Dominique Ponnau (Directeur honoraire de l’École du Louvre)
« Entidade » – Yamandu Costa et Mônica Salmaso
« Entidade » (que j’ai voulu traduire par ange-gardien), c’est le titre d’une des nombreuses chansons brésiliennes composées par le magistral guitariste Yamandu Costa sur des textes de son illustre aîné, le grand poète brésilien contemporain Paulo-Cesar Pinheiro.
Filtrant entre les voiles sonores, pâles et ombreux, que tissent les cordes d’une guitare, la douceur rassurante d’une voix amie évoque le mystère de cette invisible présence supposée nous accompagner toujours.
« La mélancolie est un crépuscule. La souffrance s’y fond dans une sombre joie. La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste. »
Victor Hugo – Les Travailleurs de la mer
Où notre âme élégiaque peut-elle mieux que dans la « saudade » de la mélodie brésilienne chercher l’écho de cette indéfinissable sensation mélancolique qui la maintient en état d’impesanteur au milieu des halos d’une tristesse diffuse, là-même où ose à peine se dissimuler la suavité de l’inavouable plaisir que cette lascivité lui procure ? Comme si cet état mélancolique constituait pour nous-même l’indispensable preuve de notre existence, légitimation, s’il en était besoin, de l’ineffable bonheur qu’elle confère à nos instants crépusculaires.
Seul le chant mélodieux d’Orphée, l’inconsolable, sait raconter l’abondance et le manque… Orphée est brésilien, n’est-ce pas ? Et le poète n’ignore pas, quand, depuis la nuit de ce « pays de lumière, de sel et d’eau », il choisit de nous caresser le cœur en boucle avec une mélodie sentimentale, qu’il nous téléporte subrepticement, petit à petit, dans l’intime de l’âme brésilienne, comme devant le miroir de nos propres langueurs.
Ainsi s’invente une histoire…
Tout commence un soir, à Rio de Janeiro, loin des tambourins métalliques des cariocas en fête, dans le fauteuil de velours d’une petite salle de concert. Une soprano, charmante, gracieuse, Nadine Sierra, entre en scène accompagnée de son pianiste. Elle chante, elle enchante… Après les merveilles de son répertoire, joyeux, sucré, savant, quelques bis, délicieux. Enfin, l’ultime morceau du récital, un hommage au plus romantique des compositeurs brésiliens : Nadine, négligemment appuyée sur le piano, interprète une pièce d’Heitor Villa-Lobos, « Melodia sentimental », composée en 1950 – quelques années avant sa mort – sur une poésie de Dora Vasconcellos.
Un rien compassé, certes, mais un bonheur ! Un bonheur de douce mélancolie !…
La mélodie me poursuivra jusqu’au bout de la nuit… La mélancolie aussi.
Acorda, vem ver a lua Que dorme na noite escura Que surge tão bela e branca Derramando doçura Clara chama silente Ardendo meu sonhar..
As asas da noite que surgem E correm no espaço profundo Oh, doce amada, desperta Vem dar teu calor ao luar
Quisera saber-te minha Na hora serena e calma A sombra confia ao vento O limite da espera Quando dentro da noite Reclama o teu amor
Acorda, vem olhar a lua Que brilha na noite escura Querida, és linda e meiga Sentir meu amor e sonhar
Réveille-toi, viens voir la lune
qui dort dans la nuit noire
qui surgit si belle et blanche
fontaine de douceur
claire flamme silencieuse
brûlant mes songes..
