Tout seul!… Enfin!… La liberté ! L’exquise liberté… Le silence absolu… Le repos bien-aimé… Le calme où rien ne vibre… En vérité, Je n’ai vraiment l’impression que je suis libre Que lorsque je suis enfermé. Ah! Que c’est bon de s’enfermer!… Et « s’enfermer », d’ailleurs, n’est pas du tout le terme. Lorsque je fais tourner la clef Ce n’est pas moi qui suis bouclé Ce sont les autres que j’enferme ! Certes, il me semble Qu’en faisant ça… je les enferme Tous ensemble! Il faut pouvoir ainsi s’évader à sa guise. On a besoin D’avoir son coin, L’endroit clos où jamais l’âme ne se déguise, Le petit coin Tout prêt, Très près, Et dans lequel on est très loin. Là, je suis vraiment seul !… je peux gesticuler Je peux fumer… je peux bâiller… Je pourrais même travailler Si j’en avais envie. Et puis, je peux parler Je peux parler tout haut… Je peux faire « Oh! Oh! »… Réciter le monologue de Charles Quint : « Charlemagne, pardon…ces voûtes solitaires…» M’apercevoir que, de ces vers, je n’en sais qu’un… Alors, ma foi, me taire. C’est aussi très bon de se taire… Je peux m’imaginer les choses les plus folles : Que je n’ai qu’un seul œil…que je suis Espagnol… Qu’un orchestre lointain Pour moi tout seul joue un air tendre … Et me l’imaginer jusqu’au point de l’entendre! Je peux parcourir un bouquin… Pendant quelques instants… ne pas le refermer… Respirer une rose… Tout doucement me promener… De long en large et tout en pensant à des choses… Sourire en me voyant passer devant la glace… Me regarder sévèrement … dire… : « Hum! Tout passe! » Puis m’asseoir un instant… (…) Me souvenir De mon passé… Puis me tourner vers l’avenir Et me dire : « Demain… ? » En songeant que j’ai fait la moitié du chemin, Je peux, Si je le veux, Pleurer même au besoin sans trop me retenir Et sans trop me forcer… Et puis je peux penser. Pour bien penser, faire le noir… Mettre ma main sur mes deux yeux… ne plus rien voir. Regarder bien au fond de moi-même… évoquer Ma Volonté, ma Conscience et ma Mémoire… Et puis aussi Ma Fantaisie! (…) Oui, les voilà… les voilà bien toutes les quatre ! Ma Conscience à la fenêtre est accoudée Avec son teint d’albâtre Et son air de bouder… Ma Volonté sur le divan s’est assoupie Dans sa robe grisâtre… Ma Fantaisie est accroupie Auprès de l’âtre… Et tandis Qu’elle noue en riant les franges du tapis, À mon oreille bien tendue Ma Mémoire déjà me dit: « Te souviens-tu ? » Ah! Que c’est bon d’être tout seul avec soi-même! C’est que, voyez-vous, je vous aime Toutes les quatre également. Bien que ce soit pourtant de diverses façons: Toi, parce que jamais, Mémoire, tu ne mens. Toi, parce que jamais, Conscience, tu n’as tout à fait tort, Ni tout à fait raison… Toi, parce qu’en toute saison, ma chère Volonté, tu dors ! Et toi, ma Fantaisie, parce que je t’adore (…). Sacha Guitry