« Cette fête du corps, devant nos âmes, offre lumière et joie ».
Paul Valéry (à propos de la danse)
Marianela Nunez & Vadim Muntagirov (Don Quichotte – The Royal Ballet)
Partagée au travers d’un aussi grand talent fait d’autant de grâce que de maîtrise, l’exultation de ce jeune couple qui doit la joie de pouvoir enfin s’unir à l’intervention habile de Don Quichotte, ne tarde pas à porter notre bonheur de l’admirer aux confins de l’extase.
Je souhaite que ces deux premières perles de 2015 servent de modèles à toutes les heures de votre nouvelle année :
Que la première leur inspire, pour rendre plus éclatant chacun de vos instants, la légèreté et la grâce de la souriante Aspicia, « lafille du Pharaon », que Taor, voyageur anglais, assoupi un instant dans la pyramide qui depuis des millénaires abrite la princesse, fait danser au milieu de son rêve extatique.
Et pour que le modèle que chaque heure aura à imiter se tienne au plus près de la perfection, la perle se fait étoile, la reine elle-même prête sa beauté et son talent à la jeune princesse : la Reine du Bolchoï, déesse de la danse, Svetlana Zakharova.
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La deuxième perle – en vérité, la deuxième fée – conférera à vos jours, je le souhaite, le souffle tonique d’un morceau de jazz, la joie enfantine et ludique, mais savante, des doigts qui l ‘interprètent, le plaisir des rencontres heureuses que celui-ci propose autour d’une tasse de thé…
… Et le bonheur simple, tel qu’il se cache derrière les bonnes surprises, comme celle, par exemple, jouissive, de l’alliance inattendue d’une virtuose du piano classique avec la comédie musicale de Broadway :
Dualité simple du bonheur et de la tristesse représentée par les deux arbres que chaque strophe de ce très émouvant poème de William Butler Yeats décrit. Épanchement romantique, certes, du poète qui après avoir traversé les souvenirs heureux d’un amour s’abandonne à la triste réalité de la perte douloureuse de l’être aimé. (Yeats n’a jamais accepté d’avoir été repoussé par Maud Gonne)
Mais aussi vision symboliste de la confrontation entre le Bien et le Mal telle que l’illustre l’Arbre de Vie dans la Kabbale ; sagesse qui n’a pas – loin s’en faut – laissé indifférent le mystique Yeats, et que révèlent les images poétiques opposées qu’il distribue symétriquement dans les branches de chacun de ses arbres.
William Butler Yeats (1865-1939)
The two trees
Beloved, gaze in thine own heart,
The holy tree is growing there ;
From joy the holy branches start,
And all the trembling flowers they bear.
The changing colours of its fruit
Have dowered the stars with metry light ;
The surety of its hidden root
Has planted quiet in the night ;
The shaking of its leafy head
Has given the waves their melody,
And made my lips and music wed,
Murmuring a wizard song for thee.
There the Joves a circle go,
The flaming circle of our days,
Gyring, spiring to and fro
In those great ignorant leafy ways ;
Remembering all that shaken hair
And how the winged sandals dart,
Thine eyes grow full of tender care :
Beloved, gaze in thine own heart.
Gaze no more in the bitter glass
The demons, with their subtle guile.
Lift up before us when they pass,
Or only gaze a little while ;
For there a fatal image grows
That the stormy night receives,
Roots half hidden under snows,
Broken boughs and blackened leaves.
For ill things turn to barrenness
In the dim glass the demons hold,
The glass of outer weariness,
Made when God slept in times of old.
There, through the broken branches, go
The ravens of unresting thought ;
Flying, crying, to and fro,
Cruel claw and hungry throat,
Or else they stand and sniff the wind,
And shake their ragged wings ; alas !
Thy tender eyes grow all unkind :
Gaze no more in the bitter glass.
1893
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Interprétation : Loreena McKennitt (Auteur-compositeur-interprète canadienne, d’origine irlandaise et écossaise, très inspirée par les traditions et musiques celtiques)
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Les deux arbres
Ô mon Amour, regarde dans ton cœur Le saint arbre qui croît ; Dans le bonheur poussent ses saintes branches, Sur lesquelles les fleurs doucement se trémoussent. Les changeantes couleurs de ses fruits Enrobent les étoiles de leur belle lumière ; Ses racines cachées S’enfoncent dans la nuit tranquille ; La danse verdoyante de sa cime Accorde aux vagues leur mélodie, Et marrie mes lèvres à la musique Que murmure pour toi ce chant magique. C’est là que les Jupiter suivent le cercle Enflammé de nos jours, Tournoyant, virevoltant ça et là Par les feuillages indifférents ; Tu revois tes cheveux remués par le vent, Et tes sandales courant à tire-d’ailes, Et tes yeux s’emplissent d’une tendre attention : Ô mon Amour, regarde dans ton cœur.