Les ailes de la nuit qui apparaissent
et traversent les profondeurs de l’espace
oh, bien aimée, réveille-toi
viens donner ta chaleur au clair de lune
J’aimerais te savoir mienne
à l’heure sereine et calme
où l’ombre confie au vent
la limite de l’attente
quand dans la nuit
elle réclame ton amour
Réveille-toi, viens voir la lune
qui brille dans la nuit noire
Chérie, si belle, si tendre,
reçois mon amour et rêve
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Quelques tranches de « carne de sol » et une ou deux « caïpirinha » plus tard, me voici entraîné dans la chaude nuit brésilienne. On a décidé, cadeau d’une amitié soudaine, de m’emmener au « Vivo Rio » écouter la grande Maria Bethania. Quand nous arrivons dans la salle comble où elle se produit ce soir, elle a, depuis de longues minutes déjà, hypnotisé la foule inconditionnelle de ses admirateurs. Du fond du théâtre enthousiaste où nous attendons de pouvoir prendre place, nous voyons Maria revenir sur le plateau après une courte pause. Dès que, dans un balancement nonchalant, les lampions du décor tamisent leur déjà pâle lumière, le silence s’empare des lieux désormais en apnée. Discrètement soutenue par quelques accords de guitare, Maria dit quelques vers extraits du célèbre poème « Patria minha » (Ma patrie) du non moins célèbre Vinicius de Moraes, avant d’enchainer la désormais mienne « Melodia sentimental ».
A croire qu’elle m’avait attendu…
Patria Minha (Vinicius de Moraes)
Se me perguntarem o que é a minha pátria, direi :
Não sei. De fato, não sei
Como, por que e quando a minha pátria
Mas sei que a minha pátria é a luz, o sal e a água
Que elaboram e liquefazem a minha mágoa
Em longas lágrimas amargas.
Si l’on me demande quelle est ma patrie, je dirai :
Je ne sais pas. De fait, je ne sais pas
Comment, pourquoi ou quand ma patrie
Mais je sais que ma patrie est la lumière, le sel et l’eau
Qui façonnent et liquéfient ma douleur
En de longues larmes amères.
Autre lieu, autre voix, autre accent, plus populaire sans doute, mais même parfum de douce mélancolie où confusément se mêlent fumet de souvenir et arôme d’espérance.
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Mais, on le sait, la nuit à Rio ne prend fin qu’avec l’apparition des premiers rayons du soleil sur la baie. Alors, après son enivrant concert, notre « Abelha-rainha » (Reine des abeilles), comme on surnomme ici Maria Bethania, que nous sommes allé saluer dans sa loge, nous a invités à attendre le bel astre sur sa terrasse, en haut de sa colline. Des heures et des heures magiques pendant lesquelles chacun a partagé sans pudeur, mais avec une infinie délicatesse, ses sentiments, d’un trait de guitare, d’un hochement rythmé de la tête, ou en mêlant simplement son fredonnement à la chorale improvisée, plongeant de temps à autre un regard admiratif vers le scintillement des braises éternelles éparpillées tout en bas.
Et puis, aux derniers instants de la nuit, avant que nous nous séparions, Maria a bien voulu, partager avec nous l’un de ses enregistrements de « Melodia sentimental ». A l’observer s’écouter elle-même, qui aurait encore osé un doute ?
Mal aux cuisses pour avoir tant de fois, pour rien, jailli hors de son fauteuil, convaincu que ce serait le but.
Cassée la voix, gorge douloureuse. Combien d’exhortations, d’encouragements, de vociférations qui jamais n’ont suffi à pousser le ballon dans les filets adverses ? Combien d’invectives lancées vers ce défenseur aux crampons trop facilement dressés ou vers cet arbitre paresseux du sifflet ? Combien d’appels restés vains vers ce sourd entraîneur qui ferait bien pourtant d’écouter nos conseils d’experts ?
Un peu trop bu, peut-être ! Il est agréable le vin rosé bien frais des soirs d’été ; les amandes et les biscuits salés en redemandent sans cesse.
Et la chaleur de juillet sous la tonnelle, et la passion que l’on partage. Et les amis enthousiastes et bruyants devant l’écran qui nous rassemble. Et puis Léa, le sourire aux couleurs nationales, téton patriotique fièrement pointé sous le maillot de l’équipe, la plus zélée des supporters, et la plus belle aussi…
Enfin mille commentaires de spécialistes, cent explications pertinentes, dix avis péremptoires, et la nuit brésilienne commence à peser sur nos paupières. L’heure est venue où l’on doit recomposer le monde. Seul ou presque ! Blotti, vautré même, dans un confortable fauteuil.
