Photographier le bonheur! Ce pourrait bien être un koan, non? Autant attraper un nuage!
Et pourtant, des photographes – pas bien nombreux, en vérité – ont gagné ce formidable pari qui consiste à capter la magie de l’instant où d’une attitude, d’une posture, d’une mimique, s’exhale ce sentiment fugitif de la plénitude d’être qu’on appelle « bonheur ».
Répèterait-on sans cesse que la photographie c’est l’art subtil du regard, du cadrage, l’aptitude à saisir la lumière, que l’on n’expliquerait pas comment fixer l’expression du bonheur. Quand on sait que, plus que tout autre, un tel instant est aussi prompt à s’envoler que la mouche qu’on essaie d’attraper, on comprend que le photographe, le plus doué soit-il, doive d’abord posséder ce qui ne peut s’apprendre. Comment, sans cette infinie capacité d’émerveillement qui, le temps d’un souffle, permet de percevoir, de sentir, voire même de pressentir cette fraction d’éternité, pourrait-il espérer un résultat? Sans cette indispensable faculté d’empathie surdimensionnée les vertus de l’artiste, chasseur d’une image du bonheur, pourraient bien, comme souvent, rester vaines, et laisser au hasard le mérite d’un succès.
Pour attraper le bonheur des autres ne faut-il pas déjà soi-même avoir un jour reçu, comme le don le plus précieux, cette grâce extraordinaire : l’aptitude au bonheur?

Boubat (1923-1999) autoportrait
Les trois photographes « humanistes », comme on les a justement qualifiés, Robert Doisneau, Willy Ronis et Edouard Boubat, avaient en commun ce don d’attraper au vol la spontanéité fugitive de cette expression inconsciente, inattendue, peut-être même parfois inespérée.
Il me semble toutefois que c’est Boubat – pour qui la postérité a été plus discrète – qui, des trois, a le mieux représenté le bonheur. Peut-être parce que l’extrême simplicité de son regard était plus propice à trouver l’âme derrière la forme. Comme Prévert avait eu raison de le qualifier de « correspondant de paix ».
Mais en photographie, comme en musique, les mots deviennent vite insuffisants et inutiles quand l’œuvre dit tellement.
Demeure toujours la question de savoir si, en ces temps là, le bonheur était plus accessible, ou plus visible peut-être, qu’aujourd’hui.
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