Ne regarde plus à travers la vitre amère Les démons subtilement rusés, Envole-toi à leur passage, Ou regarde-les à peine ; Là s’accroît une image fatale Qu’accueille la nuit tempétueuse, Des toits à moitié ensevelis sous la neige, Des ramures brisées et des feuilles toutes noires. Toutes choses deviennent infécondes À travers la vitre terne que tiennent les démons, La vitre du dehors lassé, Fabriquée pendant que Dieu dormait en ses vieux jours. Là, parmi les branches cassées, vont Les corbeaux de la pensée sans repos ; Volant, criant, de çà de là, La griffe cruelle et la gorge affamée. Ou bien ils se tiennent là, humant le vent, Et secouant leurs ailes loqueteuses… Hélas ! Tes yeux tendres s’emplissent d’une méchante indifférence. Ô ne regarde plus à travers la vitre amère !
et dont je voudrais tant, une seule fois au moins, entendre les tripes gueuler les titres de ces deux airs célèbres :
« Glitter and be gay! » (Que ça brille et sois gaie!)
« Je veux vivre…! »
Pour Madeleine
à qui je souhaite fraternellement d’entrevoir – rêve désespéré – un instant seulement le chemin vers son « inaccessible étoile ».
ψ
Glitter and be gay! (Leonard Bernstein – Candide)
C’est un extrait de l’opérette de Léonard Bernstein, Candide, très inspirée du conte éponyme de Voltaire qui exprimait à travers lui, après le tremblement de terre de Lisbonne en 1755, son puissant refus de l’optimisme outré de son époque où fleurissaient à foison les catastrophes, les guerres et l’inquisition. (Le monde, jadis, était-il si différent du nôtre?)
Candide est chassé du château où il est hébergé, pour avoir imité avec Cunégonde, la fille du Baron, les jeux particuliers que pratiquaient son maître de philosophie, Pangloss, et la jeune servante de la baronne.
Après une série de péripéties tragiques, Candide retrouve Pangloss devenu misérable à cause de la maladie peu avouable qu’il a reçue de la jolie servante, et part avec lui à Paris. Il y retrouve Cunégonde qui est devenue à la fois la maitresse du Cardinal de Paris et celle d’un riche marchand juif.
Elle chante sa déchéance et sa fortune avec grâce et… humour :
Pas dans la boîte les diamants… Dans la voix!
La gaité? Dans la salle, partout!
C’est la partie que je joue
Ici, je suis à Paris, en France
Forcée de plier mon âme
A un rôle sordide
Victime d’amères, amères circonstances
Hélas pour moi, j’ai dû rester auprès de Madame ma mère
Ma vertu est resté sans tache
Jusqu’à ce que ma main de jeune fille soit prise par certains grand-ducs,
Ou autres
Ah, la vie n’était pas simple
La dure nécessité
M’a conduite dans cette cage dorée
J’étais vouée à des choses plus élevées
Ici, je replie mes ailes
En chantant ma peine
Rien ne peut l’apaiser
Et pourtant, bien sûr, j’aime assez me régaler, ha, ha!
Je n’ai aucune objection pour le champagne, ha, ha
Ma garde-robe est chère comme le diable, ha, ha
Peut-être que c’est ignoble de se plaindre?
Assez, assez,
De verser des larmes
Je vais vous montrer ma noble énergie
En étant lumineuse et agréable
Ha, Ha, Ha –
Perles et bagues de rubis
Ah, comment les choses du monde prennent la place de l’honneur perdu?
Sauraient-elles compenser ma déchéance par leur terrible prix
Bracelets, lavalieres, peuvent-ils sécher mes larmes?
Peuvent-ils aveugler mon regard de honte!
Le brillant des broches m’épargnera-t-il tout reproche?
Le plus pur diamant peut-il purifier mon nom?
Et pourtant, bien sûr, ces bijoux sont attachants, ha, ha!
Je suis si heureuse mon saphir est une étoile, ha, ha.
J’aime assez une boucle d’oreille de 20 carats, ha, ha!
Si je ne suis pas pure, au moins mes bijoux le sont
Assez, assez, je vais prendre ce collier de diamants
Et de montrer ma noble énergie
En étant gai et insouciante!
Ha, Ha, Ha!
Voyez comme bravement je cache la honte terrible qui est la mienne!
ψ
Je veux vivre…! (La valse de Juliette in « Roméo et Juliette » de Gounod)
JULIETTE Ah! Je veux vivre Dans ce rêve qui m’enivre; Ce jour encore, Douce flamme, Je te garde dans mon âme Comme un trésor! Cette ivresse De jeunesse Ne dure, hélas! qu’un jour! Puis vient l’heure Où l’on pleure, Le cœur cède à l’amour, Et le bonheur fuit sans retour. Je veux vivre, etc Loin de l’hiver morose Laisse-moi sommeiller Et respirer la rose Avant de l’effeuiller. Ah! Douce flamme, Reste dans mon âme Comme un doux trésor Longtemps encore!