Un trio d’excellents musiciens de jazz a décidé de jouer un air de Antonio Carlos Jobim, Brésil oblige. Qui s’en plaindrait ?
O merveille ! Shirley Horn au piano, Steve Williams à la batterie et Charles Ables à la guitare basse. Le jazz ne peut être mieux servi. Le thème : « Corcovado ».
Vite, fermons les yeux ! Surtout fermer les yeux dès les premiers accords, et lâcher tout, la magie du voyage n’en sera que plus grande…
Il paraît que cette vidéo est l’une des plus jouées au Paradis.
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Entre les mailles de mes cils, j’aperçois là-bas, très haut, sur le « Corcovado »dominant la baie de Rio de Janeiro, un immense footballeur debout, les bras largement écartés pour contrôler la Terre dans un formidable amorti de la poitrine, avant de l’envoyer immanquablement, d’un tir puissant, dans la lucarne du but gardé par le Diable, rouge de honte d’avoir manqué l’arrêt, sous les clameurs de la foule déchaînée. Et sans que personne d’ailleurs, parmi ceux qui la composent, ne cherche à savoir ce qu’il adviendra du pauvre ballon…
Sacré joueur ! Faut dire qu’il s’entraîne depuis tellement longtemps, là-haut… sur le mont « bossu ».
Quand le sujet qu’on choisit pour son article trouve des échos multiples dans des domaines aussi variés que la poésie, l’histoire de la littérature américaine ou le cinéma brésilien, la tentation est forte de vouloir être exhaustif (ou presque), au détriment, souvent, de la simplicité et de la concision que suppose l’exercice. Façon d’annoncer, comme une excuse, que ce billet pourrait bien être un peu long.
Elizabeth Bishop (1911-1979)
L’art de perdre, c’est d’abord une philosophie, un mode de vie, mais c’est aussi ce beau poème, « One art » , d’une immense poétesse américaine du XXème siècle, Elizabeth Bishop qui enseignait dans les années 70 à la Harvard University puis au Massachusetts Institute of Technology, après avoir obtenu, entre autres reconnaissances exceptionnelles, le Prix Pulitzer de Poésie (1956).
C’est à son talent que l’on doit les premières traductions en anglais du poète mexicain Ottavio Paz.
Elizabeth Bishop ne voulait en aucune manière qu’on la qualifiât de « poétesse » ou de « poète féministe », et refusait de figurer à ces titres dans une quelconque anthologie ; seul suffisait, disait-elle, qu’on l’appelât « poète ».
Elle aimait à citer à ses étudiants cette remarque de Paul Valéry : « Un poème n’est jamais fini, seulement abandonné. »
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One art
The art of losing isn’t hard to master; so many things seem filled with the intent to be lost that their loss is no disaster.
Lose something every day. Accept the fluster of lost door keys, the hour badly spent. The art of losing isn’t hard to master.
Then practice losing farther, losing faster : places, and names, and where it was you meant to travel. None of these will bring disaster.
I lost my mother’s watch. And look! my last, or next-to-last, of three loved houses went. The art of losing isn’t hard to master.
I lost two cities, lovely ones. And, vaster, some realms I owned, two rivers, a continent. I missed them, but it wasn’t a disaster.
…Even losing you (the joking voice, a gesture I love) I shan’t have lied. It’s evident the art of losing’s not too hard to master though it may look like (Write it!) like a disaster.
