Jean Mambrino
« La poésie est un langage silencieux qui efface ses propres traces, pour qu’on entende ce que les mots ne disent pas. »
Quand un poète meurt, c’est un peu de la lumière du monde qui s’en va. Notre ciel s’est assombri depuis le 27 septembre dernier : A 89 ans, Jean Mambrino a rejoint son Seigneur auquel, de longtemps, il s’était tout entier remis. Poète jésuite, certes, – il avait rejoint la Compagnie de Jésus en 1941, et y fut ordonné prêtre en 1954 – mais avant tout, poète de l’essentiel, de l’authenticité et de la pureté de l’être, empreint peut-être d’une apparente et vivifiante naïveté.
« Poésie de l’attention, de la contemplation, du consentement, l’œuvre [de Mambrino] est traversée par la tendresse d’un dieu absent qui s’est retiré du monde pour laisser se déployer la liberté humaine. » (Dictionnaire de Poésie Moderne et Contemporaine, (PUF, 1999) – cité par Claude Tuduri in « La poésie de Jean Mambrino – L’innocence retrouvée du sensible »
En 1930, il a 7 ans ; il quitte Londres, sa ville natale et vient à Paris avec ses parents, une mère champenoise et un père milanais aux origines andalouses, bel éventail de cultures.
Le STO (Service du Travail Obligatoire) l’enverra en Dordogne, en 1940, pour y exercer le métier de bûcheron.
Dans les années 50, il découvre la passion du théâtre avec Jean Dasté, et consacrera à cet art une bonne part de son temps et de son énergie. Amateur aussi de cinéma, il se rapprochera, entre autres, de Rossellini, Truffaut et Rohmer.
C’est à Jules Supervielle, avec qui il partagera une belle amitié, qu’il doit la publication de son premier recueil de poésies, « Le veilleur aveugle » en 1965. Beaucoup d’autres suivront, et c’est heureux.
Il enseigne, successivement à Amiens et à Metz, l’Anglais et la Littérature française.
Pendant 40 ans, il dirige la critique littéraire de la revue « Études », jusqu’en 2008.
A propos de critique, dans un article intitulé « Le topographe et l’apiculteur » (Le Monde du 24/11/2000) Pierre Lepape, disait de Jean Mambrino :
« Jean Mambrino est aux antipodes de Franco Moretti. Aux antipodes aussi de la critique de mode. Il est écrivain. La critique des écrivains, de Baudelaire à Borges et de Gide à Butor, a souvent consolé des autres. Mambrino est poète. Il est aussi jésuite, chroniqueur littéraire depuis plus de trente ans de la revue Études. Mais il n’a pas pris les fâcheuses habitudes de ces critiques catholiques qui sortent Dieu de leur manche dès que les arguments leur manquent. Dieu, chez lui, est une source de lumière, pas un principe explicatif. »
Jean Mambrino publiera également pendant cette période des œuvres en prose, (« Lire comme on se souvient – Proses pour éclairer la solitude », Phébus, 2000 et « La Patrie de l’âme – Lecture intime de quelques écrivains du XXe siècle », Phébus, 2004), de véritables invites à une irrépressible découverte littéraire, promenades au jardin de l’intelligence et de l’émotion.
Le sensible est en deuil. Jean Mambrino nous manquera. Il nous lègue un trésor.
Quelques poèmes :
L’improbable
Une plume entre
en voltigeant
par les barreaux
de la prison.
Une plume blanche
au fond de l’ombre
s’est posée.
Parmi toutes les pensées
du monde
d’où vient cette intention
de l’oiseau
et du vent?
♦
Cette force
(Extrait de « La pénombre de l’or »)
Le soleil plâtre les murs. Frotte-les du doigt
pour recueillir sur tes paupières leur poussière
blanche. Le chant d’un coq raye l’air, et rappelle
la trahison. Couleur de cendre, les parois
d’une prison, où même la mort se révèle
vaine contre le goût du néant. Mais si ton
être entier s’abandonne à la nuit, c’est alors
que cette force empreint la terre où tu es né,
pour en faire une matière nouvelle dont
tu entends le cri de stupeur répondant à
l’appel venu d’un autre bord, et le hourra
du corps en plein vol, transmué en énergie.
♦♦
Une parole
Une parole est descendue
Par des montagnes de soleil
(Sans que nul ait donné l’éveil)
Jusqu’au souffle de l’âme nue.
Du fond de l’innombrable aurore
Une parole toujours tue,
Timide, tendre et confondue
Avec l’haleine de ma mort.
C’est l’odeur même de la nuit
Dont toute chair garde l’absence
Que l’âme respire en silence
Quand monte l’eau de l’agonie.
Une parole est descendue,
Fondue en moi, timide et tendre.
Il faut se taire, il faut attendre
Que lentement flambe la nue.
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Quelques liens:
Merci pour ces trois poèmes de Jean Mambrino dont deux que je ne pense pas avoir publié chez Arbrealettres mais … ça ne saurait tarder! 😉
Quelques autres ici:
http://arbrealettres.wordpress.com/tag/Jean-Mambrino/
Je reviendrai sur la catégorie Poésie avec plaisir 🙂
Ch Passeur de Mots
🙂
Blog de Poésie: http://arbrealettres.wordpress.com
Index: http://pagesperso-orange.fr/coolcookie/poesie/index.html
Blog de Photos: http://arbreaphotos.wordpress.com/
Je connaissais déjà la richesse de votre blog que je fréquente discrètement, mais régulièrement. J’aime les associations poésies-images que vous proposez, l’image trahissant pudiquement votre perception personnelle et tenant lieu de silencieux commentaire.
J’espère que vos visites sur « Perles d’Orphée » vous conduiront aussi à changer quelquefois de rubriques, Orphée a plus d’une corde à sa lyre…
Merci de votre passage!
Au plaisir de nouvelles rencontres!
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