
Et de montrer ma noble énergie
En étant gai et insouciante!
Ha, Ha, Ha!
Voyez comme bravement je cache la honte terrible qui est la mienne!
ψ
Je veux vivre…! (La valse de Juliette in « Roméo et Juliette » de Gounod)
JULIETTE Ah! Je veux vivre Dans ce rêve qui m’enivre; Ce jour encore, Douce flamme, Je te garde dans mon âme Comme un trésor! Cette ivresse De jeunesse Ne dure, hélas! qu’un jour! Puis vient l’heure Où l’on pleure, Le cœur cède à l’amour, Et le bonheur fuit sans retour. Je veux vivre, etc Loin de l’hiver morose Laisse-moi sommeiller Et respirer la rose Avant de l’effeuiller. Ah! Douce flamme, Reste dans mon âme Comme un doux trésor Longtemps encore!
ψ
Pour Madeleine…
Pour nous tous,
les voeux de cette prière profane :
Je vous souhaite des rêves à n’en plus finir Et l’envie furieuse d’en réaliser quelques-uns. Je vous souhaite d’aimer ce qu’il faut aimer Et d’oublier ce qu’il faut oublier, Je vous souhaite des passions, Je vous souhaite des silences, Je vous souhaite des chants d’oiseaux au réveil Et des rires d’enfants, Je vous souhaite de résister à l’enlisement, A l’indifférence et aux vertus négatives de notre époque, Je vous souhaite d’être vous…
A l’enterrement d’une feuille morte Deux escargots s’en vont Ils ont la coquille noire Du crêpe autour des cornes Ils s’en vont dans le noir Un très beau soir d’automne Hélas quand ils arrivent C’est déjà le printemps Les feuilles qui étaient mortes Sont toutes ressuscitées Et les deux escargots Sont très désappointés Mais voila le soleil Le soleil qui leur dit Prenez prenez la peine La peine de vous asseoir Prenez un verre de bière Si le cœur vous en dit Prenez si ça vous plaît L’autocar pour Paris Il partira ce soir Vous verrez du pays Mais ne prenez pas le deuil C’est moi qui vous le dit Ça noircit le blanc de l’œil Et puis ça enlaidit Les histoires de cercueils C’est triste et pas joli Reprenez vos couleurs Les couleurs de la vie Alors toutes les bêtes Les arbres et les plantes Se mettent a chanter A chanter à tue-tête La vraie chanson vivante La chanson de l’été Et tout le monde de boire Tout le monde de trinquer C’est un très joli soir Un joli soir d’été Et les deux escargots S’en retournent chez eux Ils s’en vont très émus Ils s’en vont très heureux Comme ils ont beaucoup bu Ils titubent un peu Mais là-haut dans le ciel La lune veille sur eux.
Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien,
Mais l’amour infini me montera dans l’âme ;
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, heureux- comme avec une femme
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Arthur Rimbaud – Sensation Musique : Debussy – Arabesque flûte et harpe
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy
Flâner entre le rêve et le poème... Ouvrir la cage aux arpèges... Se noyer dans un mot... S'évaporer dans les ciels d'un tableau... Prendre plaisir ou parfois en souffrir... Sentir et ressentir... Et puis le dire - S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
"Nouvelle encore, mal connue, parfois mal reçue [...] et cependant nécessaire, la notion de perversion narcissique se situe à un carrefour et une extrémité : carrefour entre l'intrapsychique et l'interactif, entre pathologie individuelle et pathologie familiale du narcissisme, et extrémité de la trajectoire incessamment explorée, reprise et précisée entre psychose et perversion." (Paul-Claude Racamier, 1992a) « La perversion narcissique constitue sans aucun doute le plus grand danger qui soit dans les familles, les groupes, les institutions et les sociétés. Rompre les liens, c’est attaquer l’amour objectal et c’est attaquer l’intelligence même : la peste n’a pas fait pis. » (Paul-Claude Racamier, 1992b) « Les hommes libres dans une société libre doivent apprendre non seulement à reconnaître cette attaque furtive contre l’intégrité mentale et à la combattre, mais doivent aussi apprendre ce qu’il y a dans l’esprit de l’homme qui le rend vulnérable à cette attaque, ce qui fait que, dans de nombreux cas, il aspire à sortir des responsabilités que la démocratie et la maturité républicaines lui imposent. » (Joost Meerlo, 1956)