Elizabeth Bishop (Traduction française à la fin du billet)
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C’est un épisode majeur de sa vie que le cinéaste brésilien Bruno Barreto (« 4 jours en septembre » , « Dona Flor et ses deux maris »), a présenté récemment, sous le titre brésilien « Flores Raras » ou américain, « Reaching for the moon » (Atteindre la lune). Un film émouvant, à la fois sensuel et poétique, sur la période brésilienne d’Elizabeth Bishop dans les années 1950-60. (Film non sorti en France)
Écrit à partir du livre biographique de Carmen Oliveira, paru en 1995, (« Rare and commonplace flowers »), et servi magnifiquement par deux actrices sensibles et justes, ce film raconte l’histoire réelle de la relation saphique et passionnée que vécut pendant quinze ans Elizabeth Bishop – partie, en mal d’inspiration, se ressourcer au Brésil – avec l’architecte renommée de Rio de Janeiro, Lota de Macedo Soares.
Le film s’ouvre sur les vers d’une première version du poème « L’Art de perdre » lu par l’auteure. Mais la perdante n’est pas celle que l’on croit au demeurant ; c’est Mary, l’amie à qui Elizabeth est venue rendre visite, et dont elle découvre qu’elle est la compagne de Lota.
Si les premières rencontres entre Elizabeth et Lota confinent à l’affrontement, très vite la barrière de glace qui sépare les deux femmes aux tempéraments diamétralement opposés va fondre sous les chaleurs de plus en plus intenses de la passion qui les pousse l’une vers l’autre, reléguant Mary dans la coulisse de leur histoire. – Lota lui « achètera » un enfant pour apaiser sa tristesse d’avoir été abandonnée.
Choyée par Lota, Elizabeth s’épanouit au Brésil, elle écrit, obtient des récompenses à foison – dont son Prix Pulitzer – mais son alcoolisme, les ressentiments de Mary et les difficultés professionnelles de Lota dans la construction du Parc Flamengo à Rio, auront raison de ces temps heureux. La séparation devient inéluctable, Elizabeth retourne enseigner aux États-Unis, Lota affaiblie jusqu’à la dépression par sa passion amoureuse la rejoint et se suicide.
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Deux merveilleuses actrices, Miranda Otto incarnant Elizabeth, et Gloria Pires dans le rôle de Lota, nous emportent à travers les paysages de rêve de Rio de Janeiro dans les émois sensuels de leur intimité. L’authenticité des personnages passionnés qu’elles incarnent nous interroge en permanence, au-delà de leur histoire, sur les moteurs véritables de la création.
Deux fleurs rares, assurément.
Lota de Macedo Soares (1910-1967)
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Voici la bande annonce de ce film dont je ne sache pas qu’il existe une version française.
Et le poème « One art » dit par Miranda Otto sur des images du film…
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Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître ; tant de choses semblent si pleines d’envie d’être perdues que leur perte n’est pas un désastre.
Perds chaque jour quelque chose. L’affolement de perdre tes clés, accepte-le, et l’heure gâchée qui suit. Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître.
Puis entraîne toi, va plus vite, il faut étendre tes pertes : aux endroits, aux noms, au lieu où tu fis le projet d’aller. Rien là qui soit un désastre.
J’ai perdu la montre de ma mère. La dernière ou l’avant-dernière de trois maisons aimées : partie ! Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître.
J’ai perdu deux villes, de jolies villes. Et, plus vastes, des royaumes que j’avais, deux rivières, tout un pays. Ils me manquent, mais il n’y eut pas là de désastre.
Même en te perdant (la voix qui plaisante, un geste que j’aime) je n’aurai pas menti. A l’évidence, oui, dans l’art de perdre il n’est pas trop dur d’être maître même si il y a là comme (écris-le !) comme un désastre.
Elizabeth Bishop, Géographie III, traduction de Alix Cléo Roubaud, Linda Orr et Claude Mouchard, Circé, 1991, p. 58 et 59.
Il y a toujours une magie indéfinissable, pleine d’un irrésistible charme, dans le mariage des cordes et du vent. Sans doute, ainsi posé, le constat appellerait-il à une échappée des sens vers les harmonies imaginaires composées par le vent jouant à travers les cordes d’une immense lyre offerte à sa caresse.