ψ
Pour Madeleine…
Pour nous tous,
les voeux de cette prière profane :
Je vous souhaite des rêves à n’en plus finir Et l’envie furieuse d’en réaliser quelques-uns. Je vous souhaite d’aimer ce qu’il faut aimer Et d’oublier ce qu’il faut oublier, Je vous souhaite des passions, Je vous souhaite des silences, Je vous souhaite des chants d’oiseaux au réveil Et des rires d’enfants, Je vous souhaite de résister à l’enlisement, A l’indifférence et aux vertus négatives de notre époque, Je vous souhaite d’être vous…
Elle avait dans ses yeux d’enfant Autant d’Avril que de Décembre Autant de flamme que de cendre Autant d’hiver que de printemps
Elle avait dans ses yeux changeants Autant de soleil que de neige Autant d’Islam que de Norvège Autant d’Orient que d’Occident Autant d’Orient que d’Occident
Elle avait dans son rire clair Autant de joie que de tristesse, Autant d’espoir que de détresse Autant d’étoile que d’éclair
Elle avait dans ses yeux vraiment Autant de chaleur que de glace Autant de vide que d’espace Autant d’espace que de temps
[Elle est venue des bords du Doubs Enflammer mon cœur d’amadou Elle a changé dans ma maison Le cours indolent des saisons]
J’ai vécu dans ses yeux d’enfant Autant de Juin que de Septembre, Autant de roux que de bleu tendre Autant d’Automne que d’Été
J’ai vécu dans ses yeux changeants Un compromis de diable et d’ange Dans un voluptueux mélange De mensonge et de vérité De mensonge et de vérité
Je suis né pour croire aux miracles Et je cherche ma part de Dieu De Tabernacle en Tabernacle Quand parfois le miracle a lieu
J’ai trouvé dans ses yeux d’enfant Autant d’extase que d’ivresse Autant d’amour que de tendresse Autant de joie que de tourment
A l’enterrement d’une feuille morte Deux escargots s’en vont Ils ont la coquille noire Du crêpe autour des cornes Ils s’en vont dans le noir Un très beau soir d’automne Hélas quand ils arrivent C’est déjà le printemps Les feuilles qui étaient mortes Sont toutes ressuscitées Et les deux escargots Sont très désappointés Mais voila le soleil Le soleil qui leur dit Prenez prenez la peine La peine de vous asseoir Prenez un verre de bière Si le cœur vous en dit Prenez si ça vous plaît L’autocar pour Paris Il partira ce soir Vous verrez du pays Mais ne prenez pas le deuil C’est moi qui vous le dit Ça noircit le blanc de l’œil Et puis ça enlaidit Les histoires de cercueils C’est triste et pas joli Reprenez vos couleurs Les couleurs de la vie Alors toutes les bêtes Les arbres et les plantes Se mettent a chanter A chanter à tue-tête La vraie chanson vivante La chanson de l’été Et tout le monde de boire Tout le monde de trinquer C’est un très joli soir Un joli soir d’été Et les deux escargots S’en retournent chez eux Ils s’en vont très émus Ils s’en vont très heureux Comme ils ont beaucoup bu Ils titubent un peu Mais là-haut dans le ciel La lune veille sur eux.
Franz Xaver Messerschmidt (1736 – 1783) – « L’Homme de mauvaise humeur »,
La mauvaise humeur c’est un peu comme la grippe, on ne sait pas toujours comment on l’a attrapée, et par conséquent on ne sait pas très bien comment s’en débarrasser.
Voici mon ordonnance :
Le matin : 2 minutes 46 de« Jukebox dance »
Composition : 50% de Fred Astaire et 50% d’Eleanor Powell – Substances actives : Rythme, Tonus et Décontraction
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Le soir : 2 minutes 14 de« Bouncing the blues »
Composition : 50% de Fred Astaire et 50% de Ginger Rogers – Substances actives : Pêche, Sourire et Légèreté
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Aucun risque d’overdose!
Ne restez surtout pas au lit! Bougez… comme eux… si vous pouvez!
– Quand je pense que toute ma vie j’ai détesté danser! (Pour ne pas me fâcher, ceux qui me connaissent ne laisseront pas le commentaire désagréable qui pourrait s’ensuivre, n’est-ce pas?)
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy
L'oreille du taureau à la fenêtre De la maison sauvage où le soleil blessé Un soleil intérieur de terre Tentures du réveil les parois de la chambre Ont vaincu le sommeil Paul Eluard