Disparaître dans la seule contemplation du monde…
Une minute, un jour, le reste d’une vie…
S’abreuver à…
Henry Purcell (1659-1695)
« Ô solitude, my sweetest choice » d’Henry Purcell, magnifiquement servi par la voix d’Anne Sofie Von Otter accompagnée au théorbe par Jakob Lindberg sur des images superbes d’Elisabeth Gadd.
« Toutes les eaux sont couleur de noyade. » (Cioran – « Syllogismes de l’amertume »)
Aucune âme sensible qui se serait une fois seulement penchée sur le sommeil éternel de la belle Ophélie emportée par les flots, ne saurait réfuter ce constat péremptoire de Cioran ? L’aphorisme lui eût-il été contemporain, le grand Berlioz l’aurait assurément fait sien.
Hector Berlioz (1803-1869)
Très tôt admirateur du théâtre de Shakespeare, à l’instar de la plupart des artistes de la fin du XIXème siècle – romantisme oblige – Berlioz se passionna pour les héroïnes de théâtre telles que Juliette et Ophélie. L’intérêt tout particulier qu’il accorda à Ophélie ne fut sans doute pas étranger à la passion amoureuse qu’il ressentit pour celle qui l’incarnait alors à la scène, l’actrice anglaise Harriet Smithson, qu’il ne tarda pas à épouser. (Cette passion pour cette jeune actrice inspira au compositeur son inoubliable « Symphonie fantastique » : manière de dire déjà ici ce que la musique doit à Ophélie…).
Pas étonnant dès lors, que notre musicien ait souhaité, à différents moments de sa vie, rendre hommage à l’Hamlet de Shakespeare. Il composa sur ce thème trois pièces pour orchestre et chœurs qui furent regroupées en 1852 en un recueil unique, « Tristia ».
La première des trois compositions, « Méditation religieuse », est une profonde réflexion inspirée par un poème de Thomas Moore, sur « le monde [qui] n’est qu’une ombre fugitive ». La troisième, une « Marche funèbre pour la dernière scène d’Hamlet », est écrite pour un chœur sans paroles et orchestre ; son titre suffit amplement à en exprimer la thématique.
C’est avec la deuxième de ces trois pièces, « La mort d’Ophélie »,que Berlioz rend un très bel hommage à la mythique jeune femme. Il met en musique pour l’occasion un poème qu’Ernest Legouvé avait écrit à partir du récit que fait de la mort d’Ophélie la reine Gertrude à l’Acte IV d’Hamlet. Cependant, avant de donner à cette composition sa forme définitive pour chœur et orchestre, Berlioz en avait réalisé une version pour soprano et piano d’une beauté romantique particulièrement émouvante.
Et, à n’en pas douter, l’émotion devait être forte chez Berlioz aussi lors de la composition de cette ballade comme en témoignent certes le ton doucereux et les tendres harmonies ondoyantes de la musique – Andante con moto quasi Allegretto – mais comme l’affirment également les deux vers d’Ovide qu’il cite en exergue à sa partition :
… qui viderit illas
De lacrymis factas sentiet esse meas.
(celui qui les verra / reconnaîtra l’effet de mes larmes)
Notre émotion est à son comble quand Anne-Sofie von Otter chante, avec toute la délicatesse qu’on lui connaît, cette douce mélodie qui ressemble tant à celle qu’aurait pu fredonner la blanche Ophélie livrée par sa chute aux caprices du courant avant sa triste fin au fond des eaux.
Peintres, poètes et musiciens… n’est-ce pas là le moindre des cortèges que nous puissions rejoindre pour accompagner Ophélie…?
La beauté lui va si bien, même quand elle prend la triste couleur des eaux…
HD et sous-titres français disponibles en bas à droite de la vidéo
La mort d’Ophélie
Auprès d’un torrent Ophélie cueillait, tout en suivant le bord, dans sa douce et tendre folie, des pervenches, des boutons d’or, des iris aux couleurs d’opale, et de ces fleurs d’un rose pâle qu’on appelle des doigts de mort.
Puis, élevant sur ses mains blanches les riants trésors du matin, elle les suspendait aux branches, aux branches d’un saule voisin. Mais trop faible le rameau plie, se brise, et la pauvre Ophélie tombe, sa guirlande à la main.
Quelques instants sa robe enflée la tint encor sur le courant et, comme une voile gonflée, elle flottait toujours chantant, chantant quelque vieille ballade, chantant ainsi qu’une naïade née au milieu de ce torrent.
Mais cette étrange mélodie passa, rapide comme un son. Par les flots la robe alourdie bientôt dans l’abîme profond entraîna la pauvre insensée, laissant à peine commencée sa mélodieuse chanson.
Musique pour tous – Tous avec et tous pour la musique.
Comment mieux présenter la dernière soirée (The Last Night) du concert des Proms, ce festival de musique classique le plus populaire du monde, qui offre à un très large public, pendant plusieurs semaines chaque année, et depuis près de 120 ans, les musiciens classiques les plus appréciés du moment. Un bonheur musical démocratique, assurément.