Mais, plus prosaïquement, – et sans lui ôter sa part de poésie – c’est l’union sonore de deux instruments issus de familles que tout oppose, qui intéresse le propos. Association surprenante parfois, des cordes « aristocratiques », féminines, riches d’un répertoire multiple venu d’un passé ancestral, et de l’instrument à vent, plus récent, plus populaire aussi par ses origines, exigeant souvent au premier abord, plutôt le bras du soldat portant le tuba que la main gracile effleurant la viole.
Faut-il, pour témoigner de la magie de cette union, rappeler le célèbre Concerto pour flûte et harpe de Mozart, ou les moins connus, peut-être, Octuor pour cordes et vents de Schubert, ou Septuor pour cordes et vents de Beethoven?
Plus près de nous, avec le jazz (guitare et saxophone par exemple) et surtout avec les musiques sud-américaines, le mariage « cordes-vent » a produit de merveilleux arrangements aux sonorités envoûtantes. Qui résisterait aux langueurs du bandonéon d’Astor Piazzola, quand, sensuellement, les cordes du violon viennent enlacer son souffle timide exhalant sa tristesse?
Les musiciens brésiliens, eux aussi, ont merveilleusement associé ces deux univers sonores dans une multitude de fééries mélodiques et rythmiques puisées le plus souvent dans les rues et les villages. Quand deux d’entre eux, formidables instrumentistes, se rencontrent pour mêler leur virtuosité et leurs histoires musicales chargées des sourires et du soleil des deux bouts du Brésil, nous ne saurions bouder notre plaisir. Il n’est pas si fréquent de voir s’accoquiner l’accordéon et la guitare, et si l’on peut penser à priori que ce mariage ressemble fort à celui de la carpe et du lapin, c’est que l’on ne prend pas en compte l’exceptionnelle qualité de nos invités… tout simplement parce qu’on ne les pas encore entendus :
Plaisir de jouer, joie de jouer ensemble, bonheur unique de partager !
A la guitare à 7 cordes : Yamandu Costa. Virtuose très précoce, il se consacre dès ses débuts aux musiques régionales du sud du Brésil, puis s’ouvre aux autres musiciens brésiliens comme Baden Powell ou Tom Jobim avant de s’intéresser aux autres formes musicales. Il n’en adopte aucune et n’entre dans aucune catégorie.
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A l’accordéon : Dominguinhos, décédé en juillet 2013, à 72 ans. Compositeur et accordéoniste particulièrement apprécié, formé aux musiques du nord du Brésil par le maître Luis Gonzaga. Ayant été musicalement exempté des influences européennes, africaines ou indiennes, Dominguinhos a développé un style propre de « Musique populaire brésilienne », reconnu et acclamé dans le monde entier.
Que les très laides me pardonnent mais la beauté est fondamentale. Il faut dans tout cela qu’il y ait quelque chose d’une fleur, quelque chose d’une danse, quelque chose de haute couture dans tout cela (ou alors que la femme se socialise élégamment en bleu comme dans la République Populaire Chinoise). Il n’y a pas de moyen terme.
Evan Wilson (peintre né en 1953) – Etats Unis
Il faut que tout soit beau. Il faut que, tout à coup on ait l’impression de voir une aigrette à peine posée, et qu’un visage acquière de temps en temps cette couleur que l’on ne rencontre qu’à la troisième minute de l’aurore.
An He (né en 1957)
Il faut que tout cela soit sans être, mais que cela se reflète et s’épanouisse dans le regard des hommes. Il faut, il faut absolument que tout soit beau et… inespéré. Il faut que des paupières closes rappellent un vers d’Eluard, et que l’on caresse sur des bras quelque chose au-delà de la chair : et qu’au toucher ils soient comme l’ambre d’un crépuscule.
« Just being » by Julie Swan – Australie
Ah, laissez-moi vous dire qu’il faut que la femme qui est là, comme la corolle devant l’oiseau soit belle, ou qu’elle ait au moins un visage qui rappelle un temple ; et qu’elle soit légère comme un reste de nuage : mais un nuage avec des yeux et des fesses.
