Ce jeudi là, – à cette époque le jeudi était le jour sans école – Maxime avait décidé d’aller à la rencontre de Dieu. Il n’avait pas la moindre idée du chemin qu’il prendrait, ni du temps qu’il lui faudrait pour atteindre son but, mais il pensait fort justement que ce serait grande imprudence de s’engager dans une telle aventure sans prévoir de quoi tenir. A neuf ans, il est vrai, on ne se passe pas facilement de son goûter. Il vida donc son cartable des livres, cahiers et crayons qui en remplissaient copieusement les compartiments et empocha à leur place deux ou trois barres de chocolat, une poignée d’abricots secs, et quelques petites bouteilles de jus de fruit qu’il trouva à leur place habituelle, dans le réfrigérateur.
Dès qu’il reçut de sa maman l’autorisation de quitter la table du déjeuner, Maxime s’empressa d’empoigner son cartable devenu sac à provisions et se mit aussitôt en route. Son intuition lui indiquerait certainement le bon itinéraire.
Il marcha d’un pas décidé pendant une vingtaine de minutes qui lui parurent une éternité, puis s’arrêta près d’un des bancs qui bordent le périmètre du parc à la sortie de la ville.
Une vieille dame menue y était assise ; elle observait les oiseaux rivaliser d’habileté dans leurs figures aériennes et sonores, et flattait d’un sourire discret les impertinences de leurs ébats. Le garçon s’assit près d’elle, silencieusement. Un long moment immobile s’écoula ainsi dans la douceur embaumée du parc avant que Maxime ouvrît son cartable pour prendre un abricot. Par la même occasion il en tendit un à sa voisine, accompagnant son geste d’un gentil regard interrogatif. La dame élargit son sourire en signe de remerciement et prit le fruit sec qu’elle dégusta volontiers. Quelques minutes plus tard, sans qu’aucune parole, jamais, fût échangée, le jeune garçon lui proposa un jus de fruit qu’elle accepta avec un même plaisir et ses lèvres et son regard se firent plus cordiaux encore. Ainsi passèrent-ils tous les deux cette belle après-midi de jeudi à partager dans la paix et le silence, abricots et jus de fruit, chants d’oiseaux et parfums de printemps, jusqu’à ce que le déclin du jour et l’envie de retrouver ses parents suggérassent au jeune enfant l’idée du retour.
Maxime se leva et se mit naturellement en marche vers la maison. Mais après quelques pas, il laissa tomber son cartable vide à ses pieds, se retourna vers la vieille dame et se précipita dans ses bras en courant. Ils s’enlacèrent l’un l’autre tendrement ; Maxime étreignait sa vénérable compagne de l’après-midi de toutes les forces ingénues de son enfance pendant que celle-ci gratifiait le garçon d’un profond sourire de koré, ce « sourire de l’amour » qui illumine les beaux visages de ces statues grecques archaïques que « nous aimons d’une tendresse qui ne peut s’épuiser », comme le dit l’historien de l’art, Élie Faure.
Quand le garçon arriva à la maison, sa mère qui ne lui avait jamais vu visage aussi lumineux le questionna :
– Qu’as tu donc fait cette après-midi qui te rende aussi joyeux, mon chéri ?
– J’ai pique-niqué avec Dieu, maman. Et dans le même enthousiasme, sans laisser sa mère poser l’inévitable question suivante : – Et elle a le plus beau sourire du monde, tu sais !
La vieille dame, elle aussi, était rentrée chez elle, le visage rayonnant de joie et de paix. Jamais son fils ne lui avait connu pareille expression de sérénité ; la question ne se fit évidemment pas attendre :
– Mère, qu’as tu fait de ton après-midi pour paraître si radieuse ce soir ?
– J’ai mangé des abricots avec Dieu. Et vois-tu, je ne l’aurais jamais imaginé si jeune.
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Histoire inspirée par un conte lu il y a longtemps dans un livre de sagesses dont j’ai oublié toutes les références.