Pour la dernière soirée, traditionnellement, les conventions du concert classique se relâchent et les répertoires s’ouvrent vers d’autres musiques moins familières aux artistes invités : orchestres symphoniques, chanteurs et chanteuses d’opéra, solistes classiques et autres choristes plus exercés aux cantates de Bach qu’au Negro Spiritual. Seul importe ce soir là que se fondent dans une même joie rythmée par la musique les mille différences d’une foule bariolée, jusqu’à ne faire plus qu’un seul corps chantant lorsque sont entonnés les immuables «Rule, Britannia !» de Thomas Arne, «Jerusalem» de Parry, et bien sûr le célébrissime «Land of Hope and Glory» de Elgar (toujours 2 fois !).
Parmi les « autres » musiques – que l’épithète soit considérée ici avec tout le respect qu’elle mérite – « TheLast Night » de l’année 2009, après avoir fait vibrer le public aux accords de Purcell, Haydn, Villa-Lobos et Mahler, avait inscrit au programme de l’orchestre symphonique de la BBC un arrangement, spécialement écrit pour la circonstance, d’un merveilleux et inoubliable standard du jazz, «They can’t take that away from me».
Et pour cette « Jam session » (ou presque) la partie vocale, ce soir là était confiée à la mezzo-soprano, Sarah Connolly, qu’on entend le plus souvent exceller dans les grands airs baroques et aussi parfois chez Mahler ou Wagner ; à la trompette la très talentueuse Alison Balsom qu’aucun répertoire ne rebute et qui rivalise de virtuosité avec le regretté Maurice André.
Not so classical ! Jazzy Last Night, isn’t it ?
There are many many crazy things That will keep me loving you And with your permission May I list a few
The way you wear your hat The way you sip your tea The memory of all that No they can’t take that away from me
The way your smile just beams The way you sing off key The way you haunt my dreams No they can’t take that away from me
We may never never meet again, on that bumpy road to love But I’ll always, always keep the memory of
The way you hold your knife The way we danced till three The way you changed my life No they can’t take that away from me
ƒ ƒ ƒ
« They can’t take that away from me » est une composition de George et Ira Gershwin pour le film « Shall we dance ? » de Mark Sandrich en 1937, avec Fred Astaire et Ginger Rogers.
En 1949, à l’occasion d’un film de Charles Walters, « The Barkleys of Broadway » – traduit en français de façon très évocatrice, « Entrons dans la danse » – Fred Astaire, à nouveau partenaire de Ginger Rogers, souhaite que cette chanson soit reprise pour un duo de charme… On ne saurait mieux dire :
ƒ ƒ ƒ
Pour parodier la première strophe de cette célèbre chanson devenue un standard interprété depuis par tant de talents divers, je pourrais dire :
Il y a beaucoup beaucoup de chanteurs
Qui me font aimer cette chanson
Et avec votre permission
J’en listerais quelques interprétations
Mais ce billet alors aurait bien du mal à trouver une fin. Aussi, et puisqu’il faut choisir : sans hésiter, une version dans laquelle rien ne manque, ni le charme, ni le jazz, ni la douceur de la voix, ni la soyeuse rugosité d’ailleurs, ni, bien sûr l’indispensable trompette du maître. Une version dont je dirais bien volontiers à mon tour :
Pourquoi faudrait-il qu’un agenda, trop bien organisé pour d’autres motifs que ceux qu’inspire le sentiment, rappelle à chacun, une fois l’an, qu’il doit sa vie et le « plus » unique si personnel qui la caractérise, à la mère qui les lui a donnés ?
Quand on a, un jour, reconnu la sienne dans la lumière de son sourire, les assistants de la mémoire ne sont plus d’aucune utilité. Ce regard aura gravé au plus profond du cœur d’enfant une empreinte que le temps, pourtant effaceur de génie, ne saura plus que raviver chaque jour jusqu’au bout du voyage.
Chacun pourrait, à sa guise, remplacer les images de cette vidéo montée par un sensible inconnu d’internet, par celles puisées dans son propre album, il ne changerait au fond que des visages. Rien, dans ce qui fait l’émotion de cette chanson – » I walk with you, Mama » (Je marche avec toi, Maman) – qu’elles veulent illustrer, ne se sera transformé : ni le rythme nostalgique de la ballade qu’elle propose, ni la douceur des souvenirs qu’elle évoque, ni le poids des questions encore suspendues à leur interminable point d’interrogation.
La voix de miel d’Anne-Sofie Von Otter pour enchanter un album de souvenirs inoubliables qui appartient à chacun et qui jamais ne nous laisse faire seul le chemin…
◊
Je marche avec toi, Maman
Sur le passage qui borde la rivière
Nous nourrissons les cygnes et saluons les gens que nous croisons.