Yuri Yarosh (né en 1969) – Biélorussie
C’est très important les fesses. Les yeux, cela va sans dire, qu’ils regardent avec une certaine malice innocente. Une bouche fraîche (jamais humide), mobile, éveillée, et aussi d’une extrême pertinence.
Fulvio De Marinis (né en 1971) – Italie
Il faut que les extrémités soient maigres, que certains os pointent, surtout la rotule, en croisant les jambes, et les pointes pelviennes lors de l’enlacement d’une taille mobile. Très important toutefois demeure le problème des salières, une femme sans salières est comme une rivière sans ponts.
Andrej Belle (Peintre né en 1957 à Minsk)
Il est indispensable qu’il y ait une hypothèse de petit ventre, et qu’ensuite la femme s’élève en calice et que ses seins soient une expression gréco-romaine, plus que gothique ou baroque et qu’ils puissent illuminer l’obscurité avec une force d’au moins 5 bougies.
Alexander Shubin – peintre russo-canadien
Il faut absolument que le crâne et la colonne vertébrale soient légèrement visibles et qu’il existe une grande étendue dorsale…
Li Wentao – jeune peintre pékinois
Que les membres se terminent comme des hampes, mais qu’il y ait un certain volume de cuisses. Qu’elles soient lisses, lisses comme des pétales et couvertes du duvet le plus doux, cependant sensible à la caresse en sens contraire.
Aaron Westerberg
Les longs cous sans nul doute sont préférables de manière à ce que la tête donne parfois l’impression de n’avoir rien à voir avec le corps et que la femme ne rappelle pas les fleurs sans mystère.
Vasyl Fedoruk – Ukraine
Les pieds et les mains doivent contenir des éléments gothiques discrets. La peau doit être fraîche aux mains, aux bras, dans le dos et au visage mais les concavités et les creux ne doivent jamais avoir une température inférieure à 37° centigrades, capables, éventuellement, de provoquer des brûlures du premier degré.
Jia Lu
Les yeux, qu’ils soient de préférence grands et d’une rotation au moins aussi lente que celle de la terre; qu’ils se placent toujours au-delà d’un mur invisible de passion qu’il est nécessaire de dépasser.
Faiza Maghni – peintre algérienne (Oran)
Que la femme, en principe, soit grande ou, si elle est petite, qu’elle ait l’altitude mentale des hautes cimes. Qu’elle surgisse, qu’elle ne vienne pas ; qu’elle parte, quelle n’aille pas. Et qu’elle possède un certain pouvoir de rester muette subitement, et de nous faire boire le fiel du doute.
Julie Swan – Sculptrice australienne
Oh, surtout qu’elle ne perde jamais, peu importe dans quel monde, peu importe dansquelles circonstances, son infinie volubilité d’oiseau, et que caressée au fond d’elle-même, elle se transforme en fauve sans perdre sa grâce volatile; et qu’elle répande toujours l’impossible parfum ; et qu’elle distille toujours le miel enivrant ; et qu’elle chante toujours le chant inaudible de sa combustion et qu’elle ne cesse jamais d’être l’éternelle danseuse de l’éphémère.
Marcos Damascena – Peintre hyperréaliste né en 1981 – Brésil
Et dans son incalculable imperfection qu’elle constitue la chose la plus belle et la plus parfaite de toute l’innombrable création.
Vinicius de Moraes (1913-1980)
Personnage majeur et charismatique de la musique brésilienne, parolier de centaines de titres mondialement connus et joués, interprète parfois de ses chansons avec les grands de la bossa-nova et de la samba, et poète à l’âme particulièrement romantique.
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy
L'oreille du taureau à la fenêtre De la maison sauvage où le soleil blessé Un soleil intérieur de terre Tentures du réveil les parois de la chambre Ont vaincu le sommeil Paul Eluard