Qu’il aura mis du temps à sortir ce 500ème billet ! Jamais un article de ce blog n’aura connu aussi longue gestation, pas même le tout premier.
Mais le voici, enfin ! Il n’est pas facile en vérité de se présenter comme la dernière perle de ce collier commencé il y a près de 3 ans, lorsque imaginer la publication d’une dizaine de billets seulement me semblait une bien folle prétention.
Fin provisoire ou ultime conclusion, qui pourrait le dire aujourd’hui ? Disons plutôt interruption à durée indéterminée. Non pas par manque de perles, tant s’en faut : elles sont si nombreuses encore à rouler sur mon clavier, toutes irisées, sous la clarté de ma lampe, des milliers de nuances kaléidoscopiques dont savent se parer les émotions vraies. Seulement donc, et tout simplement, parce que le temps me semble venu de marquer la pause…
Depuis 34 mois, l’une suivant l’autre, mes chères Perles d’Orphée, que vous avez accueillies avec fidélité, bienveillance et amitié, auront été, ainsi que je l’ai souvent évoqué, le journal intime que jamais je n’aurais écrit pour moi-même. Suffisamment pudique, je l’espère, pour n’avoir envahi personne des joies et des peines de mon existence, mais toujours sincère – de cette sincérité que l’on se doit déjà à soi-même – tant chaque perle que j’y ai partagée n’a été que le choix du cœur. Un écho à cette juste remarque du poète : « On ne t’a rien donné si on ne t’a donné le cœur. »
Choix du cœur, encore, évidemment, pour vous transmettre, en me retirant, cette nuit, sur la pointe des pieds, l’immense MERCI que je vous dois :
« Nuits d’absence »
par deux formidables poètes, Jean-Roger Caussimon et Léo Férré, bénis par Orphée lui-même, qui ont si magnifiquement reçu des plus grands qui les ont précédés, sur des images sensibles d’un youtuber inconnu que je salue.
« Cet éclat blême sur le givre Est-ce la lune… ou le soleil ? »
II est des nuits où je m’absente Discrètement, secrètement… Mon image seule est présente Elle a mon front, mes vêtements… C’est mon sosie dans cette glace C’est mon double de cinéma… À ce reflet qui me remplace Tu jurerais… que je suis là…
Mais je survole en deltaplane Les sommets bleus des Pyrénées En Andorre-la-Catalane Je laisse aller ma destinée… Je foule aux pieds un champ de seigle Ou bien, peut-être, un champ de blé Dans les airs, j’ai croisé des aigles Et je croyais leur ressembler…
Le vent d’été, parfois, m’entraîne Trop loin, c’est un risque à courir Dans le tumulte des arènes Je suis tout ce qui doit mourir… Je suis la pauvre haridelle Au ventre ouvert par le toro… Je suis le toro qui chancelle Je suis la peur… du torero… Jour de semaine ou bien dimanche ? Tout frissonnant dans le dégel Je suis au bord de la mer Blanche Dans la nuit blanche d’Arkhangelsk… J’interpelle des marins ivres Autant d’alcool que de sommeil : « Cet éclat blême sur le givre Est-ce la lune… ou le soleil ? »
Le jour pâle attriste les meubles Et voilà, c’est déjà demain Le gel persiste aux yeux aveugles De mon chien qui cherche ma main… Et toi, tu dors dans le silence Où, sans moi, tu sais recouvrer Ce calme visage d’enfance Qui m’attendrit… jusqu’à pleurer…
Il est des nuits où je m’absente Discrètement, secrètement… Mon image seule est présente Elle a mon front mes vêtements… C’est mon sosie dans cette glace C’est mon double de cinéma À ce reflet qui me remplace Tu jurerais… que je suis là…
Il est des nuits, où je m’absente Discrètement, secrètement… Mon image seule est présente Elle a mon front mes vêtements… C’est mon sosie dans cette glace C’est mon double de cinéma À ce reflet qui me remplace Tu jurerais… que je suis là…
François-Louis Français – Effet de lumière au crépuscule
Longueur d’un jour sans vous, sans toi, sans Tu, sans Nous, Sans que ma main sur tes genoux Allant, venant, te parle à sa manière, Sans que l’autre, dans la crinière Dont j’adore presser la puissance des crins, Gratte amoureusement la tête que je crains… Longueur d’un jour sans que nos fronts que tout rapproche Même l’idée amère et l’ombre du reproche Sans que nos fronts aient fait échange de leurs yeux, Les miens buvant les tiens, tes beaux mystérieux, Et les tiens dans les miens voyant lumière et larmes… Ô trop long jour… J’ai mal. Mon esprit n’a plus d’armes Et si tu n’es pas là, tout près de moi, la mort Me devient familière et sourdement me mord. Je suis entr’elle et toi ; je le sens à tout heure. Il dépend de ton cœur que je vive ou je meure Tu le sais à présent, si tu doutas jamais Que je puisse mourir par celle que j’aimais, Car tu fis de mon âme une feuille qui tremble Comme celle du saule, hélas, qu’hier ensemble Nous regardions flotter devant nos yeux d’amour, Dans la tendresse d’or de la chute du jour…
22 mai 1945
Paul Valéry (1871-1945) – Corona et Coronilla
Accompagnement musical : Élégie Opus 3 N°1 – Sergeï Rachmaninov
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Et un peu plus sur « Corona et Coronilla » et sur le grand amour de Paul Valéry pour Jeanne Loviton (alias Jean Voilier) : un recueil rare de poésies amoureuses, fraîches et sensuelles à la fois, qui confinent souvent au sublime. Un autre regard, assurément, sur un des plus grands maîtres de notre belle littérature.
Je suis dur Je suis tendre Et j’ai perdu mon temps A rêver sans dormir A dormir en marchant Partout où j’ai passé J’ai trouvé mon absence Je ne suis nulle part Excepté le néant Mais je porte accroché au plus haut des entrailles A la place ou la foudre a frappé trop souvent Un cœur ou chaque mot a laissé son entaille Et d’où ma vie s’égoutte au moindre mouvement
Pierre Reverdy(La liberté des mers)
Illustration musicale : « Still life » extrait de la musique du film Frida
Car le poète est un four à brûler le réel. De toutes les émotions brutes qu’il reçoit, il sort parfois un léger diamant d’une eau et d’un éclat incomparables. Voilà toute une vie comprimée dans quelques images et quelques phrases. Pierre Reverdy
L'oreille du taureau à la fenêtre De la maison sauvage où le soleil blessé Un soleil intérieur de terre Tentures du réveil les parois de la chambre Ont vaincu le sommeil Paul Eluard