Je parle avec toi Maman, et je t’écoute,
Et je t’entends me dire :
« Je suis désolée de t’avoir laissée seule sur ce chemin. »
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Je marche avec toi Maman
Dans le parc roux de l’automne
La tristesse l’habite quand chênes et érables perdent leurs feuilles.
Je parle avec toi Maman, et je t’écoute,
Et je t’entends me dire :
« Je suis désolée de t’avoir laissée seule sur ce chemin. »
◊
Oui, tu aurais pu rester plus longtemps
Pour me consacrer plus de temps,
Tu n’as même pas attendu de dire adieu
Pourquoi tant de folle précipitation ?
Je reste avec tant de questions,
Avec tellement d’amour à donner encore.
D’une certaine façon j’en suis arrivé à comprendre maintenant,
Bien qu’il semble que je n’aille nulle part.
◊
Je marche avec toi Maman,
Sur une route qui connait le voyage
Retraçant chaque pas
Chaque dimanche dans le parc.
Je parle avec toi Maman, et je t’écoute,
Et je t’entends me dire :
« Je suis désolée de t’avoir laissée seule sur ce chemin. »
◊
Compositeur : Benny Andersson, LE compositeur du célèbre groupe ABBA.
De vraies coquines ces anglaises qui chantent si bien notre français, avec tant de grâce et tant de charme. Et si elles se sont un peu éloignées de leurs vingt ans, leur voix a gardé toute la suavité de la jeunesse. Sur la scène ou devant la caméra elles affichent la facilité et la légèreté des plus grandes qu’elles ne sauraient cesser d’être.
Avec les hommes elles peuvent être finaudes et manipulatrices, un rien profiteuses et sans grande considération pour le sexe fort, comme Susan Graham, par exemple :
Ici, elle répète avec son pianiste une pièce extraite de la comédie musicale « L’amour masqué »d’André Messager sur des paroles de Sacha Guitry.
Paroles (de Sacha Guitry)
J’ai deux amants, c’est beaucoup mieux ! Car je fais croire à chacun d’eux Que l’autre est le monsieur sérieux.
Mon Dieu, que c’est bête les hommes ! Ils me donnent la même somme Exactement par mois Et je fais croire à chacun d’eux Que l’autre me donne le double chaque fois Et ma foi Ils me croient Ils me croient tous les deux.
Je ne sais pas comment nous sommes Mais mon Dieu Que c’est bête un homme, un homme, un homme Mon Dieu que c’est bête un homme ! Alors vous pensez… deux !
Un seul amant c’est ennuyeux C’est monotone et soupçonneux Tandis que deux c’est vraiment mieux. Mon Dieu qu’les hommes sont bêtes On les f’rait marcher sur la tête Facilement je crois Si par malheur ils n’avaient pas A cet endroit précis des ramures de bois Qui leur vont ! Et leur font un beau front ombrageux
Je ne sais pas comment nous sommes Nous sommes nous sommes Mais mon Dieu Que c’est bête un homme, un homme, un homme Mon Dieu que c’est bête un homme ! Alors vous pensez… deux !
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Elles peuvent aussi adorer les hommes, et les rechercher passionnément, surtout s’ils ne sont pas trop vieux et s’ils portent l’uniforme. Et qu’importe qu’elles soient grandes duchesses comme DameFelicity Lott dans« La Grande Duchesse de Gérolstein » de Jacques Offenbach.
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Je les aime !
Non, pas les militaires!… Mes deux superbes anglaises…
qui excellent aussi dans la mélodie française… (à suivre)
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy
Flâner entre le rêve et le poème... Ouvrir la cage aux arpèges... Se noyer dans un mot... S'évaporer dans les ciels d'un tableau... Prendre plaisir ou parfois en souffrir... Sentir et ressentir... Et puis le dire - S'enivrer de beauté pour se forcer à croire !
"Nouvelle encore, mal connue, parfois mal reçue [...] et cependant nécessaire, la notion de perversion narcissique se situe à un carrefour et une extrémité : carrefour entre l'intrapsychique et l'interactif, entre pathologie individuelle et pathologie familiale du narcissisme, et extrémité de la trajectoire incessamment explorée, reprise et précisée entre psychose et perversion." (Paul-Claude Racamier, 1992a) « La perversion narcissique constitue sans aucun doute le plus grand danger qui soit dans les familles, les groupes, les institutions et les sociétés. Rompre les liens, c’est attaquer l’amour objectal et c’est attaquer l’intelligence même : la peste n’a pas fait pis. » (Paul-Claude Racamier, 1992b) « Les hommes libres dans une société libre doivent apprendre non seulement à reconnaître cette attaque furtive contre l’intégrité mentale et à la combattre, mais doivent aussi apprendre ce qu’il y a dans l’esprit de l’homme qui le rend vulnérable à cette attaque, ce qui fait que, dans de nombreux cas, il aspire à sortir des responsabilités que la démocratie et la maturité républicaines lui imposent. » (Joost Meerlo, 1956)