Brumes et brouillards /1- Inventions d’artistes

 » On ne voit quelque chose que si l’on en voit la beauté. Alors, et alors seulement, elle vient à l’existence. A présent, les gens voient des brouillards, non parce qu’il y en a, mais parce que des poètes et des peintres leur ont enseigné la mystérieuse beauté de ces effets. Des brouillards ont pu exister pendant des siècles à Londres. J’ose même dire qu’il y en eut. Mais personne ne les a vus et, ainsi, nous ne savons rien d’eux.  Ils n’existèrent qu’au jour où l’art les inventa. « 

Oscar Wilde « Le déclin du mensonge », Intentions (1928), trad. H. Juin, Éd. UGE

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Accepter cette proposition d’un esprit aussi brillant que subversif pour qui l’art n’est ni une imitation de la réalité comme voulait le considérer Platon, ni une expression de la spiritualité ou de l’intellectualité des hommes selon la vision hégélienne, c’est reconnaître implicitement le pouvoir divin de l’artiste, inventeur de réalités.

Ainsi donc, demi-dieux devenus, peintres, musiciens, poètes, photographes, sculpteurs même, étrangement, ont inventé pour nous le brouillard et les brumes ; ainsi invitent-ils nos sens quémandeurs d’émotions à pénétrer les mondes nouveaux qu’ils dessinent, à partager la mélancolie qu’ils inspirent ou qui les inspirent, à frémir des mystères qu’ils suggèrent.

Nous ne bouderons pas leur invitation, loin s’en faudrait, trop impatients que nous sommes de découvrir, au-delà des considérations météorologiques d’Aristote, comment la vapeur du pinceau voile la toile, comment le mot se drape dans l’étoffe du rêve, comment la lumière se perd et se disperse dans l’opacité du nuage, comment l’objectif fouille la matière floue, comment la larme brouille la note…

Entreprenons ensemble un voyage à travers les brouillards des chemins et les brumes de l’âme, perdons nous sans boussole et sans plan dans ces profonds indéfinis. Et si parfois l’illusion attise nos angoisses rappelons-nous les vers rassurants du poète :

Il n’est pas de brouillards, comme il n’est point d’algèbres,
Qui résistent, au fond des nombres ou des cieux,
À la fixité calme et profonde des yeux ;
Je regardais ce mur d’abord confus et vague,
Où la forme semblait flotter comme une vague,
Où tout semblait vapeur, vertige, illusion ;
Et, sous mon œil pensif, l’étrange vision
Devenait moins brumeuse et plus claire, à mesure
Que ma prunelle était moins troublée et plus sûre.

Victor Hugo (La légende des siècles – La vision d’où est sorti ce livre)

A suivre…

« Nous sommes ces nuages… »

– Eh! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger?
– J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages!

Baudelaire ( In  » Petits poèmes en prose  » –   » I -L’étranger «  )

Ballet « Nuages » : Chorégraphe : Jiri Kylian – Musique : Claude Debussy (Nocturnes)

Les 2 danseurs canadiens : Evelyn Hart et Rex Harrington

Les nuages

Les nuages frôlent
Falaises et crêtes
Courtisent les vallées
Tracent sur plan d’azur
De brèves et blanches écritures
Détissées par le temps

Face aux montagnes
Qui surplombent nos saisons passagères
Nous sommes ces nuages
Entre gouffres et sommet.

Andrée Chedid ( » Rythmes  » )


Là bas… les merveilleux nuages !

Eugène Boudin - Deauville

L’étranger

« Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?
– Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
– Tes amis ?
– Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.
– Ta patrie ?
– J’ignore sous quelle latitude elle est située.
– La beauté ?
– Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.
– L’or ?
– Je le hais comme vous haïssez Dieu.
– Eh! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
– J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages ! »

Charles Baudelaire

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 » Devant la nature, c’est à méditer qu’il faut s’exercer. De grands ciels puissants, profonds, vaporeux, légers, et, là-dessous, un morceau de la terre ou des bateaux, mais que ce soit grand, idéalisé, comme je l’entrevois.  »         Eugène Boudin, peintre des ciels

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