Poème dit par Philippe Clay
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Juste le temps de vivre
Il a dévalé la colline
Ses pieds faisaient rouler des pierres
Là-haut entre les quatre murs
La sirène chantait sans joie
Il respirait l’odeur des arbres
Il respirait de tout son corps
La lumière l’accompagnait
Et lui faisait danser son ombre
Pourvu qu’ils me laissent le temps
Il sautait à travers les herbes
Il a cueilli deux feuilles jaunes
Gorgées de sève et de soleil
Les canons d’acier bleu crachaient
De courtes flammes de feu sec
Pourvu qu’ils me laissent le temps
Il est arrivé près de l’eau
Il y a plongé son visage
Il riait de joie il a bu
Pourvu qu’ils me laissent le temps
Il s’est relevé pour sauter
Pourvu qu’ils me laissent le temps
Une abeille de cuivre chaud
L’a foudroyé sur l’autre rive
Le sang et l’eau se sont mêlés
Il avait eu le temps de voir
Le temps de boire à ce ruisseau
Le temps de porter à sa bouche
Deux feuilles gorgées de soleil
Le temps de rire aux assassins
Le temps d’atteindre l’autre rive
Le temps de courir vers la femme.
Juste le temps de vivre.
Boris Vian
Quelques phrases poétiques lues d’une voix enjouée, et l’on se prend à rêver de cette colline baignée de lumière, et puis tout bascule dans la barbarie qui fauche les jeunes vies. Ce résumé de l’horreur dont les hommes sont capables en quelques strophes, donne le vertige. Tout le talent de Boris Vian servi par la voix de Philippe Clay ne suffit pas à camoufler le pire, mais il nous en fait prendre conscience. Merci à vous de ce partage salutaire !
Mais hélas la poésie ne changera pas le monde… Tout au plus, peut-elle changer notre vie, un instant. Et cet instant, à lui seul, vaut peut-être une vie.